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Premières lignes - Page 6

  • Premières lignes #88

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    Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
    Le principe est de, chaque semaine, vous faire découvrir un livre en vous en livrant les premières lignes.

    Cette semaine, je vous présente Grace and fury de Tracy Banghart

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    Serina Tessaro se trouvait sur les marches de la fontaine au centre de la grand-place de Lanos, parmi neuf autres jeunes filles de son âge toutes vêtues de leur plus belle robe. Son sourire éclatant semblait inaltérable, alors même que le crépuscule étouffant, accompagné d’une brume charbonneuse, pesait sur elle.
    Signor Pietro jaugea chacune des candidates, les yeux mi-clos. Il les connaissait toutes depuis leur naissance, les observait, les évaluait, jugeait leur potentiel. Sa moustache poivre et sel frémit lorsqu’il pinça les lèvres.
    La silhouette sombre et imposante des montagnes dominait la ville couverte de suie, ne laissant passer que les ultimes lueurs du jour. La famille de Serina se tenait un peu en retrait de la foule, dans l’ombre. Seules les joues rougies de Nomi étaient visibles. Même à cette distance, Serina percevait la fureur dans le regard de sa sœur. Leur frère, Renzo, laissait une main sur le bras de celle-ci, comme pour la retenir. Serina ne pouvait pas déchiffrer son expression, cependant elle était convaincue qu’il ne partageait pas l’excitation qu’affichaient leurs parents.
    Signor Pietro se détourna des jeunes filles sur les marches de la fontaine pour s’adresser à l’assemblée réunie pour l’occasion. Il allait rendre son verdict. Serina sentait son cœur battre dans sa gorge, mais elle dissimulait son impatience derrière une apparente sérénité. Sa mère lui avait appris l’importance des masques.
    — Cette année, pour la première fois, l’Héritier reprendra la tradition et se choisira trois Grâces. Chaque province est autorisée à envoyer une concurrente dans l’espoir d’accéder à cet honneur. En tant que gouverneur de Lanos, il m’incombe de choisir celle de nos filles qui entreprendra le voyage jusqu’à Bellaqua.
    Peut-être marqua-t-il un silence. Peut-être chercha-t-il à faire durer le suspense. Et pourtant, contrairement à ce que Serina s’était imaginé, le temps ne ralentit pas. Le gouverneur continuait à égrener les mots de sa voix égale et dépassionnée, et ces mots étaient :
    — J’ai choisi Serina Tessaro.
    La foule applaudit. Une lueur d’espoir éclaira le regard de Mamma Tessaro. Nomi se décomposa.
    Hébétée, Serina fit un pas en avant puis exécuta une révérence. Elle n’en revenait pas. Elle irait à Bellaqua. Elle quitterait la ville sale et étouffante de Lanos.
    Elle en avait si souvent rêvé. Elle prendrait le train pour la première fois et traverserait les paysages luxuriants de Viridia. Elle découvrirait la ville du Supérieur, avec ses canaux et son immense palais de marbre. Elle rencontrerait l’Héritier. Il serait aussi beau qu’un prince de conte de fées.
    Et, s’il la choisissait, elle vivrait dans son beau palazzo jusqu’à la fin de ses jours. Elle n’aurait jamais à travailler dans une usine de textile comme sa mère ou à devenir servante comme sa cousine. Pas plus qu’elle ne serait forcée d’épouser l’homme prêt à débourser le plus pour obtenir sa main. Elle assisterait à des bals somptueux et ne manquerait de rien. Sa famille ne connaîtrait pas non plus le besoin. Et même Nomi, en dépit de ses réticences, vivrait une vie meilleure : elle quitterait Lanos, elle aussi, puisqu’elle serait au service de sa sœur.

     

    Alors, tentés?

  • Premières lignes #87

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    Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
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    Cette semaine, je vous présente 1984 de George Orwell.

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    C’était une journée d’avril froide et claire. Les horloges sonnaient treize heures. Winston Smith, le menton rentré dans le cou, s’efforçait d’éviter le vent mauvais. Il passa rapidement la porte vitrée du bloc des « Maisons de la Victoire », pas assez rapidement cependant pour empêcher que s’engouffre en même temps que lui un tourbillon de poussière et de sable.
    Le hall sentait le chou cuit et le vieux tapis. À l’une de ses extrémités, une affiche de couleur, trop vaste pour ce déploiement intérieur, était clouée au mur. Elle représentait simplement un énorme visage, large de plus d’un mètre : le visage d’un homme d’environ quarante-cinq ans, à l’épaisse moustache noire, aux traits accentués et beaux.
    Winston se dirigea vers l’escalier. Il était inutile d’essayer de prendre l’ascenseur. Même aux meilleures époques, il fonctionnait rarement. Actuellement, d’ailleurs, le courant électrique était coupé dans la journée. C’était une des mesures d’économie prises en vue de la Semaine de la Haine.
    Son appartement était au septième. Winston, qui avait trente-neuf ans et souffrait d’un ulcère variqueux au-dessus de la cheville droite, montait lentement. Il s’arrêta plusieurs fois en chemin pour se reposer. À chaque palier, sur une affiche collée au mur, face à la cage de l’ascenseur, l’énorme visage vous fixait du regard. C’était un de ces portraits arrangés de telle sorte que les yeux semblent suivre celui qui passe. Une légende, sous le portrait, disait : BIG BROTHER VOUS REGARDE.
    À l’intérieur de l’appartement de Winston, une voix sucrée faisait entendre une série de nombres qui avaient trait à la production de la fonte. La voix provenait d’une plaque de métal oblongue, miroir terne encastré dans le mur de droite. Winston tourna un bouton et la voix diminua de volume, mais les mots étaient encore distincts. Le son de l’appareil (du télécran, comme on disait) pouvait être assourdi, mais il n’y avait aucun moyen de l’éteindre complètement. Winston se dirigea vers la fenêtre. Il était de stature frêle, plutôt petite, et sa maigreur était soulignée par la combinaison bleue, uniforme du Parti. Il avait les cheveux très blonds, le visage naturellement sanguin, la peau durcie par le savon grossier, les lames de rasoir émoussées et le froid de l’hiver qui venait de prendre fin.
    Au-dehors, même à travers le carreau de la fenêtre fermée, le monde paraissait froid. Dans la rue, de petits remous de vent faisaient tourner en spirale la poussière et le papier déchiré. Bien que le soleil brillât et que le ciel fût d’un bleu dur, tout semblait décoloré, hormis les affiches collées partout. De tous les carrefours importants, le visage à la moustache noire vous fixait du regard. Il y en avait un sur le mur d’en face. BIG BROTHER VOUS REGARDE, répétait la légende, tandis que le regard des yeux noirs pénétrait les yeux de Winston. Au niveau de la rue, une autre affiche, dont un angle était déchiré, battait par à-coups dans le vent, couvrant et découvrant alternativement un seul mot : ANGSOC. Au loin, un hélicoptère glissa entre les toits, plana un moment, telle une mouche bleue, puis repartit comme une flèche, dans un vol courbe. C’était une patrouille qui venait mettre le nez aux fenêtres des gens. Mais les patrouilles n’avaient pas d’importance. Seule comptait la Police de la Pensée.

     

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  • Premières lignes #86

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    Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
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    Cette semaine, je vous présente Un couple irréprochable d'Alafair Burke.

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    En un instant, je suis devenue celle que j’étais censée être depuis le début : l’épouse qui ment pour protéger son mari.
    J’ai bien failli ne pas entendre toquer à la porte d’entrée. J’avais ôté le heurtoir de cuivre douze jours plus tôt, comme si c’était suffisant pour empêcher d’autres journalistes de se présenter chez moi à l’improviste. Quand j’ai fini par identifier l’origine du bruit, je me suis redressée dans mon lit et j’ai récupéré la télécommande pour couper le son de la télévision. Luttant contre l’instinct qui me poussait à ne pas bouger, je me suis levée pour aller écarter les rideaux devant la fenêtre de ma chambre. Éblouie par la lumière de l’après-midi, j’ai plissé les yeux.
    J’ai distingué sur mon perron la silhouette d’une femme aux courts cheveux noirs. L’Impala garée devant la bouche d’incendie de l’autre côté de la rue aurait tout aussi bien pu s’orner d’un panneau « Voiture de patrouille banalisée ». C’était encore cette inspectrice de police. J’avais rangé sa carte de visite dans mon portefeuille, pour éviter que Jason ne tombe dessus par inadvertance. Elle frappait toujours à la porte, et je me suis bornée à l’observer, jusqu’au moment où elle s’est assise sur une marche, avant d’ouvrir le journal déposé par le livreur.
    Après avoir enfilé un sweat-shirt par-dessus mon pyjama, je suis descendue au rez-de-chaussée.
    — Je vous ai réveillée ? a-t-elle lancé d’un ton réprobateur. À trois heures de l’après-midi ?
    J’aurais aimé rétorquer que j’avais tout à fait le droit de me reposer chez moi sans avoir à me justifier, pourtant je me suis contentée de marmonner que j’avais la migraine. Mensonge numéro un – un petit, mais un mensonge quand même.
    — Je vous conseille un mélange de vinaigre et de miel, a-t-elle déclaré. Ça marche à tous les coups.
    — Je crois que je préfère encore avoir mal à la tête. Bon, si vous voulez parler à Jason, adressez-vous à notre avocate.
    — Je vous l’ai déjà dit, Olivia Randall n’est pas votre avocate, c’est celle de votre mari.
    Lorsque j’ai voulu fermer le battant, elle l’a écarté avec autorité.
    — Écoutez, Angela, vous pensez sans doute que l’instruction concernant votre époux est suspendue. Or je suis habilitée à poursuivre mes investigations, surtout dans le cadre d’une nouvelle affaire.
    J’aurais sans doute dû lui claquer la porte au nez, mais elle brandissait la menace d’une autre calamité imminente. Mieux valait la prendre en pleine figure plutôt que d’attendre qu’elle me tombe dessus par surprise.
    — De quoi s’agit-il, cette fois ?
    — J’ai besoin de savoir où se trouvait Jason hier soir.
    Pourquoi fallait-il qu’elle m’interroge justement sur cette nuit-là ? Si la question avait porté sur n’importe quelle autre date au cours de nos six années de mariage, je lui aurais répondu en toute franchise.
    J’avais déjà été informée par l’avocate de Jason que, pour ce genre d’information, je ne pouvais pas me retrancher derrière le principe du privilège conjugal. Si on me traînait devant un jury, ma réticence à répondre pourrait passer pour l’aveu implicite que je cachais quelque chose. Or cette policière ne faisait que formuler une demande simple : où était mon mari la veille au soir ?
    — Il était ici, avec moi.
    La dernière fois qu’un policier m’avait posé une question directe remontait à douze ans, pourtant ma première réaction était toujours de mentir.
    — Toute la nuit ?
    — Oui. Un ami nous avait apporté à manger pour la journée. On évite les apparitions en public, depuis quelque temps.
    — Quel ami ?
    — Colin Harris. Il avait acheté des plats dans un restaurant de Gotham. Je peux vous donner les coordonnées de l’établissement, si vous voulez vérifier.
    — Quelqu’un d’autre peut confirmer que votre mari était ici avec vous ?
    — Mon fils, Spencer. Il a téléphoné de son camp de vacances vers dix-neuf heures trente et nous a parlé à tous les deux.
    Les mots semblaient jaillir tout seuls de ma bouche, s’enchaînant avec aisance.
    — Vous n’avez qu’à éplucher nos relevés téléphoniques, si vous ne me croyez pas. Bon, vous allez m’expliquer ce qui se passe ?
    — Kerry Lynch a disparu.
    Cette déclaration m’a fait un drôle d’effet. Kerry Lynch a disparu. Cette femme qui nous harcelait s’était soudain volatilisée ?

     

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  • Premières lignes #85

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    Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
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    Cette semaine, je vous présente Echange fatal de Siobhàn MacDonald

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    Elle n’aurait jamais tenu aussi facilement dans le coffre de sa voiture à lui. Il pose deux doigts contre son joli cou et appuie légèrement. Au cas où. Aucun pouls. Le coup a été fatal. Il glisse vers elle un ultime regard puis referme le coffre.
    Il a les mains couvertes de son sang. Oscar contemple les curieux motifs qui se forment sur sa peau pâle. Pas de gants en latex, cette fois-ci. Il tente de réfléchir. Dans le froid, il bouge à peine, et regarde les minuscules perles rouges glisser le long de ses poils rêches jusqu’à son alliance. Son ventre le brûle – la sensation remonte jusqu’à sa poitrine. Il perd le contrôle ; sa respiration saccadée dessine des nuages dans l’obscurité. Oscar est en panique. En l’espace de trois minutes, l’homme s’est mué en un animal tremblant.
    De l’autre côté de la rue, l’eau des chutes déferle. Oscar a déjà connu ce sentiment. C’était il y a longtemps, mais le souvenir est encore vivace. En CM1, il flanque à Annabel Klein un tel coup de poing au ventre que la fille vomit. Un autre souvenir le traverse. Cette fois, il est penché au-dessus de Brigitte et la regarde mourir. Au loin retentit un funèbre carillon. Ce qui est fait est fait.
    Un soudain battement d’ailes. Oscar lève les yeux et voit une nuée de cygnes piquer à travers le ciel du soir. Une bruine se met à tomber ; le clapotis des gouttes se fait entendre sur les sacs en plastique qui jonchent le sol à ses pieds. Les éclats de verre d’un bocal brisé se mêlent à des sachets de pop-corn éventrés. À côté gisent une banane écrasée – la pulpe débordant de la peau – et un paquet de brownies maculé de sang.
    Ne devrait-il pas inspecter une dernière fois le coffre de la voiture pour en avoir le cœur net ?
    Du bout des doigts, il cherche la poignée. C’est une berline, une Volkswagen. Différente de sa BMW. La voiture dans laquelle ils s’étaient querellés, tentant de réparer les choses. Il avait tellement voulu rectifier le tir. Ses doigts glissent de gauche à droite à la recherche de la poignée. Il y a du sang partout sur l’insigne VW. Enfin, la voilà.
    — Papa ?
    Il s’immobilise. Il n’avait pas vu les enfants s’avancer prudemment sur les gravillons.
    — Elliot ?
    Son fils de neuf ans, en pyjama dans l’allée, est tout tremblant. Derrière lui se trouve Jess, sa fille de douze ans.
    — Ça fait un temps fou que t’es sorti, papa, dit Elliot.
    C’est plus une question qu’une affirmation.
    Jess, perplexe, ouvre de grands yeux innocents. Il la voit balayer du regard ce qui reste des courses répandues dans l’allée. Pas question que ses enfants apprennent ce qui vient de se passer. Il faut les protéger, coûte que coûte. Ces acouphènes qui le reprennent. Sa bouche dessine un sourire forcé, qu’il espère convaincant.
    Le visage de Jess devient livide à mesure qu’elle progresse vers lui. Il peine à supporter le bruit dans ses oreilles.
    — Qu’est-ce qu’il y a, Jess ?
    Il voit la bouche de sa fille bouger. Elle lui demande quelque chose.
    — Qu’est-ce que tu as dit ? crie-t-il.
    — Où est maman ? crie-t-elle à son tour.

     

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  • Premières lignes #84

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    Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
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    Cette semaine, je vous présente Apostasie de Vincent Tassy.

     

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    Mon ombre.
    Ma pauvre ombre.
    Depuis le coucher du soleil, elle saigne. Et ça ne s’arrêtera plus. Mais d’où vient-il, tout ce sang ? De nulle part, sans doute. Des eaux noires d’une malédiction.
    Je ne pourrai plus sortir de chez moi, maintenant. Je m’en moque. Je vais peut-être me laisser mourir de faim. Me noyer. Est-ce que mon ombre saignera encore quand je serai mort ? Est-ce qu’elle pourra engloutir le monde ? Oui. Je crois bien. Je l’ai lu.
    On trouvera mon corps, la source de ce mal inconnu. On l’enterrera quelque part. On priera pour que des funérailles mettent fin à l’inondation. Mais le sang se répandra encore et encore ; partout dans la terre, depuis la racine poreuse de mon cercueil. Même dans l’obscurité de la tombe j’aurai toujours une ombre. Alors on étudiera les arcanes de ma dépouille pour neutraliser son fléau, on voudra me réduire en cendres, mais leurs ombres invisibles, même celles de mes chairs désintégrées, saigneront en averses éternelles. Dans des siècles, ou plus tôt, ou plus tard, mes ombres auront tout noyé.

    Je n’ignore plus les raisons de cette blessure indolore qui ne cicatrisera jamais. Ce sang, ce sang qui ne tarit pas, mon ombre ne l’aurait jamais versé si je n’avais pas été la proie des fleurs de la Sylve Rouge.
    À l’heure noire où mon ombre ruisselle je voudrais dire l’histoire des fleurs maudites, des amours maudites, des splendeurs maudites qui m’ont mené ici. Reclus dans mon taudis, à la lueur grise et fatiguée d’une ampoule nue, je voudrais une dernière fantaisie, raconter l’histoire d’Apostasie.
    Mon encre n’est pas enchantée. Mes mots n’auront pas d’énergie ; il n’y aura pas de miracle. Lorsqu’à la surface du monde il n’y aura plus que du sang, mes feuillets se ramolliront, et les souvenirs qu’ils renferment disparaîtront bêtement. C’est tout.
    Mais je dois faire vite. Bientôt, on frappera à ma porte ; ce sera quelqu’un qui passe près d’ici, et qui s’inquiète du liquide qui se faufile dans l’interstice.

     

    Alors, tentés?

  • C'est lundi que lisez-vous? #242

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    Rendez-vous initié par Mallou qui s'est inspirée de It's Monday, What are you reading ? de One Person’s Journey Through a World of Books. Le récapitulatif des liens se fait maintenant sur le blog I believe in Pixie Dust.

     

    Il s'agit de répondre à trois questions:

    Qu'ai-je lu la semaine passée?
    Que suis-je en train de lire?
    Que lirai-je après?

     

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    La vallée des Carnutes.jpg Assassins - Les Psychopathes célèbres.jpg La surprise de noël.jpg

    Les dieux déchus.jpg Un palais de glace et de lumière.jpg

     

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    Et vous, que lisez-vous?

  • Premières lignes #83

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    Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
    Le principe est de, chaque semaine, vous faire découvrir un livre en vous en livrant les premières lignes.
    Pour ma part, j’ai décidé de vous faire découvrir mes coups de cœurs !

     

    Cette semaine, je vous présente The wicked deep de Shea Ernshaw

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    LA MER

    Trois sœurs arrivèrent à Sparrow, dans l’Oregon, en 1822, après avoir débarqué du Lady Astor, un navire qui faisait commerce de fourrure et qui coula dans le port cette même année, juste au-delà du cap.
    Ces trois sœurs furent parmi les premières à s’installer dans la ville côtière tout juste fondée, dans ce nouveau territoire qu’elles parcouraient comme des oiseaux à fines pattes, cheveux caramel ondoyant au vent et peau pastel. Elles étaient belles – trop belles, diraient plus tard les gens de la ville. Marguerite, Aurora et Hazel tombaient souvent amoureuses, mais rarement des hommes qu’il fallait – plutôt de ceux dont le cœur appartenait déjà à quelqu’un. C’étaient des séductrices, des tentatrices auxquelles les hommes ne parvenaient pas à résister.
    Mais pour les habitants de Sparrow, elles étaient bien davantage. Ils pensaient qu’elles étaient des sorcières qui jetaient des sorts aux hommes pour les rendre infidèles.
    Et c’est ainsi qu’à la fin du mois de juin, alors que la lune n’était plus qu’un éclat ténu dans le ciel couvert, on attacha des pierres aux chevilles des trois sœurs et on les jeta dans l’océan juste au-delà du cap, où elles sombrèrent et se noyèrent. Tout comme le navire sur lequel elles étaient arrivées.


    UN

    J’ai une vieille photo noir et blanc, qui date des années 1920, où l’on voit une femme dans un cirque ambulant, flottant dans un énorme aquarium rempli d’eau ; ses cheveux clairs tourbillonnent autour de sa tête et ses jambes sont dissimulées dans une fausse queue de sirène, faite de tissu et de fil métalliques pour donner l’illusion des écailles. Fine et angélique, les lèvres étroitement serrées, elle retient sa respiration dans l’eau glaciale. Devant la cuve en verre, des hommes la contemplent comme s’il s’agissait d’une véritable sirène. Si facilement dupés par ce spectacle.
    Je repense à cette photographie chaque printemps, quand, à travers la ville, les murmures se réveillent au sujet des trois sœurs qui ont été noyées de l’autre côté de l’embouchure du port, après l’île Lumière, où je vis avec ma mère. J’imagine les trois jeunes femmes flottant en délicats fantômes sous la surface de l’eau et ses ombres obscures, préservées, versatiles, tout comme la sirène de foire. Est-ce qu’elles ont lutté pour rester hors de l’eau, deux cents ans plus tôt, quand on les a jetées dans les profondeurs, ou est-ce qu’elles ont laissé le poids de chacune des pierres les entraîner au fond du Pacifique glacé ?
    Un brouillard matinal, sombre et humide, glisse au-dessus de l’océan entre l’île Lumière et la ville de Sparrow. L’eau est calme alors que je descends vers le ponton. Je commence à détacher le skiff – un bateau à fond plat avec deux banquettes et un moteur hors-bord. Ce n’est pas l’idéal pour manœuvrer dans les tempêtes ni les bourrasques, mais ça suffit amplement pour des allers-retours en ville. Otis et Olga, les deux chats roux tigrés qui ont mystérieusement fait leur apparition sur l’île il y a deux ans alors qu’ils n’étaient que des chatons, m’ont suivie jusqu’au bord de l’eau, miaulant derrière moi comme s’ils pleuraient mon départ. Je pars tous les matins à cette heure-ci, traversant la baie avant que la sonnerie n’annonce le début des cours – économie mondiale, matière qui ne me servira jamais – et, tous les matins, ils m’accompagnent jusqu’au ponton.
    La lumière intermittente du phare balaie l’île et, à un moment, passe sur une silhouette qui se tient sur la rive rocheuse à l’ouest, au sommet de la falaise : ma mère. Les bras croisés, son buste fragile bien enveloppé dans son pull beige à mailles côtelées, elle scrute l’immense Pacifique comme tous les matins, attendant quelqu’un qui ne reviendra jamais : mon père.
    Olga se frotte contre mon jean, arrondit son maigre dos et lève la queue, essayant de m’amadouer pour que je la prenne dans les bras, mais je n’ai pas le temps. Je relève la capuche de mon ciré bleu marine, monte dans le bateau et tire la ficelle du moteur jusqu’à ce qu’il s’anime en crachotant, puis j’engage le bateau dans le brouillard. Je ne vois ni la rive ni la ville à travers la couche d’humidité opaque, mais je sais qu’elles sont là.

     

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  • Premières lignes #82

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    Pour ma part, j’ai décidé de vous faire découvrir mes coups de cœurs !

     

    Cette semaine, je vous présente La prisonnière du temps de Kate Morton.

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    Si nous nous sommes retrouvés à Birchwood Manor, c’est que les lieux, disait Edward, étaient hantés. Ce n’était pas le cas – pas encore –, mais il faut être bien revêche pour s’abstenir de raconter une bonne histoire sous prétexte qu’elle est fausse. Edward était tout sauf revêche. Sa passion, sa foi aveugle en ce qu’il défendait, même les idées les plus absurdes, constituaient deux des raisons pour lesquelles j’étais tombée amoureuse de lui. Il avait la ferveur du prêcheur : dans sa bouche, n’importe quelle opinion revêtait la puissance d’une parole d’évangile. Il avait aussi le don d’attirer à lui des hommes et des femmes et d’allumer en eux des enthousiasmes incendiaires – brasiers devant lesquels tout pâlissait, hormis Edward et ses convictions.
    Mais Edward n’était pas un prêcheur.
    Je me souviens de lui. Je n’ai rien oublié.
    L’atelier dans le jardin de sa mère, à Londres, avec son toit de verre, l’odeur des couleurs qu’il venait de mélanger, le crissement des soies du pinceau sur la toile, tandis que son regard frôlait ma peau. Ce jour-là, j’avais les nerfs à vif. J’étais si désireuse de l’impressionner, de lui donner à voir une jeune femme que je n’étais pas, pendant qu’il me jaugeait et que l’injonction de Mme Mack me trottait dans la tête. « Ta mère était une vraie dame, ta famille des plus honorables : ne va pas l’oublier, ça, hein ! Si tu joues les bonnes cartes, nous recueillerons le fruit de nos efforts. »
    Alors je m’étais redressée sur la chaise en bois de rose, ce jour-là, dans l’atelier aux murs passés à la chaux, sous le buisson de pois de senteur aux rougeurs subtiles.

    Lorsque j’avais eu faim, la plus jeune de ses sœurs m’avait servi du thé et des gâteaux. Puis sa mère avait descendu l’étroite allée pour le regarder peindre. Elle adorait son fils. Elle voyait en lui s’accomplir les espoirs de la famille. Membre distingué de la Royal Academy, il était fiancé à une demoiselle généreusement dotée avec laquelle il engendrerait bien vite une portée d’héritiers aux yeux bruns.
    Une fille comme moi n’était pas faite pour lui.

    Sa mère par la suite s’est reproché le cours des événements. Mais il lui aurait été plus facile d’empêcher la lune de se lever que de nous séparer. J’étais, disait Edward, sa muse, son destin. Il l’avait su, compris, à la seconde où il m’avait vue sous la lumière trouble des becs de gaz, dans le vestibule du théâtre de Drury Lane.
    J’étais sa muse et son destin. Et lui, il était mien.
    C’était il y a si longtemps. Et c’était hier.
    Oh, je me souviens de l’amour.


    Alors, tentés?

  • Premières lignes #81

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    Pour ma part, j’ai décidé de vous faire découvrir mes coups de cœurs !

     

    Cette semaine, je vous présente Dry de Neal Shusterman.

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    Le robinet de la cuisine produit des bruits très étranges.
    Il toussote et siffle comme un vieillard asthmatique. Il gargouille comme une personne qui se noie. Il crache une fois, puis se tait. Notre chien, Kingston, dresse les oreilles tout en se tenant à distance de l’évier de peur qu’il ne se ranime soudain. Malheureusement, ce n’est pas le cas.
    Maman se tient plantée là, l’air étonnée, la gamelle de Kingston tendue sous le robinet. Elle le referme.
    — Alyssa, va chercher ton père.
    Depuis qu’il a entrepris de rénover notre cuisine tout seul, papa se prend pour un expert en plomberie. Et un électricien professionnel. « Pourquoi payer des entrepreneurs les yeux de la tête quand on peut le faire soi-même ? » nous rabâchait-il sans cesse. Jusqu’au jour où il a joint le geste à la parole. Depuis, nous croulons sous les problèmes d’électricité et de tuyauterie.
    Papa est dans le garage, occupé à réparer sa voiture avec oncle Basil – qui vit plus ou moins avec nous depuis que sa plantation d’amandiers de Modesto a mis la clé sous la porte. En réalité, oncle Basil se prénomme Herb, mais un jour, mon frère et moi on s’est mis à le rebaptiser sous différents noms d’herbes aromatiques de notre jardin. Oncle Dill, comme l’aneth. Oncle Thym, ou encore oncle Chive, pour la ciboulette. Et même, à une époque que nos parents préféreraient oublier, oncle Cannabis. Pour finir, on a adopté oncle Basil, comme le basilic.
    — Papa ! je crie dans le garage. Y a un souci dans la cuisine.
    Mon père est allongé sous sa Toyota Camry. Seuls ses pieds dépassent. Ça me fait penser à ceux de la Méchante Sorcière de l’Ouest. Quant à oncle Basil, il est caché derrière un épais nuage de vapeur produit par sa cigarette électronique.
    — Ça ne peut pas attendre ? rétorque mon père, sous la voiture.
    Mon petit doigt me dit que non… Ça urge.
    — Je pense que la situation est critique.
    Il s’extirpe de dessous la carrosserie et, dans un profond soupir, se dirige vers la cuisine.
    Maman s’est déplacée. Elle se tient maintenant sur le seuil du salon, immobile, la gamelle du chien dans la main gauche. Un frisson me parcourt, et je ne saurais dire pourquoi.
    — Qu’est-ce qu’il y a de si important pour que tu me déranges en pleine séance de…
    — Chut ! l’interrompt maman.
    Ça lui arrive rarement de dire à papa de se taire. À Garrett et moi, oui, toute la journée. Mais mes parents ne font jamais ça entre eux. C’est une règle tacite.
    Elle regarde la télé, où la présentatrice du journal télévisé évoque la « crise de l’eau ». C’est ainsi que les médias en parlent depuis que les gens en ont eu assez d’entendre rabâcher le mot « sécheresse ». Un peu comme le « réchauffement climatique » devenu le « changement climatique », et le terme « guerre » remplacé par le mot « conflit ». Maintenant, ils ont trouvé une nouvelle formule. Une nouvelle étape dans le drame qui touche nos ressources en eau. On parle désormais de « Tap-Out », pour faire référence à l’eau qui ne coule plus des robinets.
    Oncle Basil émerge de son nuage de vapeur un instant.
    — Qu’est-ce qui se passe ?
    — L’Arizona et le Nevada viennent de se retirer de l’accord sur l’approvisionnement en eau, lui apprend maman. Ils ont fermé tous les barrages sous prétexte qu’ils ont eux-mêmes besoin de l’eau.
    Autrement dit, le fleuve Colorado n’atteindra plus la Californie.
    Oncle Basil s’imprègne de la nouvelle.
    — Ils ferment le fleuve comme s’il s’agissait d’un vulgaire robinet ! Ils ont le droit ?
    Mon père hausse un sourcil.
    — Ils viennent de le faire.

     

    Alors, tentés?

  • Premières lignes #80

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    Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
    Le principe est de, chaque semaine, vous faire découvrir un livre en vous en livrant les premières lignes.
    Pour ma part, j’ai décidé de vous faire découvrir mes coups de cœurs !

     

    Cette semaine, je vous présente Dix millions d'étoiles de Robin Roe.

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    Il y a dans cette école une pièce que je suis le seul à connaître. Si je pouvais me téléporter, j’y serais en ce moment. Peut-être qu’en me concentrant…
    — Julian.
    Son ton est tellement tranchant que je sursaute.
    — Vous êtes au lycée depuis à peine un mois et vous avez déjà raté six fois le cours de lettres.
    Je suis sûr d’avoir séché encore plus que ça, mais j’imagine que personne ne s’en est rendu compte.
    Le proviseur se penche en avant, les deux poings autour de sa grande canne biscornue, celle avec la petite créature sculptée. J’ai entendu d’autres élèves en parler, se demander si c’est un gnome, un troll ou carrément une réplique minuscule de M. Pearce. De là où je suis, je vois bien la ressemblance.
    — Regardez-moi ! crie-t-il.
    Je ne comprends pas trop pourquoi les gens veulent qu’on les regarde quand ils sont en colère contre vous. C’est justement dans ces moments-là qu’on a le plus envie de détourner la tête. Quand je fais ce qu’il me demande, son bureau sans fenêtres semble rapetisser, et moi avec.
    — Avec une bonne coupe de cheveux, vous auriez moins de mal à regarder les gens dans les yeux.
    Lorsqu’il me voit dégager la mèche qui tombe sur mon visage, il fulmine encore plus.
    — Pourquoi n’allez-vous pas en cours de lettres ?
    — Je… (Je me racle la gorge.) Je n’aime pas ce cours.
    — Pardon ?
    Les gens me demandent tout le temps de répéter ou de parler plus fort. La raison principale pour laquelle je n’aime pas le cours de lettres est que Mlle Cross nous oblige à lire tout haut. Et quand c’est mon tour, je bute sur les mots, et elle me reproche de parler trop bas. Sachant cela, je décide de hausser un peu la voix :
    — Je n’aime pas ce cours.
    L’air complètement abasourdi, M. Pearce lève deux sourcils gris.
    — Pensez-vous vraiment que le fait de ne pas aimer un cours vous dispense d’y assister ?
    — Je…
    Pour les autres, parler semble être naturel. Ils savent automatiquement quoi répondre lorsqu’on s’adresse à eux. Mais chez moi, c’est comme si le conduit reliant le cerveau à la bouche était endommagé, et que je souffrais d’une forme rare de paralysie. Vu que je n’arrive pas à trouver mes mots, je tripote le bout en plastique de mon lacet.
    — Répondez à ma question ! Est-ce que le fait de ne pas aimer un cours vous dispense d’y assister ?
    Les gens n’ont pas envie d’entendre ce que vous pensez vraiment. Ils veulent vous entendre dire ce qu’ils pensent eux. Et c’est compliqué de lire dans les pensées des autres…
    Le principal roule des yeux.
    — Regardez-moi, jeune homme !
    Je lève la tête et je me retrouve nez à nez avec sa figure toute rouge. M. Pearce grimace, et je me demande s’il a mal au genou ou au dos, comme c’est apparemment tout le temps le cas.
    — Je suis désolé, dis-je.
    Ses traits se détendent alors. Et puis soudain, ses sourcils broussailleux se rapprochent et il ouvre brusquement une chemise sur laquelle mon nom est écrit.
    — Je devrais appeler vos parents.
    Mes doigts se figent et laissent échapper le lacet.
    Ses lèvres esquissent un sourire.
    — Savez-vous ce qui me met du baume au cœur ?
    Je parviens à secouer la tête.
    — Voir cet air apeuré sur le visage d’un élève lorsque je menace de prévenir ses parents.
    Il colle le combiné contre son oreille. Lui et son petit monstre en bois me regardent tandis que les secondes défilent. Puis, lentement, il éloigne l’appareil de son visage.
    — Je ne suis peut-être pas obligé de téléphoner… En revanche, vous devez me promettre que je ne vous verrai plus jamais dans ce bureau.
    — Je vous le promets.
    — Alors filez en cours.
    Dans le couloir, j’essaie de respirer, mais je suis encore tout tremblant. Comme quand vous avez failli être renversé par une voiture et que vous vous êtes écarté d’un bond à la toute dernière seconde.

     

    Alors, tentés?