Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèque. La liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
Le principe est de, chaque semaine, vous faire découvrir un livre en vous en livrant les premières lignes.
Pour ma part, j’ai décidé de vous faire découvrir mes coups de cœurs !
Cette semaine, je vous présente Dix millions d'étoiles de Robin Roe.
Il y a dans cette école une pièce que je suis le seul à connaître. Si je pouvais me téléporter, j’y serais en ce moment. Peut-être qu’en me concentrant…
— Julian.
Son ton est tellement tranchant que je sursaute.
— Vous êtes au lycée depuis à peine un mois et vous avez déjà raté six fois le cours de lettres.
Je suis sûr d’avoir séché encore plus que ça, mais j’imagine que personne ne s’en est rendu compte.
Le proviseur se penche en avant, les deux poings autour de sa grande canne biscornue, celle avec la petite créature sculptée. J’ai entendu d’autres élèves en parler, se demander si c’est un gnome, un troll ou carrément une réplique minuscule de M. Pearce. De là où je suis, je vois bien la ressemblance.
— Regardez-moi ! crie-t-il.
Je ne comprends pas trop pourquoi les gens veulent qu’on les regarde quand ils sont en colère contre vous. C’est justement dans ces moments-là qu’on a le plus envie de détourner la tête. Quand je fais ce qu’il me demande, son bureau sans fenêtres semble rapetisser, et moi avec.
— Avec une bonne coupe de cheveux, vous auriez moins de mal à regarder les gens dans les yeux.
Lorsqu’il me voit dégager la mèche qui tombe sur mon visage, il fulmine encore plus.
— Pourquoi n’allez-vous pas en cours de lettres ?
— Je… (Je me racle la gorge.) Je n’aime pas ce cours.
— Pardon ?
Les gens me demandent tout le temps de répéter ou de parler plus fort. La raison principale pour laquelle je n’aime pas le cours de lettres est que Mlle Cross nous oblige à lire tout haut. Et quand c’est mon tour, je bute sur les mots, et elle me reproche de parler trop bas. Sachant cela, je décide de hausser un peu la voix :
— Je n’aime pas ce cours.
L’air complètement abasourdi, M. Pearce lève deux sourcils gris.
— Pensez-vous vraiment que le fait de ne pas aimer un cours vous dispense d’y assister ?
— Je…
Pour les autres, parler semble être naturel. Ils savent automatiquement quoi répondre lorsqu’on s’adresse à eux. Mais chez moi, c’est comme si le conduit reliant le cerveau à la bouche était endommagé, et que je souffrais d’une forme rare de paralysie. Vu que je n’arrive pas à trouver mes mots, je tripote le bout en plastique de mon lacet.
— Répondez à ma question ! Est-ce que le fait de ne pas aimer un cours vous dispense d’y assister ?
Les gens n’ont pas envie d’entendre ce que vous pensez vraiment. Ils veulent vous entendre dire ce qu’ils pensent eux. Et c’est compliqué de lire dans les pensées des autres…
Le principal roule des yeux.
— Regardez-moi, jeune homme !
Je lève la tête et je me retrouve nez à nez avec sa figure toute rouge. M. Pearce grimace, et je me demande s’il a mal au genou ou au dos, comme c’est apparemment tout le temps le cas.
— Je suis désolé, dis-je.
Ses traits se détendent alors. Et puis soudain, ses sourcils broussailleux se rapprochent et il ouvre brusquement une chemise sur laquelle mon nom est écrit.
— Je devrais appeler vos parents.
Mes doigts se figent et laissent échapper le lacet.
Ses lèvres esquissent un sourire.
— Savez-vous ce qui me met du baume au cœur ?
Je parviens à secouer la tête.
— Voir cet air apeuré sur le visage d’un élève lorsque je menace de prévenir ses parents.
Il colle le combiné contre son oreille. Lui et son petit monstre en bois me regardent tandis que les secondes défilent. Puis, lentement, il éloigne l’appareil de son visage.
— Je ne suis peut-être pas obligé de téléphoner… En revanche, vous devez me promettre que je ne vous verrai plus jamais dans ce bureau.
— Je vous le promets.
— Alors filez en cours.
Dans le couloir, j’essaie de respirer, mais je suis encore tout tremblant. Comme quand vous avez failli être renversé par une voiture et que vous vous êtes écarté d’un bond à la toute dernière seconde.
Alors, tentés?