Je remercie Véronique Mougin pour cette excellente lecture
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Résumé : Et voici Tomas, dit Tomi, gaucher contrariant, tête de mule, impertinent comme dix, débrouillard comme vingt, saisi en 1944 par la déportation dans l'insouciance débridée de son âge, 14 ans. Ce Tom Sawyer juif et hongrois se retrouve dans le trou noir concentrationnaire avec toute sa famille. Affecté à l'atelier de réparation des uniformes rayés alors qu'il ne sait pas enfiler une aiguille, Tomas y découvre le pire de l'homme et son meilleur : les doigts habiles des tailleurs, leurs mains invaincues, refermant les plaies des tissus, résistant à l'anéantissement. À leurs côtés, l'adolescent apprendra le métier. Des confins de l'Europe centrale au sommet de la mode française, de la baraque 5 aux défilés de haute couture, Où passe l'aiguille retrace le voyage de Tomi, sa vie miraculeuse, déviée par l'histoire, sauvée par la beauté, une existence exceptionnelle inspirée d'une histoire vraie.
Auteur : Véronique Mougin
Edition : Flammarion
Genre : Roman contemporain
Date de parution : 31 janvier 2018
Prix moyen : 21€
Mon avis : Enfin j’ai pu me poser et lire tranquillement ce livre. Je l’ai depuis un bon moment, depuis quelques temps avant sa sortie, mais j’ai passé deux mois où je ne lisais que quelques pages par-ci, par-là, entre deux portes, sur le coin d’une table ou d’un oreiller et, vu le sujet de ce livre, et la période à laquelle il se déroule, je voulais vraiment pouvoir prendre mon temps.
Autant le dire tout de suite, c’est un coup de cœur. Le premier livre de Véronique Mougin était plein d’humour et de légèreté ; celui-ci est dur et tendre à la fois, il est poignant et superbe, malgré les horreurs dont il témoigne.
J’ai passé mon temps à reposer ce bouquin pour digérer un peu le récit. Pas longtemps, puisque je voulais savoir la suite, mais quelques minutes, parfois une heure entière, surtout pendant la partie se passant dans les camps de concentration. Parce que c’est un récit qui tient en partie du témoignage et que c’est dur, très dur. Rien ne nous est épargné, et pourquoi nous l’épargnerait-on, Tomas et les siens n’ont pas été épargnés, eux.
Je crois que l’image qui m’a le plus poursuivie, tout au long du récit, est la seule qui laisse planer le doute, l’espoir, mais qui, en même temps, m’est apparue comme la plus terrible : c’est celle de la mère de Tomas qui est dans la file des femmes et enfants, avec Gabor, le petit frère. Le temps de détourner le regard quelques secondes et ils ont disparus.
Quand on sait que les nazis avaient pour habitude de gazer les femmes et les enfants dès leur arrivée, mais qu’en même temps, certains, hélas très rares, trop rares, ont survécu… difficile de ne pas y penser au fil du texte, de ne pas espérer qu’ils aient pu passer entre les mailles du filet…
L’horreur est omniprésente, elle arrive par les nazis, bien entendus, mais également par les autres prisonniers, promus « kapo » abusant de leur peu d’autorité ou simple détenus profitant de leur faible supériorité physique pour abuser de leur compagnons d’infortune. Comme si se montrer aussi cruel que les nazis allait adoucir leur propre sort.
Tomas est un adolescent qui refuse de plier, il refuse de se laisser gentiment mourir. En perpétuelle opposition avec son père, il magouille, triche, ment, vole, prend des risques, fait tout ce qu’il peut pour sortir du lot mais pas trop, être remarqué mais pas remarquable, bref survivre à l’enfer du camp.
J’ai eu du mal avec le père de Tomas. J’ai eu l’impression que chacune de ses décisions étaient prises sans penser aux autres, avec pour seul soucis de respecter les règles. Il ne semble pas comprendre que le monde dans lequel il vit désormais n’a plus de règle, que ce n’est pas parce qu’il se montre obéissant qu’il sera épargné.
Il m’a choqué à plusieurs reprises, j’ai eu l’impression qu’il préférait voir mourir son fils plutôt que de le voir faire preuve d’une audace dangereuse alors qu’il n’avait plus rien à perdre.
Après la guerre, il ne change pas d’attitude, il continue à vouloir imposer son mode de vie et sa vision des choses sans jamais penser qu’il pourrait avoir tort (Du moins pendant la plus grande partie de sa vie).
J’ai beaucoup aimé que le récit soit entrecoupé de chapitres en italique nous révélant les pensées de divers personnages de l’entourage de Tomas qui montrent souvent que ce qu’ils pensent est très différent des pensées que leur prête l’adolescent.
Après la guerre, après les camps, on pourrait penser que le pire est passé, que tout va aller mieux. Alors, oui, dans un sens le pire est passé, mais il reste la suspicion, les frontières qui ont bougées, son village qui n’appartient plus au même pays qu’avant, le pillage dont sa famille a été victime pendant son absence, rien ne va, tout a changé.
Alors c’est le départ, vers un autre pays, un autre avenir. C’est à Paris que Tomas va trouver sa voie, se réconcilier pour de bon avec la couture, et même la haute couture. Il n’avait pas la même vision du métier que son père et, ne sachant pas qu’une autre manière de l’exercer existait, il l’avait rejeté en bloc. Il va se réinventer dans un métier où rien n’est jamais figé, où tout change à une vitesse folle, où il faut de l’audace et du talent, en plus d’un travail acharné, pour espérer survivre.
Ce talent, Tomas le possède ; le travail, il a eu l’exemple de son père pour savoir que rien ne tombe tout cuit dans le bec, et l’audace, s’il en avait déjà avant la guerre, les camps et sa rage de vivre l’ont décuplée.
Pourtant, il y a une chose que Tomas refuse de faire : se souvenir. Jusqu’à ce qu’une petite cousine décide d’écrire un livre sur son histoire. Et qu’il accepte d’ouvrir la boite de pandore et de raconter…
Un extrait : Suis pas si bête, j’ai dit « tu t’occuperas du chat » pour le rassurer, le Tomi. Mais il va partir aussi, ma main à couper. Les Allemands ne nous ont pas envahis pour des prunes, ils vont nous prendre. Paraît que les gendarmes regroupent déjà ceux de mon village pour les emmener travailler. Travailler où, tout le monde se le demande, moi je m’en fous pas mal ; travailler comment, ça oui, j’aimerais bien qu’on me le dise. Pour m’entraîner avant. Parce qu’il faudra que j’y arrive, et tout de suite. Si seulement je savais ce qu’ils vont nous demander… Mon père et les autres pourront peut-être m’aider, si c’est trop difficile. C’est pour ça que je rentre en vitesse. Manquerait plus qu’ils s’en aillent sans moi.
Il m’aurait pas dit au revoir, le môme. Je lui en veux pas, il est têtu. C’est pas une tête qu’il a, c’est un pavé. Une bourrique est moins obstinée que lui. C’est de famille, son grand-père, son oncle, tous sur le même modèle, tous dans le tissu, tous des bourriques. Surtout son père, et je sais de quoi je parle : M. Kiss, quand il a une idée dans la tête, il l’a pas au pied. Je me souviens, avant tous les problèmes, il employait un ouvrier à la boutique, Abel, un bon couturier, et un musicien du tonnerre. Le patron lui a dit : « Tu apprendras le violon au petit. » Quand Abel jouait un air, ça collait des frissons à tout l’atelier mais quand Tomi empoignait le machin, c’était les vitres qui tremblaient. La rigolade… Il en aurait crevé de rage, le petit, il détestait ça. Son père a insisté : « Il apprendra, un point c’est tout. » Alors le môme a épluché le violon. Le premier jour, il a retiré une corde, puis il a dépiauté un morceau de bois, encore une corde… Au bout de trois semaines c’était plus un instrument de musique, c’était un trognon de pomme. Le patron a cédé : Tomi a laissé tomber le violon, un point c’est tout. De toute façon, si on le force il s’enfuit et on le retrouve perché dans l’arbre, quand on le retrouve… Celui-là, on le mettra pas dans une case. Moi c’est le contraire, j’aimerais bien y entrer, dans les cases, mais j’y arrive pas. J’arrive pas à grand-chose, à cause de ma tête, ou alors c’est Dieu qui m’a fait comme ça mais pourquoi ? Je donnerais cher pour savoir quel travail ils vont nous donner, les Allemands.
L’important, c’est qu’ils me demandent pas de coudre. J’y peux rien, ça veut pas. Quand je sculpte, ça va, les morceaux s’associent dans ma tête, ils tournent, c’est beau comme une valse d’Abel, j’entends le rythme d’abord, les mouvements arrivent, ensuite y a plus qu’à suivre les pas. Avec les tissus, rien. Pour la boucherie, c’était pareil : je distinguais pas un quasi de veau d’une côte d’agneau. On m’a même placé chez un comptable, y a pas eu moyen. Les choses normales, ça marche pas avec moi. Même la fille de l’autre fois, la brune du bordel, elle m’a regardé et je ne sais plus comment elle a tourné sa phrase mais ça voulait dire : t’es totalement à côté de la plaque. Elle m’a raccompagné à la porte et rien fait payer. Je rentre pas dans les cases, moi. Y a peut-être même pas de case pour moi. Quand j’y pense ça me fait mal et il comprend ça, Tomi… Il va me manquer, le môme. Je donnerais tout, tout pour savoir dans quoi on va bosser.