Saut temporel, folie ou machination ?
Je remercie les éditions Artalys pour cette lecture
Résumé : Jeune Anglaise frivole, Susan ne s’intéresse guère à l’histoire de son pays, contrairement à son fiancé James. Mais le décès d’un oncle la propulse dans un cottage des bords du Loch Leven, où Marie Stuart avait été emprisonnée en 1567. Elle se découvre de surprenantes affinités avec la reine déchue, tandis que flotte sur elle l’ombre de la mystérieuse et antipathique Moïra Mac Grégor, ancienne gouvernante de son oncle. Et son voyage en Écosse se transforme en un saut temporel totalement inattendu.
Auteur : Marie Laurent
Edition : Artalys
Genre : Inclassable
Date de parution : 16 décembre 2013
Prix moyen : 1,99€
Mon avis : Une petite nouvelle de 54 pages agréable à lire. Ici, l’auteur va droit l’essentiel. Dès les premières pages le décor est planté. On souligne la ressemblance physique de Susan et Marie Stuart et on explique pourquoi elle et son fiancé se rendent en Ecosse.
Le malaise s’installe dès le second jour en Ecosse, quand ils visitent le Loch Leven. Puis le saut temporel a lieu.
Celui-ci se termine très vite (ben oui, 54 pages) et une explication est donnée. Une explication qui est assez logique avec un peu d’imagination. C’est plausible et inattendu.
Je ne m’attendais pas à cette explication là, j’ai vraiment été surprise !
Le style est direct, il n’est pas alambiqué et, après avoir lu des livres qui font des détours incroyables pour aller de A à B, j’ai apprécié d’avoir l’impression que l’auteur savait exactement où elle allait.
Contrairement à beaucoup de nouvelles, celle-ci est parfaitement dosée. Il n’y a pas une histoire qui s’étire en « longueur » pour ensuite rapidement bâcler la fin.
Ici, chaque partie de l’histoire est dosée en fonction de l’importance que l’auteur semble vouloir lui donner et l’ensemble apparaît assez harmonieux.
C’est une lecture sympathique quand on veut faire une petite pause entre deux pavés.
Un extrait : Ils se mirent en quête du jeune Mac Grégor et le trouvèrent en train de ravauder ses filets. Âgé d’une vingtaine d’années, les cheveux blond paille, le visage constellé de taches de son, Will ne ressemblait pas à sa mère. Ses yeux bleus se posèrent sur Susan avec une admiration dont elle avait l’habitude. James ne s’en formalisa pas. Il était davantage préoccupé par l’état de la barque.
« Elle est petite, mais robuste, se défendit le garçon. C’est sur un esquif de ce genre que notre pauvre reine s’est évadée, avec la complicité de ses gardiens.
— Mais elle a été reprise, signala James, et son armée défaite à Langside.
— Vous connaissez son histoire, je vois. Ça fait des siècles que Kinross en vit. Ici, on compte plus de boutiques de souvenirs que de pubs. »
Tout en ramant, il leur conta quelques anecdotes relatives au séjour forcé de Mary à Loch Leven, sans quitter Susan du regard. Celle-ci l’écoutait à peine tandis que James était suspendu à ses lèvres. Ces vieux récits la rasaient ; en plus, elle avait envie de vomir. Ce doit être le mal de mer, pensa-t-elle. Bizarre sur des eaux dormantes. Au fur à mesure qu’ils s’approchaient de l’île, ses nausées s’amplifièrent. James ne s’était aperçu de rien, il discutait avec Will avec animation.
Le jeune homme amarra la barque à un ponton, presque au pied du château. De l’ancien mur d’enceinte, il ne restait plus qu’un talus de terre. Susan et James le gravirent et se retrouvèrent dans une cour rectangulaire, envahie par les herbes folles. Des deux côtés de la cour, des pans de murs dévorés par le lierre. Le donjon que Susan avait aperçu de la chambre occupait un coin ; il avait encore fière allure bien que dépourvu de toit. À l’opposé, se dressait une tour ronde, mieux conservée en apparence.
« C’est ici que logeait la reine, expliqua James. Je vais voir si l’escalier est assez solide pour nous supporter.
— Comme tu veux. Je ne bouge pas d’ici. Fais quand même attention ! Ces marches vermoulues sont traîtres. »
La perspective d’être enfermée dans cet endroit humide ne tentait guère Susan. Ses nausées avaient diminué, mais pas complètement cessé. Elle s’assit sur une pierre tiédie par le soleil et ferma les yeux. Une force qui la dépassait l’obligea à les rouvrir. Son regard fut attiré par une autre pierre, contiguë à celle où elle avait pris place. Large et plate, d’une forme régulière. Ça ressemblait à une stèle. Intriguée, elle écarta les fougères qui la recouvraient presque entièrement. Des inscriptions en latin apparurent. Susan regretta d’avoir séché ce cours. Elle guetta le retour de James qui ne tarda pas à revenir.
« Impossible de monter à l’étage, annonça-t-il, dépité. Une marche sur deux est cassée.
— J’ai découvert une tombe ; enfin, je crois. »
James la regarda caresser la pierre d’un geste plein de tendresse. Ce geste l’étonna de la part d’un être aussi terre-à-terre que sa Susie. La magie du lieu opérait peut-être.
« Une tombe ? s’écria-t-il. Tu es sûre ? Voyons un peu. »
Il s’agenouilla dans l’herbe et déchiffra :
« Mary et Elisabeth, 1567 : deux noms pour une seule date. Il doit s’agir des jumelles mort-nées de Mary Stuart. »
Susan fut submergée par un chagrin inexplicable, comme si la brève existence de ces enfants l’avait concernée personnellement.
« Mort-nées ? balbutia-t-elle, le cœur serré. Quelle chose affreuse ! »
James fut une fois de plus déconcerté par sa réaction, mais l’érudit prit vite le pas sur le fiancé.
« Oui. Au début de sa captivité, Mary a accouché de deux filles, issues de son union avec James Hepburn, comte de Bothwell, son troisième époux : un reître, brutal et sans cœur.
— James…murmura Susan, sans cesser de fixer les deux noms gravés.
— Oui, mon amour ? »
Il effleura la main de Susan ; elle était glacée.
« Tu aurais dû mettre des gants », ajouta-t-il.
Elle s’arracha enfin à sa contemplation pour le regarder. Il fut frappé de l’expression douloureuse de ses yeux. Son joli visage semblait avoir vieilli de plusieurs années en quelques minutes. Une ride se creusait entre ses sourcils et des plis d’amertume s’esquissaient aux commissures de ses lèvres.
« Susie, dit-il avec douceur, ces bébés sont morts depuis des siècles ; il ne reste d’eux qu’une poignée d’os. »
Il étendit le bras pour la toucher, mais elle se leva d’un bond et recula hors de sa portée.
« Tais-toi ! répliqua-t-elle, tu n’as pas le droit de parler ainsi de mes petites fleurs. »
Brusquement, elle éclata en sanglots et enfouit son visage entre ses mains. James, qui ne l’avait jamais vu pleurer, la contemplait, les bras ballants, ne sachant quoi faire pour apaiser cette douleur incompréhensible.
« Je n’aurais pas dû t’amener voir ces ruines, finit-il par dire. Ce lieu est sinistre. Allons-nous-en ! Il n’est pas trop tard pour Perth.
— Non, restons encore un peu. Pardon, je ne sais pas ce qui m’a pris, c’est stupide. »
Susan redressa la tête, essuya sa figure inondée de larmes avec un mouchoir en papier, puis se moucha un bon coup. James fut soulagé. Il avait de nouveau devant lui sa Susan habituelle. La ride entre les sourcils dorés avait disparu ; de même les lignes autour de la bouche dont les coins se relevaient en un faible sourire. James l’entraîna hors de la cour. Ils se promenèrent bras-dessus, bras-dessous, dans les prés entourant le château, puis à l’heure convenue, rejoignirent le jeune Will. Malgré ses craintes au sujet de Susan, James ne put se retenir d’évoquer leur découverte. Le garçon haussa les épaules :
« Ah ! La tombe ! Les gens du pays la connaissent, mais vous êtes les premiers touristes à vous y intéresser.
— Évidemment ! s’exclama Susan avec virulence. Si aucun guide ne la mentionne…
— Ce n’est pas étonnant, dit James. Le fait est mineur, sans incidence sur la biographie de la reine. »
Susan prit un air scandalisé. Ça recommence, pensa-t-il, navré, que va-t-elle me sortir, cette fois ? Mais elle ne dit rien.