Résumé : Considéré comme une menace au trône pour le volatile roi Henry VII, Margaret Pole, cousine d’Elizabeth d’York (connue sous le nom de la princesse Blanche) et la fille de George, duc de Clarence, sera mariée à un partisan du roi de la maison Lancastre, Sir Richard Pole. Pour sa loyauté, Sir Richard est chargé de la gouvernance du pays de Galles, mais la vie rangée de Margaret est changée à jamais avec l’arrivée d’Arthur, le jeune prince de Galles, et de sa belle épouse, Catherine d’Aragon. Margaret devient vite une personne de confiance et amie des nouveaux mariés, cachant ses propres liens royaux au service des Tudors. Après la mort soudaine du Prince Arthur, Katherine maintenant veuve part pour Londres, et garde sa promesse faite lors du décès de son mari en se mariant avec son frère, Henry VIII. Le monde de Margaret est chamboulé par la convocation surprenante à la cour, où elle devient la première dame de compagnie de la reine Catherine. Mais cette vie idyllique ne durera que jusqu’à la montée d’Anne Boleyn, et la déchéance des Tudors. Margaret doit choisir son allégeance au roi tyran, ou à sa reine bien-aimée; l’amour de sa religion ou la théologie des nouveaux maîtres. Prise entre l’ancien et le nouveau monde, Margaret Pole doit trouver son propre chemin, tout en portant le fardeau d’une vieille malédiction qui afflige tous les Tudors.
Auteur : Philippa Gregory
Edition : Editions ADA
Genre : Historique
Date de parution : 1 Octobre 2015
Prix moyen : 20€
Mon avis : Pour moi Philippa Gregory est l’une des spécialistes des Tudor. Ses romans, bien que romancés et présentant des interprétations personnelles de certains faits, ce dont elle ne se cache pas, nous apprennent souvent des faits historiques peu connus qui se vérifient aisément.
Après "La reine clandestine », « La fille du faiseur de roi » (que je n’ai pas encore lu) et « La princesse blanche », la malédiction du roi est le dernier tome de sa saga The cousin’s war qui décrit la guerre entre les Lancaster et les York (Tudor et Plantagenêt) pour le trône d’Angleterre. Il est dommage que tous les tomes n’aient pas été traduits en français, car, s’il y a une certaine chronologie entre eux, Philippa Gregory a raconté chacun du point de vue d’un ou des personnages centraux de la période concernée (toujours des femmes).
Dans ce tome, on suit Margaret Pole, née Plantagenêt d’York, comtesse de Salisbury, depuis l’exécution de son frère, alors qu’elle n’a que 26 ans, sous le règne d’Henry VII, jusqu’à sa mort en 1540, sous celui d’Henry VIII.
A travers l’histoire de Margaret, on va découvrir sous un autre angle la fin de la vie d’Elisabeth d’York, mère d’Henry VIII, l’arrivée de Catherine d’Aragon en Angleterre, l’accession au trône d’Henry VIII, fils cadet d’Henry VII, les mariages successifs du Barbe-bleue anglais (les 5 premiers, Margaret étant décédée peu après le mariage d’Henry avec sa cinquième épouse, Katherine Howard), les persécutions religieuses…
A la fin du livre, en postface, elle nous livre même une hypothèse intéressante qui pourrait expliquer non seulement le nombre d’enfants morts nés dans les divers mariages du roi mais également son attitude emportée, violente et paranoïaque qui n’a fait que s’accentuer au fil des années et qui n’aurait comme cause que la génétique et la maladie.
L’écriture de Philippa Gregory est addictive, les éléments purement historiques habilement dispensés au travers d’une histoire passionnante (l’Histoire cachée dans l’histoire). Ceux qui aiment l’histoire en elle-même trouveront ici des pistes de recherche, des idées de lectures plus techniques. Ceux qui n’apprécient pas plus que ça l’Histoire, pourront en prendre connaissance sans le coté fastidieux que peuvent avoir une liste de faits et de dates.
Comme toujours dans les romans de Philippa Gregory, l’héroïne n’est pas exempt de défauts. Margaret Pole vit dans la peur, elle est souvent hypocrite et opportuniste et son attitude vis-à-vis de ses deux plus jeunes fils est presque criminelle : l’un gâté au point d’être incapable de faire montre d’un peu d’honneur, l’autre envoyé contre son gré dans le giron de l’église et éloigné dès son plus jeune âge de sa famille.
Que l’on connaisse l’Histoire des Tudor ou pas, on est si emporté dans le livre de Philippa Gregory que l’on tremble à chaque page, en se demandant qui sera le prochain à être victime de la folie paranoïaque du roi et de la cupidité de ses conseillers (oui, oui, même si on le sait déjà). On tremble pour Lady Mary, qui risque sa vie, du fait de sa seule existence à chaque page (et pourtant on sait bien qu’elle finira par monter sur le trône, mais on a peur pour elle quand même).
C’est un livre très dense, qui contient énormément d’informations, ce qui fait que je ne l’ai pas lu aussi vite qu’un autre. Je ne voulais pas prendre le risque de mal comprendre un passage ou de rater des éléments. Mais d’un autre côté, on réalise à peine qu’il fait plus de 500 pages tant on a du mal à quitter Margaret Pole et les Tudor.
J’espère vraiment pouvoir bientôt me replonger dans un nouveau tome, que les éditeurs français ne vont pas laisser ces pépites uniquement aux anglophones. Pour ma part, je sais au moins qu'il me reste à lire « la fille du faiseur de roi ». Et je m’en réjouie d’avance.
Un extrait : À mon réveil, je me sens innocente, la conscience tranquille. En ce premier instant d’hébétude, tandis que j’ouvre lentement les yeux, je ne pense à rien ; je ne suis qu’une jeune femme de vingt-six ans, au corps musclé et à la peau douce, qui s’éveille avec joie à la vie. Je n’ai pas conscience de mon âme immortelle, ni du péché ou de la culpabilité. Je suis si délicieusement, paresseusement somnolente que je sais à peine qui je suis.
À la lumière entrant par les volets, je comprends que la matinée est déjà bien avancée. Alors que je m’étire voluptueusement à la manière d’un chat, reposée, je me rappelle mon épuisement de la veille. Puis soudain, comme si la réalité s’abattait sur ma tête tels de lourds ouvrages tombés d’une haute étagère, je me souviens que je ne vais pas bien, que rien ne va. C’est le matin que j’espérais ne jamais voir, car ce matin je ne peux renier mon nom mortel : je suis l’héritière de sang royal, et mon frère – aussi coupable que moi – est mort.
Assis sur le bord du lit, mon époux est vêtu de son gilet en velours rouge, sa veste accentuant sa corpulence, sa chaîne en or de chambellan du prince de Galles sur son large torse. Lentement, je me rends compte qu’il attendait mon réveil, le visage contracté par l’inquiétude.
– Margaret ?
– Ne dites rien.
Je réagis comme une enfant, comme si taire les faits pouvait les repousser. Je me détourne et enfouis la tête dans l’oreiller.
– Vous devez être courageuse.
Avec désespoir, il me tapote l’épaule comme si j’étais un chiot malade. C’est mon époux, je n’ose pas l’ignorer ni l’offenser. Il est mon seul refuge. Je suis cachée en lui – mon nom dissimulé dans le sien –, coupée de mon titre aussi nettement que s’il avait été décapité puis emporté dans un panier.
Mon nom est le plus dangereux d’Angleterre : Plantagenêt. Autrefois, je le portais fièrement telle une couronne. J’étais Margaret Plantagenêt d’York, nièce de deux rois, les frères Édouard IV et Richard III. Le troisième frère était mon père, Georges, duc de Clarence. Ma mère, la femme la plus riche d’Angleterre et la fille d’un homme si grand qu’il était surnommé le « faiseur de rois ». Mon frère, Teddy, a été nommé héritier du trône d’Angleterre par notre oncle, le roi Richard. À nous deux – Teddy et moi – nous possédions l’amour et la loyauté de la moitié du royaume. Nous étions les nobles orphelins Warwick, sauvés du destin, arrachés à l’emprise maléfique de la Reine blanche, élevés dans la nurserie royale au château de Middleham par la reine Anne en personne, et rien, absolument rien au monde n’était trop bien, trop luxueux ou trop rare pour nous.
Cependant, lorsque le roi Richard a été tué, nous sommes passés du jour au lendemain d’héritiers du trône à prétendants, survivants de l’ancienne famille royale, pendant qu’un usurpateur s’emparait du trône. Que devait-on faire des princesses d’York ? Des héritiers de Warwick ? Les Tudors, mère et fils, avaient la réponse toute prête. Nous serions mariés dans l’ombre, cachés dans l’union. À présent, je suis donc en sécurité, rabaissée de plusieurs rangs jusqu’à me glisser sous le nom d’un pauvre chevalier dans un petit manoir au centre de l’Angleterre, où la terre est bon marché et où personne, pour la promesse de mon sourire, ne partirait au combat en criant « À Warwick ! »
Je suis Lady Pole. Pas une princesse ni une duchesse, ni même une comtesse, seulement l’épouse d’un modeste chevalier, plongée dans l’obscurité tel un emblème brodé oublié dans un coffre à vêtements. Margaret Pole, jeune épouse enceinte de Sir Richard Pole, à qui j’ai déjà donné trois enfants, dont deux garçons : Henri, nommé obséquieusement d’après le nouveau roi Henri VII, et Arthur, nommé mielleusement d’après son fils le prince Arthur. Ayant le droit de choisir le prénom d’une simple fille, j’ai appelé la mienne Ursula, d’après une sainte qui a préféré la mort au mariage avec un inconnu dont elle aurait été obligée de prendre le nom. Je doute que quiconque ait remarqué ma petite rébellion ; j’espère bien que non.
Mon frère, quant à lui, ne pouvait pas être rebaptisé en se mariant. Peu importe qui aurait été son épouse, si humble fût-elle, elle ne pouvait pas lui donner son nom comme mon époux le sien. Il resterait Édouard Plantagenêt, comte de Warwick, héritier légitime du trône d’Angleterre. Quand serait levée sa bannière – et quelqu’un, tôt ou tard, n’y manquerait pas – la moitié de l’Angleterre accourrait simplement pour apercevoir cette fameuse broderie blanche. C’est ainsi qu’ils l’appellent : « la Rose blanche ».
Alors, puisqu’ils ne pouvaient pas lui prendre son nom, ils lui ont pris sa fortune et ses terres. Puis sa liberté, en l’envoyant dans la tour de Londres tel un étendard oublié parmi d’autres objets sans valeur, au milieu de traîtres, de débiteurs et de fous. Toutefois, même sans serviteurs ni propriétés, sans château ni éducation, mon frère conservait son nom, le mien, et son titre, celui de mon grand-père. Il demeurait le comte de Warwick, la Rose blanche, l’héritier du trône Plantagenêt, un reproche vivant et constant aux Tudors qui se sont approprié ce trône. Ils ont emmené un petit garçon de onze ans dans l’obscurité et ne l’ont pas ressorti avant qu’il soit devenu un homme de vingt-quatre ans. Il n’avait pas senti l’herbe des prés sous ses pieds depuis treize ans. Une fois dehors, il a peut-être savouré le parfum de la pluie sur la terre humide, les cris des mouettes au-dessus du fleuve, les rires d’hommes libres, les Anglais, ses sujets derrière les hauts remparts. Encadré par deux gardes, il a traversé le pont-levis, gravi la colline de la Tour, s’est agenouillé devant le billot, puis a baissé la tête comme s’il méritait ce sort, qu’il était prêt à mourir ; enfin ils l’ont décapité.