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Premières lignes - Page 2

  • Premières lignes #128

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    Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
    Le principe est de, chaque semaine, vous faire découvrir un livre en vous en livrant les premières lignes.

    Cette semaine, je vous présente Fangirl de Rainbow Rowell

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    Simon Snow - Wikipédia, l’encyclopédie libre
    Cet article concerne la série de littérature jeunesse « Simon Snow ». Pour les sujets homonymes, voir « Simon Snow » (homonymie).

    Simon Snow est une suite romanesque de Fantasy en sept tomes écrite par la philologue anglaise Gemma T. Leslie. Les livres racontent l’histoire de Simon Snow, un jeune orphelin de onze ans originaire du Lancashire, en Angleterre, qui se voit invité à suivre sa scolarité à l’École de Magie de Watford où sont formés de puissants magiciens. Simon grandit, mûrit, au sein de l’établissement, et intègre un groupe d’enchanteurs, les Mages, qui luttent contre la Monotonie rampante, une créature maléfique qui tente de débarrasser le monde de toute trace de magie.

    Depuis la parution de Simon Snow et l’héritier du Mage, en 2001, les livres ont été traduits en 53 langues et, en août 2011, ont atteint les 380 millions d’exemplaires vendus.

    Les critiques ont souvent reproché à Leslie la violence de la série, ainsi que le mauvais caractère et l’égocentrisme de son héros. En 2008, une scène d’exorcisme présente dans le quatrième tome, Simon Snow et les quatre selkies, incite certains groupes chrétiens américains à boycotter la série. Pour autant, la saga devient très vite un classique de la littérature jeunesse dans de nombreux pays, et, en 2010, Le Monde qualifie Simon de « héros littéraire pour enfant le plus mémorable depuis Huckleberry Finn ».

    Un huitième tome, le dernier de la série, sortira le 1er mai 2012.

    Publications

    Simon Snow et l’héritier du Mage, 2001

    Simon Snow et le deuxième serpent, 2003

    Simon Snow et la troisième porte, 2004

    Simon Snow et les quatre selkies, 2007

    Simon Snow et les cinq lames, 2008

    Simon Snow et les six lapins blancs, 2009

    Simon Snow et le septième chêne, 2010

    Simon Snow et la huitième danse, sortie prévue le 1er mai 2012

    Chapitre premier

    UN GARÇON SE TROUVAIT CHEZ ELLE.

    Cath leva les yeux vers le numéro peint sur la porte, avant de relire le papier sur lequel étaient inscrites les références de la chambre qu’on lui avait attribuée.

    « Pound Hall, 913. »

    Elle était bien au 913, pas de doute là-dessus, mais, pour Pound Hall, elle en était moins sûre : les dortoirs se ressemblaient comme autant de gouttes d’eau, ici, à l’instar des tours de gériatrie dans lesquelles l’État parque les personnes âgées. Peut-être Cath devrait-elle joindre son père avant qu’il monte le reste des cartons…

    — Cather, c’est bien ça ? l’interrogea le jeune homme tout sourires, la main tendue vers elle.

    — Cath, répondit-elle, l’estomac taquiné par la panique.

    Elle fit mine de ne pas voir la main accueillante… Qui plus est, elle portait un carton : à quoi s’attendait ce type, au juste ?

    Ce devait être une erreur. Il fallait que c’en soit une ! Elle savait que Pound Hall était un dortoir mixte, mais de là à s’imaginer qu’il pouvait exister des chambres mixtes…

    Le jeune homme saisit le carton qu’elle portait, puis le posa sur l’un des deux lits encore inoccupé. Le second, à l’autre bout de la pièce, croulait déjà sous un tas de vêtements et de boîtes en tout genre.

    — Tu as encore des affaires, en bas ? lui demanda-t-il. On vient de finir, nous. Je crois qu’on va filer se prendre un burger. Ça te dit un burger ? Tu connais Pear ? Tu y es déjà allée ? Ils font des burgers aussi gros que ton poing, là-bas.

    Il s’approcha, prit un des bras de Cath et le leva à hauteur d’épaule. Elle déglutit.

    — Ferme le poing pour voir…

    Elle s’exécuta.

    — Non : plus gros que ton poing, même, déclara-t-il, avant de lâcher son bras, puis de récupérer le sac à dos qu’elle avait déposé devant la porte. Tu as d’autres cartons ? Forcément, oui : tu ne peux pas être venue juste avec ça… Tu as faim, au fait ?

    Grand et mince, il avait la peau mate, et ses cheveux d’un blond sombre qui fuyaient en tous sens donnaient l’impression qu’il venait de retirer un bonnet de laine. Cath baissa de nouveau les yeux vers le document du secrétariat. C’était lui, Reagan ?

    — Reagan ! lança avec enthousiasme le jeune homme. Regarde ! Ta coloc vient d’arriver !

    Une jeune fille tout juste débarquée du couloir contourna Cath et lui adressa un regard détaché par-dessus l’épaule. Elle avait des cheveux auburn satinés, et une cigarette éteinte pendait à ses lèvres. D’un geste vif, le jeune homme s’en empara et la mit à sa bouche.

    — Reagan, Cather. Cather, Reagan, annonça-t-il.

    — Cath, répéta la jeune femme.

    Reagan lui adressa un hochement de tête, puis plongea la main dans son sac à la recherche d’une autre cigarette.

    — Je me suis posée de ce côté, dit-elle en désignant du menton la pile de cartons entassés dans la partie droite de la chambre. Cela dit, je m’en cogne un peu d’être ici ou là ; donc, si t’es du genre acharnée du feng shui, hésite pas à bouger mon bordel.

     

    Alors, tentés?

  • Premières lignes #127

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    Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
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    Cette semaine, je vous présente Nord et sud d'Elizabeth Gaskell

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    — Edith ! murmura Margaret, Edith !

    Mais, ainsi que s’en doutait Margaret, Edith s’était endormie. Pelotonnée sur le sofa dans le petit salon de Harley Street, elle offrait un charmant spectacle avec sa robe de mousseline blanche et ses rubans bleus. Si Titania avait jamais été vêtue de mousseline blanche avec des rubans bleus et s’était endormie sur un sofa de damas rouge, on aurait pu confondre Edith avec elle. Margaret fut de nouveau frappée par la beauté de sa cousine. Elles avaient été élevées ensemble depuis l’enfance, et tout le monde, sauf Margaret, s’était extasié sur le joli visage d’Edith. Margaret n’y avait jamais prêté attention jusqu’à ces derniers jours, où la perspective de perdre bientôt sa compagne semblait rehausser toutes les qualités d’Edith et tous ses charmes. Elles avaient parlé de robes de mariage et de cérémonies nuptiales ; du capitaine Lennox et de ce qu’il avait raconté à Edith sur leur vie future à Corfou, où le régiment du capitaine était en garnison ; de la difficulté qu’il y avait à ce qu’un piano reste bien accordé (ce qui, pour Edith, semblait être l’un des plus redoutables soucis que la vie conjugale fût susceptible de lui réserver), et des robes dont elle aurait besoin pour les visites à rendre en Écosse aussitôt après son mariage. Mais le ton de la confidence s’était fait de plus en plus somnolent et après quelques minutes de silence, Margaret s’était aperçue, comme elle l’avait prévu, que malgré le brouhaha qui régnait dans la pièce voisine, Edith s’était blottie sur le canapé, telle une boule moelleuse de mousseline, rubans et boucles soyeuses, et s’était laissée aller à une paisible petite sieste.

    Margaret s’apprêtait à faire part à sa cousine de certains projets ou rêves qu’elle caressait, concernant son existence future au presbytère de campagne de ses parents, où elle avait toujours passé d’heureuses vacances, bien que ces dix dernières années elle eût vécu pour ainsi dire chez elle dans la demeure de sa tante Shaw. Mais faute d’interlocutrice, elle fut obligée de réfléchir en silence au changement de sa vie, comme elle l’avait fait jusqu’alors. C’étaient des réflexions agréables, malgré le regret qu’elle éprouvait à se séparer pour une période indéfinie de sa douce tante et de sa chère cousine. Tandis qu’elle pensait au bonheur qu’elle aurait à remplir le poste important de fille unique au presbytère de Helstone, les propos échangés dans la pièce voisine arrivèrent par bribes à ses oreilles. Sa tante Shaw s’adressait à cinq ou six visiteuses qui avaient dîné là et dont les maris se trouvaient encore dans la salle à manger. C’étaient des familières de la maison, des voisines que Mrs Shaw appelait des amies, car elle déjeunait avec elles plus souvent qu’avec quiconque, et si Edith ou elle voulait leur demander quelque chose, ou vice versa, elles ne se faisaient pas scrupule de se rendre visite, même avant le déjeuner.

    Ces dames et leurs époux avaient été invités en qualité d’amis à un repas d’adieu en l’honneur du prochain mariage d’Edith. Cette dernière avait soulevé quelques objections, car le capitaine Lennox devait arriver par le train tard dans la soirée ; mais bien qu’elle fût une enfant gâtée, elle était trop insouciante et indolente pour se montrer très opiniâtre, et elle avait cédé en découvrant que sa mère avait commandé à profusion les douceurs de la saison, dont l’efficacité était réputée souveraine contre les excès de chagrin des dîners d’adieu. Elle s’était contentée de s’adosser à sa chaise en mangeant du bout des lèvres, l’air grave et absent, tandis que tous, autour d’elle, appréciaient les bons mots de Mr Grey, le gentleman qui occupait invariablement le bout de la table aux déjeuners de Mrs Shaw, et qui avait prié Edith de les régaler de musique au salon. Mr Grey s’était montré particulièrement plaisant lors de ce dîner d’adieu, si bien que les messieurs étaient restés en bas plus longtemps qu’à l’ordinaire, ce qui, au demeurant, était une bonne chose, à en juger par les bribes de conversation qui parvenaient jusqu’à Margaret.

    — J’ai trop souffert moi-même. Non que je n’aie été extrêmement heureuse avec le pauvre général, mon cher époux ; il n’en reste pas moins que la différence d’âge est un handicap ; un handicap contre lequel je tenais à prémunir Edith. Naturellement, sans aucune partialité maternelle, je pensais bien que cette chère enfant se marierait de bonne heure ; au reste, j’avais souvent dit que j’étais sûre qu’elle se marierait avant ses dix-neuf ans. J’ai eu un véritable pressentiment lorsque le capitaine Lennox...

    Là, elle baissa la voix, mais Margaret n’eut aucun mal à suppléer les paroles qu’elle ne distinguait pas. Dans le cas d’Edith, l’amour véritable avait suivi son cours sans encombre. Mrs Shaw s’était abandonnée à son pressentiment, pour reprendre sa propre expression, et elle avait fortement poussé dans le sens du mariage, bien que cette alliance fût au-dessous des espoirs qu’entretenaient de nombreuses relations d’Edith pour une héritière aussi jeune et jolie qu’elle. Mais Mrs Shaw soutenait que sa fille unique devait faire un mariage d’amour, affirmation qu’elle soulignait d’un soupir appuyé, comme si l’amour n’était pas entré en ligne de compte dans son propre mariage avec le général. Mrs Shaw appréciait encore plus que sa fille l’aspect romanesque des fiançailles de celle-ci. Non qu’Edith ne fût véritablement amoureuse ; toutefois, elle eût sans doute préféré une belle demeure à Belgravia à tous les agréments pittoresques de la vie à Corfou telle que la décrivait le capitaine Lennox.

    Les détails qui suscitaient l’enthousiasme de Margaret étaient précisément ceux devant lesquels Edith faisait mine de frissonner et de frémir, moitié pour le plaisir de voir son amoureux indulgent dissiper ses réticences à force de cajoleries, moitié parce qu’elle éprouvait une répugnance réelle à vivre en bohème ou dans l’improvisation. Cependant, si quelqu’un s’était présenté avec une belle maison, un beau domaine et un beau titre en sus, Edith se fût cramponnée malgré tout au capitaine Lennox le temps de la tentation ; ensuite, peut-être eût-elle ressenti quelques menus regrets de ce que le capitaine Lennox ne réunît pas en sa personne toutes les qualités désirables. En cela, elle était la digne fille de sa mère qui, après avoir épousé de son plein gré le général Shaw sans éprouver pour lui de sentiment plus ardent que du respect pour sa personne et son état, déplorait discrètement mais constamment la dureté d’un sort qui l’avait unie à un homme qu’elle ne pouvait aimer.

    Puis Margaret entendit de nouveau sa tante :

    — Je n’ai pas regardé à la dépense pour son trousseau. Elle aura tous les somptueux châles et foulards indiens que le général m’avait offerts mais que je ne porterai plus jamais.

    — Elle a de la chance, répondit une autre voix, que Margaret reconnut : c’était celle de Mrs Gibson, une dame qui s’intéressait d’autant plus à la conversation qu’une de ses filles s’était mariée quelques semaines auparavant. Helen avait jeté son dévolu sur un châle indien, mais en vérité, lorsque j’ai découvert le prix extravagant qui en était demandé, je me suis vue contrainte de lui en refuser l’achat. Elle sera fort jalouse quand elle saura qu’Edith a des châles indiens. D’où viennent-ils ? De Delhi ? Avec ces ravissantes petites bordures ?

    Margaret perçut à nouveau la voix de sa tante, mais cette fois, elle eut l’impression que celle-ci avait quitté sa méridienne pour aller jeter un coup d’œil dans le petit salon plongé dans une semi obscurité.

    — Edith ! Edith ! cria-t-elle avant de se laisser retomber sur son siège, apparemment épuisée par cet effort.

    Margaret entra dans le salon.

    — Edith dort, ma tante. Que puis-je faire pour vous ?

    En entendant cette nouvelle alarmante concernant Edith, toutes ces dames s’exclamèrent :

    — La pauvre enfant ! et le petit bichon que Mrs Shaw tenait dans ses bras se mit à aboyer, comme s’il était sensible à leur accès de compassion.

    — Tais-toi, Menue ! Vilaine ! Tu vas réveiller ta maîtresse. Je voulais seulement demander à Edith de dire à Newton de nous descendre les châles. Tu veux bien t’en charger, ma petite Margaret ?

     

    Alors, tentés?

  • Premières lignes #126

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    Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
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    Cette semaine, je vous présente Ne la réveillez pas d'Angelina Delcroix

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    10 mars 2015, Seine-­et-Marne

    Il m’a vu ! Je dois courir plus vite. Si je me retourne, je suis mort.

    Des cris horribles ! C’est ça qui m’a réveillé. Et tout ce sang ! Mais qu’est-­ce que je faisais dans cette forêt ?

    Impossible de me souvenir.

    Le goût métallique sur mes lèvres me balance de violents coups de pied à l’estomac.

    Je dois sauver ma peau.

    Je le sens, il se rapproche de moi. Putain ! Non ! Je ne veux pas mourir !

    J’ai si mal dans ma poitrine. Mon cœur va exploser, mais je ne dois pas ralentir.

    C’est qui, ce type ? Et la femme ? Ça ne peut pas être elle.

    La nuit tombe. Je n’y vois plus rien. Les branches se jettent devant moi. Mes pieds s’emmêlent dans les souches. Merde !

    Pourtant, ces cheveux blonds, ce jogging gris et ces baskets roses. Je sais qu’elle vient courir ici deux soirs par semaine. Non ! Impossible !

    J’y suis. L’arbre tressé. C’est juste derrière. Ma gorge me brûle et laisse échapper des sifflements ridicules.

    Les ronces s’acharnent sur moi. Je n’ai pas le temps de les esquiver. Je fonce à travers toutes ces griffes. L’une d’elles m’agrippe le coin de la paupière et gagne un bout de chair. Mon œil se ferme sous la douleur, et ma main vient monter la garde.

    La stupeur me fige. C’est quoi, ça ? Pourquoi je porte des gants ?

    Et tout ce sang dessus ! Beaucoup trop pour qu’il vienne de mon œil.

    La voilà ! Elle est immense, cette baraque ! Pourquoi je me sens si mal en la voyant ? Et si la gueule du loup était devant moi ? Je suis pris au piège et la peur se propage en moi à une vitesse hallucinante.

    Je n’ai plus le choix. Mes muscles, inondés de vagues brûlantes, se tétanisent. Je n’arrive plus à accélérer.

    Je me jette contre la porte en bois et tape de toutes mes forces en regardant derrière moi. S’il arrive avant qu’on m’ouvre ! J’veux pas crever, pitié !

    Une lucarne à l’étage s’allume. Je continue à tambouriner en hurlant d’ouvrir.

     

    J’entends le bruit de la clé dans la serrure. Mon instinct de survie irradie chaque partie de mon corps. Je force sur la porte pour m’engouffrer à l’intérieur, mais une main se pose sur mon torse et me repousse fermement.

    — Doucement, Numéro 10.

    — Laissez-­moi rentrer ! Il va me buter !

    J’essaye de me faufiler sur le côté, mais l’homme m’en empêche.

    Numéro 10. Pourquoi il m’appelle Numéro 10 ?

    — N’oublie pas, Numéro 10, tout ceci n’est qu’un jeu.

    Le jeu ! J’arrête de lutter. L’homme enlève sa main.

    Je regarde derrière moi. Tout est calme.

    — Tu as réussi, Numéro 10.

    Réussi quoi ? Je ne comprends rien à ce qu’il raconte, et j’ai une sensation désagréable quand sa voix pénètre mes oreilles.

    — Il était juste derrière moi, là ! Il est où ?

    — Il est là, me dit-­il froidement.

    Quoi ? La peur se transforme en un truc monstrueux dans mon ventre. Mon cœur essaye de sortir de ma poitrine. Tout se brouille.

    — Tu as accompli la mission, Numéro 10.

    La mission !

    Ça me revient !

    Ma mère. Son jogging gris et ses baskets roses. Ses boucles blondes qui se sont colorées en un carmin effrayant sous mes yeux. Non ! Pas elle !

    Je baisse lentement la tête. Mes vêtements sont recouverts de sang. Comment c’est possible ?

    Je glisse mes yeux vers l’homme en face de moi. Ce regard, je le connais. Je bloque dessus.

    — Excellent. Tu es prêt, dit-­il en souriant.

    Mon crâne ! Ça serre tellement ! C’est horrible. Mes mains se plaquent de chaque côté de ma tête pour l’empêcher d’exploser. En vain.

    18 mars 2015, Alpes-­Maritimes

    Il m’a vu ! Je dois fuir. Si je me retourne, je suis mort.

    Mais qu’est-­ce que je foutais dans cette maison ?

    La table en verre. Elle a explosé, et c’est là que je me suis réveillé.

    Il était déjà trop tard. Le corps était désarticulé sur l’amas de rasoirs transparents, et la gorge n’en finissait pas de se purger.

    C’était qui, cette femme ? Impossible de le savoir, vu l’état de son visage.

    Je cours à travers les ruelles sombres. Je dois sauver ma peau.

    Je sors de la ville. Je sais qu’il faut aller à droite juste après le panneau. Le panneau ! Villefranche-­sur-Mer.

    Mon souffle est court. Je ressemble à un gibier traqué qui pue la mort.

    Deuxième à gauche.

    Les lampadaires n’éclairent pas plus loin que leurs pieds ! J’y vois rien. Il peut surgir de n’importe où.

    La peur grossit mes muscles, et mes foulées s’accélèrent.

    Maintenant, première à droite.

    C’est quoi, ce GPS dans ma tête ?

    Villefranche, c’est là qu’elle habite. Non ! Impossible !

    Voiture grise au plafonnier allumé. C’est là que je dois aller.

    Comment je le sais ?

    J’entends des pieds frapper le bitume. Il est tout près ! Non, c’est moi ! J’en sais rien ! La peur trompe tous mes sens.

    Le nom sur la sonnette. Ça me revient ! Non ! Elle ne peut pas être morte. Pas elle.

    Je vois la voiture. Elle est garée de l’autre côté de la route. Il y a un homme au volant.

    Et si c’était un piège ? Je ferais mieux de continuer.

    Mais je ne peux plus. Mon corps souffre trop.

    J’ouvre la portière. Une bâche en plastique recouvre mon siège.

    Je penche la tête pour voir qui m’attend. Je le connais, je grimpe et lui crie de démarrer.

    Il ne bouge pas.

    — Allez, on se casse ! Il arrive !

    Il est trop calme, ce n’est pas normal !

    — Je sais. Ça va, Numéro 10, n’oublie pas que tout ceci n’est qu’un jeu.

    Le jeu !

    Je regarde dans le rétro. Tout est calme. Rien d’autre que des halos orangés à intervalles réguliers sur la route. Je n’ai pas rêvé, pourtant ! Il était bien derrière moi !

    — Tu as réussi, Numéro 10.

    Réussi quoi ? Je n’aime pas ce que je ressens. Sa voix me tétanise. Mon esprit se brouille. Quelque chose s’empare de moi à l’intérieur de mon crâne et essaye d’arracher mes tempes pour sortir.

    Je baisse la tête. Mon pantalon… J’hallucine ! C’est pas possible !

    Je ferme les yeux pour chasser la vision malsaine. Quand mes paupières finissent par s’ouvrir, tremblantes, le sang est toujours là. Partout. Il y en a trop ! Mes mains aussi sont recouvertes de ce rouge visqueux. Mon cœur frôle mes lèvres.

    Je regarde l’homme à côté de moi. Ses yeux absorbent les miens. Je ne peux plus m’en extraire.

    — Mission accomplie, Numéro 10.

    La mission !

    Ça me revient !

    Ma mère. Villefranche. Son nom sur la sonnette. Non ! Pas elle.

    — Excellent.

    Mon crâne ! Mon cerveau va partir en bouillie ! Mes yeux se verrouillent en une grimace atroce. Plus rien.

     

    Alors, tentés?

  • Premières lignes #125

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    Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
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    Cette semaine, je vous présente Chroniques homérides T01 Le souffle de Midas d'Alison Germain

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    Tandis qu’il étreignait son amante blessée, Rikke sentit le désespoir grignoter son âme. La perdre, comment l’imaginer ? Un monde sans elle serait dénué de reliefs, de nuances et de beauté. Une existence fade, sans raison d’être. La vie s’effaçait peu à peu des prunelles de sa bien-aimée. Les deux opales cristallines que Rikke ne se lassait jamais de contempler étaient ternes, presque figées. Pourtant, il discernait encore une certaine volonté en elles. Une lueur d’espoir.

    — Tiens bon, Lia…

    Elle tremblait contre lui, sans qu’il ne puisse la soulager. Sa peau d’une froideur mortuaire et son teint lugubre laissaient présager l’issue fatale. Avec toute la puissance de son être, il souhaita furieusement échanger sa place avec elle, pour la libérer et endurer lui-même la souffrance qui la torturait.

    À la minute où il l’avait rencontrée, des années plus tôt, il s’était juré par-dessus tout de la protéger. Ce serment allait au-delà de son devoir de Gardien, son besoin d’assurer sa sécurité était vital. Une évidence. Mais ce soir, par son manque de vigilance, Rikke avait manqué à sa parole. Sous-estimant l’épée de Damoclès qui planait au-dessus de la jeune femme, il avait provoqué sa mort. Une erreur au goût d’amertume insoluble.

    — Ne lâche pas, Lia, ne lâche pas…

    Un sourire sur son visage marmoréen. Même dans la détresse, elle était d’une beauté à faire vibrer les tréfonds de son âme. Il résista soudain à l’envie de l’embrasser, de peur qu’elle ne gaspille ses dernières forces pour lui. Sa générosité était sans faille ; même lorsqu’elle n’avait rien, elle donnait tout.

    D’une main sur ses cheveux, il espéra lui apporter du réconfort. Un apaisement bienvenu.

    — Rikke, souffla-t-elle à grande peine, il faut…

    Sa voix était méconnaissable, tordue par la douleur. Il voulut lui demander de se taire, de ne pas s’essouffler. D’autant plus qu’il redoutait ce qu’elle allait dire.

    — Il faut le protéger, gémit-elle comme si elle avait perçu ses sombres pensées.

    Lui… Pourquoi cette obsession ? Rikke serra les dents, prenant pleinement conscience de la répugnance qu’il avait pour cette chose qui vampirisait les dernières forces de Lia, qui volait leurs derniers instants. Elle l’avait laissé aveuglément guider son existence. Rikke détestait cette loyauté exacerbée qu’elle lui portait, comme s’il comptait plus encore que sa propre vie.

    — Écoute-moi…

    La voix de Lia était faible, déchirée. Rikke admit immédiatement qu’elle était définitivement condamnée. Ses bourreaux l’avaient mutilée abominablement, pensant pouvoir s’approprier ce qu’elle protégeait avec tant de ferveur. Lui, toujours lui. Maculé du sang de sa bien-aimée, la rage grimpa en Rikke, insufflant un désir de vengeance insoutenable.

    — Il ne faut pas qu’il meure, supplia la blessée.

    Ne pouvait-elle pas l’oublier, juste un moment ? Elle lui avait dédié sa vie, fallait-il aussi qu’elle lui concède sa mort ? Rikke ne voulait plus la partager, plus avec lui. Il resserra ses bras autour des frêles épaules de la jeune femme dans un geste désespéré. L’étreindre à présent revenait à saisir de la fumée ; il pouvait déployer tous les efforts du monde, jamais il ne parviendrait à retenir ces volutes de vie qui se dispersaient. Cela le rendait fou.

    — Il l’a sentie, Rikke, elle, continua Lia, la Désignée, il l’a reconnue. Elle est là, tout près… Je dois lui transmettre. Je dois achever ce pour quoi je suis venue ici…

    Rikke tressaillit à l’évocation de cet instant. Ce fragment de temps où il l’avait laissé partir. Seule. Lorsque Lia avait parlé de léguer son don et qu’elle était parvenue à identifier la pauvre âme qui en hériterait, Rikke avait cru pouvoir être libéré, être enfin débarrassé de ce parasite qui gangrenait leur couple depuis des décennies. Quelle ironie ! S’il avait imaginé un seul instant que l’excursion lui arracherait la moitié du cœur, jamais il n’y aurait consenti.

    Pour lui, Lia était tout ; rien, pas même le plus puissant des dons, ne justifiait son sacrifice. Mais comment la retenir…

    — Je t’en prie, ne fais pas ça, la supplia-t-il.

    L’angoisse étrangla sa voix. Quelque chose se brisa instantanément en lui, quelque chose d’irréparable. Elle avait pris sa décision et ne luttait plus pour sa survie. Ces dernières minutes, elle les sacrifiait à la faveur de sa mission. Comme elle l’avait fait sa vie entière. Même leur amour n’imposait aucune borne à sa dévotion. Pourtant Rikke ne lui en tenait pas rigueur, au contraire. Son courage, sa détermination et son intégrité remarquable le remplissaient de fierté. Jamais il n’oublierait sa témérité, sa bravoure et sa droiture. Il garderait son visage à jamais gravé sur son cœur et ferait tout pour respecter sa mémoire, pour honorer son combat.

    Lui dédiant tout son amour, il embrassa ses lèvres une ultime fois.

    — Tu le protégeras, Rikke, promets-le-moi…

    Refuser ne lui traversa pas l’esprit. Il haïssait ce don, mais les sentiments qu’il nourrissait pour Lia allaient au-delà de son aversion et scellèrent d’instinct son engagement. Lia le savait. Il lui survivrait malgré son chagrin et veillerait sur la nouvelle porteuse ; malgré la tristesse permanente liée à cette mission.

    Sa fiancée lui sourit, puis, sans qu’il ne puisse l’arrêter, il la vit puiser ses dernières forces pour lancer l’Appel.

     

    Alors, tentés?

  • Premières lignes #124

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    Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
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    Cette semaine, je vous présente Le ferry de Mats Strandberg

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    Un peu moins d’une heure avant le départ. Elle a encore le temps de changer d’avis. Encore le temps de retraverser le terminal en tirant sa valise derrière elle, de longer de nouveau le quai, descendre dans le métro, retourner à la gare centrale de Stockholm et refaire le trajet en sens inverse pour rentrer chez elle à Enköping. Elle n’a qu’à oublier cette idée folle qui lui est passée par la tête. Et un jour peut-être rira-t-elle d’elle-même en se revoyant, la veille au soir, assise dans sa cuisine alors que les voix de la radio ne parvenaient pas à couvrir le tic-tac de l’horloge. Il faut dire qu’elle avait déjà bu trop de rioja et qu’elle avait son compte. Elle avait vidé un dernier verre malgré tout et décidé qu’il était temps de se prendre en main. Carpe diem. Cueillir le jour qui passe. Cueillir l’aventure.

    Oui, peut-être un jour trouvera-t-elle tout cela très drôle, mais Marianne en doute. C’est difficile de rire de soi-même quand on n’a personne avec qui le faire.

    Comment tout cela avait-il commencé, au fait ? Ah oui, elle avait vu une publicité à la télévision plus tôt dans la soirée – des gens bien habillés, ordinaires, si ce n’est qu’ils avaient l’air plus heureux –, mais c’est léger comme explication. Ça ne lui ressemble pas.

    Elle avait réservé le billet dans la foulée, sans se laisser le temps de le regretter. Son état d’excitation était tel qu’elle n’avait pu trouver le sommeil, malgré le vin… Et cette sensation d’urgence avait perduré toute la matinée, alors qu’elle se teignait les cheveux, puis l’après-midi tandis qu’elle préparait sa valise, et sur tout le chemin jusqu’ici. Comme si l’aventure avait déjà commencé. Comme si elle pouvait se fuir elle-même en fuyant son quotidien.

    Mais à présent elle se regarde dans le miroir, sa tête pèse des tonnes et le regret l’a quand même rattrapée, comme une seconde gueule de bois qui s’ajouterait à la première.

    Marianne se penche en avant et essuie un peu de son mascara, qui a coulé. Dans les toilettes pour femmes du terminal du ferry, sous la lumière bleutée des néons, ses poches sous les yeux semblent démesurées. Elle recule, se passe les doigts dans ses cheveux à la coupe sage. Elle peut encore sentir le parfum de la teinture. Elle sort un rouge à lèvres de son sac à main et rectifie son maquillage d’un geste souple et familier, puis fait mine d’embrasser son reflet dans la glace. Lutte contre le nuage noir qui veut monter en elle et l’envahir, la dévorer tout entière.

    Quelqu’un tire la chasse d’eau dans un box derrière elle et déverrouille la porte. Marianne se redresse, tire sur son corsage. Se ressaisir, il faut qu’elle se ressaisisse. Une jeune femme brune, vêtue d’un top sans manches d’un rose criard se dirige vers le lavabo près du sien. Marianne étudie la peau lisse de ses bras. Les muscles qui se devinent quand elle se lave les mains et va prendre une serviette en papier. Elle est trop maigre. Les traits de son visage sont si anguleux qu’ils en deviennent presque masculins. Mais Marianne suppose que beaucoup la trouveraient jolie. Sexy, en tout cas. Un petit diamant brille sur l’une de ses incisives. Il y a du strass rose sur les poches arrière de son jean. Marianne se surprend à l’observer sous toutes les coutures et détourne les yeux. Mais la fille sort et disparaît dans le terminal sans lui accorder un regard.

    Marianne est invisible. A-t-elle vraiment un jour été aussi jeune elle-même ?

    C’était il y a si longtemps. Une autre époque, une autre ville. Elle était alors mariée à un homme qui l’aimait de son mieux. Leurs enfants étaient petits et vivaient encore dans l’illusion que leur mère était une sorte de demi-déesse. Elle avait un travail qui la confortait chaque jour dans son statut. Et ses voisins étaient toujours heureux de lui offrir une tasse de café quand elle passait à l’improviste.

    Dire qu’il y avait alors des jours où Marianne rêvait d’être seule. De bénéficier de quelques heures de solitude pour être enfin à l’écoute de ses pensées. Cela lui paraissait le comble du luxe.

    Si c’est bien le cas, elle nage dans le luxe, ces temps-ci. En réalité, le luxe est tout ce qui lui reste.

     

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  • Premières lignes #123

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    Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
    Le principe est de, chaque semaine, vous faire découvrir un livre en vous en livrant les premières lignes.

    Cette semaine, je vous présente Le zoo de Gin Phillips

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    JOAN EST RESTÉE LONGTEMPS EN APPUI sur la pointe de ses pieds nus, les genoux pliés, la jupe frôlant la terre, mais là, elle a trop mal aux cuisses, alors elle s'assied sur le sable.

    Elle sent que quelque chose la pique. Elle passe la main sous sa fesse et récupère une petite lance de plastique – pas plus longue que son doigt –, ce qui n'a rien d'étonnant : elle trouve sans arrêt de minuscules armes de ce genre dans les endroits les plus inattendus.

    — Tu as perdu une lance ? demande-t-elle. À moins que ce ne soit un sceptre ?

    Sans répondre, Lincoln prend le petit objet de plastique qu'elle lui présente dans le creux de sa paume. Il n'attendait apparemment que l'occasion de s'asseoir sur ses genoux parce qu'il se retourne et s'installe confortablement sur le siège naturel offert par sa mère. Il n'y a pas un grain de sable accroché à ses vêtements. Il est du genre soigneux ; il n'a jamais aimé la peinture avec les doigts.

    — Tu veux un nez, maman ? propose-t-il.

    — J'en ai déjà un, répond-elle.

    — Tu en veux un en plus ?

    — Ça ne se refuse pas !

    Il repousse ses cheveux bruns et bouclés de son front ; ils mériteraient un bon coup de ciseaux. La mère et le fils sont à l'abri d'un toit de bois soutenu par des poteaux ronds, mais tout autour d'eux le vent qui souffle dans les arbres provoque une pluie de feuilles et fait jouer les branches, composant une marqueterie d'ombre et de lumière sur le gravier gris.

    — Où est-ce que tu trouves ces nez en plus ? demande-t-elle.

    — Au magasin de nez.

    Elle rit, s'appuie des deux mains sur le sol meuble, collant. D'une pichenette, elle déloge quelques grains humides sous ses ongles. L'Aire de fouille des dinosaures est toujours un endroit humide et frais où le soleil n'arrive jamais. Pourtant, malgré le sable et les feuilles sur sa jupe, c'est peut-être son coin préféré du zoo – à l'écart des allées principales, après le manège, la Ménagerie pour les petits et les volières des coqs, au-delà de la parcelle boisée envahie par les herbes folles simplement signalée par la pancarte ZONE FORESTIÈRE. Des sentiers étroits couverts de gravier serpentent entre les arbres, les rochers et les habitats de quelques animaux isolés : un vautour dans une cabane où traîne, allez savoir pourquoi, une camionnette rouillée ; une chouette qui louche sur un jouet à mâcher suspendu ; des dindes sauvages perpétuellement couchées, immobiles, au point que Joan se demande si elles ont vraiment des pattes. Elle imagine une facétie de chasseur cruel, qui arborerait en trophée un collier composé de pattes de dinde.

    Elle aime l'étrangeté, le côté désordonné de ces bois qui font régulièrement l'objet de tentatives hasardeuses pour leur donner un air de parc d'attractions. En ce moment, une tyrolienne est tendue entre les arbres, mais elle ne voit jamais personne l'utiliser. Elle se rappelle avoir découvert, il y a quelques années, des animatroniques en forme de dinosaures, et une autre fois un parcours hanté où surgissaient des fantômes. On détecte encore des traces d'aménagements plus anciens : de gros blocs de pierre – réels ou pas –, des palissades de rondins fendus et une cabane de trappeur. Rien de tout cela n'a de finalité évidente. Des bassins de ciment vides ont peut-être servi d'abreuvoirs à de gros mammifères. On remarque des traces éparses de parcours nature, une signalisation aléatoire qui donne l'impression d'une promenade plus improvisée que guidée – un arbre porte la plaque SASSAFRAS tandis que la vingtaine d'autres qui l'entourent sont anonymes.

    — Il faut que je te dise, commence Lincoln en posant la main sur son genou. Tu sais ce qui aurait été bien utile à Odin ?

    Il se trouve que depuis quelque temps, elle en connaît un rayon sur les dieux nordiques.

    — Un marchand d'yeux ? répond-elle.

    — Oui, c'est ça ! Parce qu'alors il aurait pu enlever son cache-œil.

    — Sauf s'il l'aime, son cache-œil.

    — Sauf dans ce cas, oui, convient Lincoln.

    Le sable autour d'eux est jonché de petits héros et de méchants en plastique : Thor, Loki, Captain America, Green Lantern et Iron Man. Tout tourne autour des super-héros, ces derniers temps. Des squelettes factices sont enfouis un peu partout dans le bac – derrière eux, les vertèbres d'un animal disparu dépassent du sable –, et on peut les dégager à l'aide de pinceaux usés placés à cet effet dans un seau. Elle venait ici déterrer des os de dinosaure avec Lincoln, dans son ancienne vie de petit garçon de trois ans. Mais aujourd'hui, il a quatre ans et deux mois, et son ancien moi d'archéologue a déjà laissé place à plusieurs autres vocations successives.

     

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  • Premières lignes #122

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    Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
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    Cette semaine, je vous présente La fille sous la glace de Robert Bryndza

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    Andrea Douglas-Brown se hâtait dans l’avenue déserte et silencieuse dont les trottoirs brillaient sous la lune. Le cliquetis de ses talons hauts résonnait irrégulièrement, révélant qu’elle avait bu beaucoup, beaucoup de vodka. L’air de janvier était vif et mordait ses jambes nues. Dans leur sillage, Noël et le jour de l’an n’avaient laissé qu’un vide glacial et stérile. Les vitrines des magasins se succédaient, toutes plongées dans l’obscurité, à l’exception d’un débit de boissons crasseux qu’éclairait par intermittence un réverbère défaillant. Il y avait bien un Indien, assis à l’intérieur, penché sur l’écran lumineux de son ordinateur portable, mais il ne remarqua pas Andrea.

    Elle était si galvanisée par la colère, si résolument pressée de laisser loin derrière elle le pub dont elle sortait, qu’elle n’avait pas cherché à savoir où elle allait. Et elle ne commença à se poser la question que lorsqu’elle constata que de grandes maisons en retrait du trottoir avaient remplacé les magasins. Le squelette d’un orme lançait ses branches vers un ciel sans étoiles.

    Andrea fit une pause et s’appuya contre un mur pour reprendre son souffle. Le sang battait dans ses veines, et l’air glacé lui brûlait les poumons quand elle inspirait. En se retournant, elle vit qu’elle s’était beaucoup éloignée et qu’elle avait gravi la moitié de la colline. En dessous d’elle, la route descendait comme une coulée de mélasse à laquelle la lumière des lampes au sodium donnait une couleur orange. En bas, l’obscurité se refermait sur la gare.

    Le silence et le froid l’oppressaient. L’haleine qui s’échappait d’entre ses lèvres formait un nuage de vapeur en entrant au contact de l’air, mais, à part ça, tout était figé. Elle coinça sa pochette rose sous son bras et, certaine qu’il n’y avait personne aux alentours, retroussa l’ourlet de sa minirobe et récupéra l’iPhone qu’elle avait glissé sous l’élastique de sa culotte. L’éclairage orangé de la rue fit paresseusement scintiller les cristaux Swarovski de la coque. L’écran indiquait qu’il n’y avait pas de réseau. Andrea pesta, remit l’iPhone en place, puis ouvrit la fermeture Éclair de sa pochette. Un autre iPhone, d’un modèle plus ancien et auquel il manquait des cristaux, était niché à l’intérieur. Sur celui-ci non plus il n’y avait pas de réseau. Andrea sentit monter la panique et regarda autour d’elle. Les maisons étaient à distance de la rue, cachées derrière des haies de haute taille et des portails en fer forgé. Si elle voulait capter un signal, il fallait qu’elle grimpe jusqu’au sommet de la colline. Et là, merde ! tant pis, elle appellerait le chauffeur de son père. À elle de trouver une explication pour justifier sa présence au sud de la Tamise… Elle boutonna sa petite veste de cuir, s’enveloppa de ses bras, et se mit en chemin tout en serrant son iPhone au creux de sa main comme s’il s’était agi d’un talisman.

    C’est à ce moment-là que le moteur d’une voiture se fit entendre dans son dos. Elle se retourna. Les phares l’aveuglèrent, puis leur faisceau joua sur ses jambes nues, lui donnant l’impression d’être prise dans un piège. D’abord, elle espéra que c’était un taxi ; mais le toit de la voiture était trop bas ; et il n’y avait pas de signal jaune. Alors elle reprit sa marche. Le bruit du moteur monta en puissance ; bientôt, les phares la capturèrent, projetant un grand cercle de lumière sur le trottoir.

     

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  • Premières lignes #121

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    Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
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    Cette semaine, je vous présente Too late de Colleen Hoover

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    Des doigts tièdes entrelacent les miens, enfonçant davantage mes mains dans le matelas. J’ai les paupières trop lourdes pour les rouvrir tellement je manque de sommeil, cette semaine. Ce mois-ci, devrais-je dire.

    Ou plutôt toute cette putain d’année !

    Dans un gémissement, j’essaie de resserrer les jambes mais je n’y arrive pas. Je sens trop de pression partout. Sur ma poitrine, contre ma joue, entre mes cuisses. Il me faut plusieurs secondes pour dégager ma conscience de sa brume de sommeil, mais je suis assez consciente pour savoir ce qu’il est en train de faire. Je murmure d’un ton irrité :

    – Asa. Lâche-moi.

    Il pousse à plusieurs reprises tout le poids de son corps sur le mien, geignant contre mon oreille, me griffant la joue de sa barbe matinale.

    – J’ai presque fini, chérie, souffle-t-il.

    J’essaie de dégager mes mains mais il les serre trop fort, me rappelant que je ne suis qu’une prisonnière dans mon propre lit, qu’il est le gardien de la chambre. Asa m’a toujours fait sentir que mon corps était à sa disposition. Il n’est pas méchant pour autant, il n’utilise jamais la force, mais il a continuellement envie de moi, et ça commence à m’exaspérer.

    Comme en ce moment.

    À six heures du matin.

    Le soleil vient de se lever, un rayon passe sous la porte ; Asa vient à peine de se coucher après la fête d’hier soir. Seulement moi, j’ai cours dans moins de deux heures. J’aurais préféré ne pas être réveillée de cette façon, après tout juste trois heures de sommeil.

    J’enroule les jambes autour de sa taille, en espérant lui donner l’impression que je prends du plaisir aussi. Dès que je me montre un peu intéressée, il termine plus vite.

    Il empaume mon sein droit et je laisse échapper le gémissement qu’il attend, à l’instant où il se met à trembler contre moi.

    – Merde ! grogne-t-il en enfouissant le visage dans mes cheveux.

    Maintenant, il oscille légèrement sur moi. Au bout de quelques secondes, il s’effondre dans un profond soupir, puis m’embrasse sur la joue et roule vers sa place sur le lit. Il se lève, ôte le préservatif, qu’il jette dans la poubelle, puis attrape une bouteille d’eau sur la table de nuit, la porte à sa bouche tout en promenant ses yeux sur mon corps dénudé. Ses lèvres s’étirent en un sourire indolent.

    – Ça me plaît de penser que je suis le seul à pénétrer là-dedans.

    Il avale les dernières gorgées, debout, nu, à côté du lit. Difficile d’accepter ses compliments quand il surnomme mon corps « là-dedans ».

    Il est séduisant mais est loin d’être parfait. En fait, il n’a que des défauts, il est juste beau mec. Et aussi frimeur, susceptible, parfois difficile à gérer. Sauf qu’il m’aime. Il m’adore. Et je mentirais si je disais que je ne l’aime pas. Il y a tant de choses en lui que je voudrais changer si je le pouvais mais, pour le moment, je n’ai que lui, alors je m’en accommode

     

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  • Premières lignes #120

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    Cette semaine, je vous présente Fragiles de Sarah Morant

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    Douze ans plus tôt
    Gabriel sourit à la fillette et réajusta le coussin rose sous sa tête, prenant garde de ne pas accrocher ses longs cheveux blonds. Elle était si fragile.

    — Tu as appris à lire aujourd’hui ?

    — Oui, mais tu es trop petite pour comprendre, Evangeline, rétorqua le petit garçon en souriant doucement.

    — Mais non, Gaby, j’ai quatre ans, protesta-t-elle en montrant quatre petits doigts, si fins que le garçon les aurait brisés d’une main.

    Il ébouriffa ses cheveux de blé alors qu’elle déformait légèrement les phrases, ne prononçant pas suffisamment les lettres sifflantes. Il aimait Evangeline. C’était incontestable et profondément ancré en lui. Impossible, pour un enfant d’un tel âge. Mais Gabriel avait depuis longtemps compris que rien n’était réellement impossible. Alors il lui promit de lui expliquer sa leçon le lendemain soir, parce que après tout il lui avait déjà appris à écrire son prénom et celui de sa poupée.

    — Dis, Gaby, maman sera là demain ?

    Son cœur se tordit alors que lui aussi il voulait voir sa maman. Il voulait qu’elle le prenne dans ses bras et qu’elle l’emmène très loin d’ici. Ils partiraient à trois, avec Evangeline, et ils mangeraient des glaces sur la plage. C’était un rêve qu’il faisait la plupart des nuits.

    Toutefois, il n’était pas bête, même si son père lui répétait souvent le contraire. Il savait que, parfois, les grandes personnes s’en allaient.

    Et que, parfois, elles ne revenaient pas.

    Il ne voulait pas dire cela à son Evy. À la place, il prit Carla, sa poupée fétiche, et détourna son attention des sombres pensées qui la guettaient.

    Evangeline n’avait que quatre ans, c’était si facile pour elle d’oublier. Gabriel en avait deux de plus, et pourtant il avait déjà l’impression d’être un adulte.

    Il attendit patiemment qu’elle s’endorme et, alors, il se glissa hors du lit pour rejoindre sa propre chambre. Il n’aimait pas la laisser seule, mais il savait aussi qu’elle ne risquait rien pour l’instant.

    L’enfant marcha sur la pointe des pieds, prenant garde de ne pas glisser à cause de ses chaussettes et d’éviter les trois lattes grinçantes du parquet. Avant de refermer la porte et de se fondre dans l’obscurité du couloir, il se retourna sur la petite silhouette endormie. Lui-même avait du mal à atteindre la poignée de la porte.

    — Si personne ne vient nous chercher, moi je serai là. Je t’emmènerai avec moi et on partira loin, très loin. Au Pays imaginaire pour rencontrer Peter Pan, dans la forêt avec Blanche-Neige ou dans l’océan d’Ariel pour danser avec elle et Sébastien. Je te protégerai quoi qu’il arrive et tu verras, on sera super heureux à deux, souffla-t-il à mi-voix, même si la petite poupée endormie ne pouvait pas l’entendre.

    C’étaient des paroles lourdes pour un petit garçon et, plus encore, c’était une promesse.

    Mais Gabriel ne savait pas, à l’époque, qu’il serait incapable de la tenir.

     

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  • Premières lignes #119

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    Cette semaine, je vous présente Au bois dormant de Christine Feret-Fleury

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    — Je suis là, Ariane.

    Voix de soie, à peine plus qu’un murmure. Si sonore, pourtant. Elle semblait venir de tous les angles de la pièce. Du miroir qui surmontait la petite table. Des rideaux. Du lit aux draps bien tirés. Si blancs, dans la pénombre. Si blancs…

    — Je t’attendais. Bientôt, Ariane, tu pourras te reposer. Pour toujours.

    Ariane s’immobilisa, à peine essoufflée. Elle avait monté l’escalier marche après marche, comme portée par un rêve ou un pressentiment. Avait-elle réellement entendu un appel ? Ressenti l’urgence d’y répondre ? Son esprit effleura la question. L’abandonna. Dans quelques instants, rien de tout cela n’aurait plus d’importance.

    La peur, sa compagne familière depuis tant de mois, l’avait quittée. L’émotion qui la submergeait ressemblait à du soulagement. Sa fuite avait pris fin. Comme le chuchotait l’ombre, elle allait connaître un repos que nul ne viendrait troubler. Profond. Éternel.

    Un froissement. Léger. Dans la salle de bains, une lampe venait de s’allumer. La lumière dessinait les contours de la porte. Quelqu’un respirait, là, derrière le battant de bois décoré de moulures. L’attendait. Depuis le jour de sa naissance, il l’attendait. Il l’avait, de loin ou de près, regardée grandir. Venir à lui.

    Et il était là pour cueillir sa proie.

    Le Rouet. Ariane croyait tout savoir de lui. Tout ce que la presse avait rapporté, de meurtre en meurtre, la mise en scène méticuleusement construite autour des jeunes filles qu’il sacrifiait à sa folie, son souci excessif du détail, le papier crème des lettres qu’il envoyait aux familles, la rose épanouie glissée entre les doigts raidis, la piqûre à l’index gauche, les ronces coupées, le parfum qui s’attardait longtemps dans les pièces où les cadavres attendaient d’être découverts.

    Le Tueur invisible. On ne le voyait jamais ni entrer ni sortir. Il apparaissait, accomplissait son œuvre de mort, puis se volatilisait.

    Un fantôme.

    D’innombrables suspects avaient été interrogés. Trois psychiatres, spécialisés dans les pathologies criminelles, avaient étudié son cas. Leurs conclusions se contredisaient. Le Rouet ne se laissait ni prendre, ni cerner. Créature aux masques multiples, menteur de génie, caméléon.

    Personne n’avait jamais vu son visage. Sauf ses victimes.

    La respiration d’Ariane, à présent, était lente et régulière. Presque paisible. Elle regardait, comme fascinée, le bouton de la porte.

    Qui tournait.

    Un déclic presque imperceptible : le pêne venait de glisser hors de sa gâche. Le rai de lumière s’épaissit. La porte s’ouvrait, lentement, si lentement.

    Ariane se mordit la lèvre pour ne pas gémir. Qu’on en finisse, avait-elle envie de crier.

    Viens, maintenant.

    Viens.

    — Ariane. Comme tu es belle, mon enfant.

    Toujours la même voix basse et douce, émanant cette fois d’une source unique, silhouette enveloppée d’une longue cape, plus noire dans son auréole de clarté. Ariane plissa les yeux, cherchant à deviner les traits du visage noyé dans l’ombre du capuchon.

    Au-dehors, les bruits de la ville n’étaient plus perceptibles. Le fleuve, pourtant, sortait de sa gangue de glace, qui craquait ; des blocs, détachés, se heurtaient avec de sourdes explosions. Le printemps était là, aux portes de la forêt. Un printemps qu’elle ne verrait pas.

    Le Rouet se pencha. Alluma une lampe placée sur un guéridon. Se redressa. Rejeta son capuchon.

    Les traits d’Ariane se figèrent. Une lueur d’incompréhension naquit dans son regard. Puis disparut.

    Elle fit un pas en avant.

    Les mains ouvertes, tendues.

    Souriante.

     

    Alors, tentés?