Résumé : Paris, 1889. Maude Pichon s'enfuit à 16 ans de sa Bretagne natale pour échapper à un mariage forcé et découvre Paris, ville-lumière en ébullition à la veille de l'Exposition universelle. Hélas, ses illusions romantiques s'y évanouissent aussi vite que ses maigres économies. Elle est désespérément à la recherche d'un emploi quand elle tombe sur une petite annonce inhabituelle:
ON DEMANDE
Des jeunes femmes
pour faire un ouvrage facile.
Bienséance respectée.
Présentez-vous en personne
à l'agence Durendeau,
27, avenue de l'Opéra, Paris.
L'agence Durendeau propose en effet à ses clients un service unique en son genre:le faire-valoir. Étranglée par la misère, Maude postule...
Auteur : Elizabeth Ross
Edition : Robert Laffont
Genre : Young Adult, historique
Date de parution : 14 novembre 2013
Prix moyen : 18€
Mon avis : Ce roman est inspiré de la nouvelle « le repoussoir » d’Emile Zola, que je n’avais pas lu, mais que j’ai eu la surprise et le plaisir de trouver à la fin du roman.
Il ne s’agit pas ici d’une réécriture, comme on en trouve souvent des œuvres de Jane Austen, mais plutôt d’une suite.
En effet, le repoussoir raconte en une quinzaine de pages comment Mr Durendeau eu un jour l’idée de faire commerce de la laideur et montre les débuts de son agence.
Dans Belle époque, l’agence de Mr Durendeau, si elle est discrète, a tout de même pignon sur rue.
Maude, qui a fuit son petit village breton, son père et une vie de labeur toute tracée auprès d’un homme de plus de 20 ans son aîné a cru qu’il serait facile pour elle de s’installer à Paris. Après tout, sûre de son expérience dans la tenue de l’épicerie familiale, elle ne doute pas trouver rapidement du travail. Mais elle déchante vite, personne ne veut d’une petite provinciale à l’accent prononcé comme il en arrive par dizaines chaque jour dans la capitale.
Après bien des hésitations et malgré son humiliation, Maude va entrer à l’agence de Mr Durendeau et se louer comme repoussoir.
Son premier contrat est particulier, en effet, la jeune fille dont elle va être le faire-valoir ne doit pas savoir que Maude est une employée et doit la croire nièce d’une amie de sa mère.
Maude va devoir jongler entre les exigences de la mère et l’amitié grandissante qu’elle ressent pour la fille.
Je pense que Maude est aveuglée par la richesse de ses employeurs et qu’elle oublie que l’argent ne fait pas le bonheur. Pourtant, à son niveau modeste, c’est bien un mariage d’argent qu’elle a refusé et fuit : son père la destinait à un commerçant prospère et si sa vie n’aurait pas été oisive, elle aurait eu un toit sur la tête et la table bien garnie, ce que nombre de personnes, à cette époque, n’avait pas.
Devant les richesses incroyables qu’elle admire chez l’aristocratie parisienne, elle semble ne pas comprendre qu’on puisse vouloir plus que ce confort matériel. Je crois qu’elle voit tout d’abord Isabelle, celle pour qui elle est louée, comme une enfant capricieuse. Et puis, au fil du temps, elle réalise qu’Isabelle veut simplement vivre avec son temps. La monarchie s’est éteinte depuis longtemps, les artistes, les journalistes, les étudiants sont sur le devant de la scène, la tour Eiffel, presque un personnage à part entière tant elle déclenche les passions, est en cours de construction, les femmes ont accès à l’université…
Malgré tous ces changements, il y a toujours ce petit noyau d’aristocrates qui s’obstinent à vivre comme au temps de la monarchie absolue et l’amitié entre Isabelle et Maude fait se télescoper ces deux mondes.
La scientifique, la rêveuse, l’aristocrate, la provinciale, chacune cherche à trouver sa voie et sa part de bonheur dans une société qui oscille encore entre traditionalisme et modernité.
J’ai particulièrement apprécié le fait que ce livre soit un tome unique (et vu la fin, je ne pense pas que l’auteur puisse vraiment nous faire la surprise d’un second tome). C’est agréable d’avoir un début, un déroulement et une vraie fin sans devoir attendre la sortie d’une suite.
Un extrait : La langue nouée, j’observe à la dérobée ce M. Durandeau dont je ne sais rien. Ses jambes courtaudes peinent à soutenir un corps aussi renflé qu’une barrique et il se rengorge sous son gilet en satin nacré. Il y a une ressemblance frappante avec un pigeon qui plastronne sur le trottoir.
Il congédie ledit Laurent et retrouve, pas trop tôt, ses bonnes manières.
— Votre nom, jeune fille ?
— Maude Pichon, dis-je, la voix rauque.
— Pichon… où avez-vous pêché un nom pareil ? D’où venez-vous ?
— De Poullan-sur-Mer.
Face à sa mine perplexe, j’ajoute :
— Un village en Bretagne.
— Voilà qui explique l’accent, mais il faudra remédier à cela, et vite.
— Un problème avec mon accent ?
M. Durandeau répond à ma question par une autre :
— Et votre âge ? Seize ans, dix-sept ?
— Seize ans, monsieur.
— Et vos parents ?
— Rappelés par Dieu l’un comme l’autre.
Un demi-mensonge ; mon père est vivant mais il pourrait tout aussi bien être entre quatre planches, car il est hors de question que je retourne à Poullan-sur-Mer : non contente de contrarier ses projets de mariage, j’ai aussi dérobé le contenu du tiroir-caisse. Une petite fortune, m’avait-il semblé à l’époque, avant de découvrir que Paris est un ogre qui dévore tout ce que vous avez dans vos poches.
— Comme c’est triste, répond machinalement M. Durandeau. Ainsi donc, vous avez croisé l’une de nos annonces. Elles ne nous ont pas amené grand-monde jusqu’ici. Quand j’y réfléchis, elles sont peut-être mal formulées.
L’annonce est avare en informations, je le reconnais, mais un travail, cela ne se refuse pas.
— Laurent se charge à présent des recrutements, poursuit-il. Un garçon amène, sympathique. Grâce à lui, nous avons de bien meilleurs résultats.
— Monsieur, en quoi consiste l’ouvrage dont parle l’annonce ?
Mais M. Durandeau fait la sourde oreille.
— Les appointements sont plus qu’honnêtes, poursuit-il. Nous vous fournirons une tenue pour chaque sortie. Je vais vous confier aux bons soins de la couturière de la maison, Mme Leroux, au bout du couloir. Elle saura vous préparer une toilette correcte avant l’arrivée des clientes.
Sur ce, il extirpe une pièce de cinq francs de sa poche et la glisse dans ma main.
— Bienvenue à l’agence, mademoiselle Pichon.