Lecture terminée le : 10 juillet 2020
Résumé : Jean McClellan est docteure en neurosciences. Elle a passé sa vie dans un laboratoire de recherches, loin des mouvements protestataires qui ont enflammé son pays. Mais, désormais, même si elle le voulait, impossible de s’exprimer : comme toutes les femmes, elle est condamnée à un silence forcé, limitée à un quota de 100 mots par jour. En effet, le nouveau gouvernement en place, constitué d’un groupe fondamentaliste, a décidé d’abattre la figure de la femme moderne. Pourtant, quand le frère du Président fait une attaque, Jean est appelée à la rescousse. La récompense ? La possibilité de s’affranchir – et sa fille avec elle – de son quota de mots. Mais ce qu’elle va découvrir alors qu’elle recouvre la parole pourrait bien la laisser définitivement sans voix…
Auteur : Christina Dalcher
Edition : NiL
Genre : Young Adult
Date de parution : 07 Mars 2019
Prix moyen : 22€
Mon avis : Ce livre a un petit air de « La servante écarlate » mais avec, il me semble, plus de détails sur comment les choses se sont déroulées, sur comment les femmes en sont arrivées là.
L’histoire est cependant racontée de manière moins froide, moins détachée que dans « la servante écarlate ». La situation de la narratrice est différente de celle de Defred, mais surtout, on suit l’histoire de son point de vue et non à travers des enregistrements.
Defred voulait laisser un témoignage de ce qu’il se passe à Gilead alors qu’on assiste aux évènements de Vox en même temps que Jean les vit et on a accès à ce qu’elle ressent.
Si ici les femmes fertiles ne sont pas réduites au rôle de procréatrices en série, elles vivent tout de même la privation d’instruction, de lecture, d’écriture, de droits, de travail et de paroles.
Les responsables du gouvernement parlent de retour aux années 50 mais ce sont les années 50 vues par les pires des misogynes, car si dans les années 50, les femmes étaient plus au foyer qu’aujourd’hui, elles disposaient quand même de droits.
Ici on a donc un mélange d’années 50, d’un nouvel ordre moral, et d’un je ne sais quoi d’autre. J’ai vraiment adoré ce livre qui met l’accent sur l’importance de défendre ses droits au risque de les voir nous être retirés.
Et comment faire entendre sa voix, quand on n’en a plus ?
C’est le problème qui se pose à Jean. Elle a « laissé faire », un peu par incrédulité. On se dit toujours que « ce n’est pas possible », pas « de nos jours », pas en occident, dans un pays développé, éclairé, civilisé, démocratique… Et pourtant… Quand elle réalise le danger, il est déjà trop tard.
Et une fois que la moitié du pays est réduite au silence, le reste est des plus simples : endoctrinement des plus jeunes, traque des « pécheurs » (le plus souvent des pécheresses, notez-bien) pour en faire un exemple public et instiller la peur dans la population, et toujours plus d’interdictions et obligations pour contrôler un peu plus la population.
Autant vous dire que j’ai eu très envie de refermer ces saloperies de bracelets compte-mots sur les c******* de ces soi-disant dirigeants.
Comme Jean, j’ai été horrifiée de voir son fils aîné être endoctriné et sa fille de six ans ne pas parler autant qu’elle en a le droit. J’ai également été enragée par la passivité de son mari pour qui le mot d’ordre semble être de ne pas faire de vague.
Malgré l’opportunité qui se présente à Jean, je comprends ses hésitations. Je comprends qu’elle n’ait guère envie de venir en aide à l’un de ceux qui ont réduit les femmes au silence.
Et en même-temps, quand on est une scientifique et que la possibilité nous est donnée de trouver le traitement que l’on a cherché toute sa vie, il y a de quoi réfléchir.
Ce que j’ai le plus aimé dans ce livre, c’est sa crédibilité. Ce n’est pas un roman fantasy ou une histoire se déroulant dans un ou deux millénaires, non, c’est une histoire qui pourrait avoir lieu demain.
Pour peu qu’un groupe de fanatiques profite d’une crise mondiale pour imposer leurs idées en jouant sur la peur des gens (au hasard, une crise économique à la suite d’une pandémie… ça ne vous rappelle rien ?) et il ne faudrait pas grand-chose pour que les connaissances scientifiques se retournent contre nous (Et par contre nous, je ne parle pas que des femmes, mais de tous ceux qui ne rentrent pas dans le moule).
J’ai essayé d’imaginer ce monde où les femmes n’ont droit qu’à 100 mots par jours et je me suis rendue compte que ça allait au-delà des mots prononcés : Lire ? Interdit ! Ecrire ? Interdit ! Parler par signes ? Interdit !
Quand toutes les voies de communication sont coupées, existe-t-on encore vraiment ?
Ce livre est un avertissement sur ce qui pourrait arriver si on « laisse faire », si on arrête de se battre. Il faut faire entendre nos voix pour qu’il soit plus difficile de les faire disparaître.
La fin est peut-être un peu rapide, j’aurais aimé plus de développement, que la fin se déroule sur une période plus longue.
Mais malgré sa rapidité, j’ai ressenti une certaine satisfaction face à cette fin et si le roman n’a pas atteint le coup de cœur (allez savoir pourquoi, il avait tout pour en être un), il va tout de même se faire une place parmi mes favoris.
Un extrait : Si on m’avait dit qu’en une semaine, j’allais faire tomber le Président, le Mouvement Pur, et ce petit merdeux incompétent de Morgan LeBron, je n’y aurais pas cru. Mais je n’aurais pas protesté. Je n’aurais pas dit un mot.
Je ne suis plus du genre bavarde.
Ce soir, pendant le dîner, avant que je n’articule mes dernières syllabes de la journée, Patrick tend son bras pour tapoter l’appareil argenté qui ceint mon poignet gauche. Son geste est léger, comme s’il partageait ma douleur, à moins qu’il ne veuille me rappeler de rester silencieuse jusqu’à ce que le compteur se remette à zéro, à minuit. Le miracle aura lieu pendant mon sommeil, et je commencerai mon mardi avec une page blanche. Le compteur de ma fille Sonia fera de même.
Mes fils ne portent pas de compte-mots.
À table, ils sont là, en train de discuter de leur journée à l’école, comme d’habitude.
Sonia aussi va à l’école, pourtant elle ne gaspille jamais ses mots à en parler. Entre deux bouchées d’un ragoût tout bête que j’ai cuisiné de mémoire, Patrick l’interroge sur ses progrès en histoire, en éducation civique. Est-ce qu’elle obéit bien à la maîtresse ? Est-ce qu’elle aura de bonnes notes ce trimestre ? Il sait parfaitement comment poser les bonnes questions : des questions fermées, auxquelles on peut répondre d’un simple mouvement de tête.
Je les observe et j’écoute, mes ongles creusent des demi-lunes dans la chair de mes paumes. Sonia hoche la tête quand il faut, fronce le nez quand les petits jumeaux, sans comprendre l’importance des questions fermées et des réponses mimées, demandent à leur sœur de raconter comment est la maîtresse, comment ça se passe en classe, quelle est sa matière préférée. Tant et tant de questions ouvertes. Je refuse de croire qu’ils font exprès, qu’ils lui tendent des perches, qu’ils la taquinent pour lui arracher quelques syllabes. Ils sont assez grands pour comprendre.