Résumé : La ville luxuriante de Palmares Tres oscille entre technologie et tradition, bruissant des scandales sur les castes et les pratiques politiques douteuses. Au milieu de cette métropole vibrante, June Costa est une artiste qui aspire à devenir un jour légendaire. Mais ses rêves de gloire vont se muer en quelque chose de plus grand encore quand elle rencontre Enki, le nouveau et audacieux Roi d'été. Toute la ville est déjà sous son charme (y compris le meilleur ami de June, Gil). Mais June voit bien plus en Enki que ses yeux d'ambre et sa samba mortelle. Elle voit en lui un artiste.
Ensemble, June et Enki vont mettre en scènes des projets explosifs aux mises en scènes audacieuses, si spectaculaires que Tres Palmares ne les oubliera jamais. Ils vont alors donner l'énergie nécessaire à la rébellion croissante qui s'oppose aux limites strictes du gouvernement en matière de nouvelles technologies. Et June tombera profondément, mais malheureusement aussi, amoureuse d'Enki. Malheureusement, car comme tous les rois d'été avant lui, Enki est destiné à mourir
Auteur : Alaya Dawn Johnson
Edition : Robert Laffont
Genre : Young adult
Date de parution : 28 mars 2013
Prix moyen : 18€
Mon avis : Alors dès les premières pages, une chose me dérange un peu : le livre s’appelle « le prince d’été », or, pas de prince d’été dans cette histoire mais uniquement un roi d’été. Le terme « Prince d’été » n’est utilisé que de manière péjorative, comme pour lui retirer son pouvoir en le rétrogradant. Et nous ne sommes témoins de cette appellation qu’une fois, par la mère de June, la narratrice.
Dès lors, je me demande pourquoi avoir choisi un titre aussi peu en accord avec l’histoire.
L’histoire en elle-même est assez intéressante et je n’ai pas ressenti de lassitude à la lecture. Le style est vivant, clair et entraînant.
Cependant, je trouve que l’univers dans lequel on évolue n’est pas expliqué, l’auteur écrit comme si tout le monde le connaissait déjà, sans faire, comme d’autres auteurs de dystopie, d’explications déguisées. De plus, le texte est parsemé de mots portugais qui ne sont pas expliqués et si certains sont relativement évidents, d’autres, qui pourtant semblent avoir une importance dans ce monde, restent obscurs.
L’autre « problème » est que je n’ai pas réussi à m’attacher aux personnages. D’ordinaire, quand je lis une dystopie, je tremble pour l’héroïne ou le héros, je peste contre certains personnages importants, je vais jusqu’à haïr les dirigeants et souhaiter leur mort, de préférence dans d’atroces souffrances, je m’insurge contre les règles, les lois, les traditions contre lesquelles les personnages se battent.
Ici rien, j’ai lu sans ressentir cette empathie pour les « gentils », cette colère contre les « méchants »…
Qu’une méchante s’en sorte et au lieu de pester, de râler, de dire que c’est injuste, je me suis dit : « bah fallait s’y attendre »
Qu’un gentil subisse un coup dur et je me suis dit « Ah merde, c’est con ça… »
A aucun moment je n’ai eu envie d’entrer dans le livre pour mettre une paire de claque à quelqu’un ou pour essayer de sauver quelqu’un d’autre.
L’histoire aurait pu mettre en scène des opossums qu’elle m’aurait sans doute plus touchée.
De plus, j’ai trouvé que les personnages ne remettent pas en cause le système, pas vraiment. L’héroïne, June, est presque ridicule avec son « art ». Elle se désigne elle-même comme la meilleure artiste de la ville, mais ne fait pas grand-chose d’autre que se plaindre de ne pas être reconnue à sa « juste valeur ».
Il n’y a pas de prise de conscience réelle. Les personnages ne se disent pas : « cette loi, tradition, coutume » est ridicule, barbare, anormale, nous allons nous battre pour faire changer les choses.
Non, pour eux la mise à mort des rois d'été est normale et acceptable du moment qu'Enki, le roi d’été actuel, soit épargné au seul prétexte qu'ils sont amoureux de lui.
D’ailleurs, c’est encore une chose incompréhensible : Enki et Gil tombent amoureux, June est un peu à l’écart, et d’un coup elle devient au centre de l’attention et on se pose des questions : Est-ce qu’elle aime Enki, ou son art ? Est qu’Enki se sert d’elle ? Est-ce qu’il l’aime ? Est-ce qu’il aime Gil ? Est ce qu’il s’est rapproché de Gil pour atteindre June ?
Rien n’est jamais vraiment expliqué. On est un peu dans l’optique : je vous balance des scènes et chacun les interprète comme il le sent…
Après, comme je l’ai dit, elle est bien écrite et je ne me suis pas ennuyée. Mais je suis restée imperméable aux sentiments des personnages.
Et ça, pour moi, ça reste quand même un gros point négatif, quelque soit la qualité de l’écriture.
Un extrait : J’avais huit ans la première fois que mon papai m’a emmenée au jardin public pour regarder mourir un Roi.
Je n’ai d’abord vu que des adultes vêtus de bleus, de verts et de rouges éclatants, plumes et sequins sur des étoffes chatoyantes brodées d’or et de pierreries. Des adultes costumés pour le carnaval, qui avaient jeté des manteaux et des châles plus sombres sur leurs épaules afin de se protéger de la fraîcheur matinale. J’ai levé les yeux sur cette foule de grandes comme si on venait de m’abandonner au milieu d’une assemblée d’orixás. Je ne distinguais pas leurs visages, mais j’apercevais leurs mains s’enrouler l’une autour de l’autre ou égrener des chapelets. Certains portaient des bougies, d’autres des fleurs. Ils avaient revêtu leurs habits de fête, mais demeuraient plus silencieux que dans mes souvenirs des années précédentes. Ils se frayaient un chemin en jouant des coudes, pourtant, personne ne dansait. Quelques hommes pleuraient. Pour la première fois de ma vie, je découvrais le carnaval sans la musique.
Je tenais la main de mon papai. Il ne me regardait pas. Soudain un étrange soupir a parcouru la foule, semblable au hurlement du vent sur les falaises pendant une tempête d’hiver. Une voix de femme s’est élevée sur le jardin public, mais j’étais trop petite, trop près du sol pour comprendre.
— Je ne vois rien ! me suis-je plainte en tirant sur la main de mon papai.
En se contorsionnant – nos voisins nous serraient de si près, entraînés par le mouvement de la foule, qu’il avait à peine la place de se retourner –, il s’est accroupi à ma hauteur.
— Ce sont les rouages du monde, June…, m’a-t-il dit. Tu es vraiment sûre de vouloir les connaître ?
Je ne comprenais pas sa mine grave, ni les pleurs ni la triste fatalité de la voix féminine dans les haut-parleurs de notre ville. La période du carnaval était pour moi synonyme de fête et de beauté. Je savais pourtant que je devais peser ma réponse avec soin, parce que mon papai ne me posait jamais une question à la légère. Si je répondais « non », il me laisserait par terre, où je ne verrais rien de ce que je ne comprenais pas, et ne comprendrais rien de ce que j’entendrais. Si je répondais « oui », ma vie en serait changée.
J’ai fait « oui » de la tête. Il m’a alors soulevée, bien que je sois lourde pour mon âge, et installée sur ses épaules. Si je bloquais la vue à quelqu’un, nul n’a protesté.
Il y avait un holo dans le ciel. Les images étaient projetées à quelques mètres au-dessus de la tête des gens rassemblés dans le parc, près de la cascade où je venais jouer avec mamãe en été. La Reine Serafina se tenait debout dans une austère pièce de bois et de pierre – le Haut Sanctuaire. Je l’aimais beaucoup à cause de sa peau noire et satinée, de ses cheveux aussi doux que la soie. On m’avait même offert une poupée Serafina pour mon anniversaire en juin dernier. Mais aujourd’hui, son visage farouche semblait de marbre et elle tenait un poignard à la main.
À côté de moi, un homme récitait une prière en secouant la tête. J’ai trouvé ça très beau, et j’ai regretté de ne pouvoir me joindre à lui. Mamãe ne fréquentait guère les sanctuaires de la ville et je ne connaissais pas de prières.
Puis l’holo est passé en grand-angle, montrant un autel devant une projection miniature de notre cité qui étincelait de toutes ses lumières. Un homme entravé par des cordes y était attaché, et la grande pyramide creuse de Palmares Três lui faisait comme une couronne. Symbole sur mesure pour notre dernier Roi en date, élu il y avait un an jour pour jour.
— Pourquoi le Roi d’été Fidel est-il attaché ? ai-je demandé à papai.
— Regarde, June, m’a-t-il chuchoté en me serrant la main.
— J’honore la mémoire de nos ancêtres sortis de l’esclavage ainsi que l’héritage qu’ils nous ont légué et qui a donné son nom à notre ville, psalmodiait Serafina, impassible et glaciale dans un turban cérémonial immaculé et une simple robe blanche.
Depuis l’autel, Fidel lui a répondu d’une voix ferme, mais ses épaules tremblaient et ses yeux brillaient du noir artificiel de ses pupilles dilatées à l’extrême.
— J’honore la mémoire de ceux qui sont tombés comme la canne sous la machette. J’honore la mémoire des hommes qui gisent sous nos pieds et la mémoire des femmes dont la force et la sagesse nous ont sauvés.
— Héritier du grand Roi Zumbi, tu es corrompu, a poursuivi la Reine, usant de mots presque familiers, mais dont le sens m’échappait au bout du compte. Acceptes-tu de faire à cette grande ville le don du sacrifice ? Au nom de Yemanjá, au nom d’Oxalá, aussi appelé Jésus-Christ, acceptes-tu d’offrir ton âme aux orixás, et ton choix à Palmares Três ?
Fidel a hoché lentement la tête, comme s’il flottait déjà dans l’océan de Yemanjá. Ses yeux trop noirs se sont ouverts tout grands, m’arrachant un frisson. Nous étions à l’abri dans le jardin public du Niveau Huit, alors qu’il était ligoté sur l’autel sacré du Niveau Dix, mais j’avais quand même l’impression qu’il me regardait.
— Oui, je le veux, a répondu Fidel avant de se laisser retomber sur la table de pierre.
À côté de moi, le spectateur sanglotait à présent sans retenue, et même papai s’est essuyé les yeux.
J’avais huit ans, on ne m’avait jamais expliqué ce qui arrivait aux Rois à la fin de l’hiver.