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Premières lignes #123

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Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
Le principe est de, chaque semaine, vous faire découvrir un livre en vous en livrant les premières lignes.

Cette semaine, je vous présente Le zoo de Gin Phillips

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JOAN EST RESTÉE LONGTEMPS EN APPUI sur la pointe de ses pieds nus, les genoux pliés, la jupe frôlant la terre, mais là, elle a trop mal aux cuisses, alors elle s'assied sur le sable.

Elle sent que quelque chose la pique. Elle passe la main sous sa fesse et récupère une petite lance de plastique – pas plus longue que son doigt –, ce qui n'a rien d'étonnant : elle trouve sans arrêt de minuscules armes de ce genre dans les endroits les plus inattendus.

— Tu as perdu une lance ? demande-t-elle. À moins que ce ne soit un sceptre ?

Sans répondre, Lincoln prend le petit objet de plastique qu'elle lui présente dans le creux de sa paume. Il n'attendait apparemment que l'occasion de s'asseoir sur ses genoux parce qu'il se retourne et s'installe confortablement sur le siège naturel offert par sa mère. Il n'y a pas un grain de sable accroché à ses vêtements. Il est du genre soigneux ; il n'a jamais aimé la peinture avec les doigts.

— Tu veux un nez, maman ? propose-t-il.

— J'en ai déjà un, répond-elle.

— Tu en veux un en plus ?

— Ça ne se refuse pas !

Il repousse ses cheveux bruns et bouclés de son front ; ils mériteraient un bon coup de ciseaux. La mère et le fils sont à l'abri d'un toit de bois soutenu par des poteaux ronds, mais tout autour d'eux le vent qui souffle dans les arbres provoque une pluie de feuilles et fait jouer les branches, composant une marqueterie d'ombre et de lumière sur le gravier gris.

— Où est-ce que tu trouves ces nez en plus ? demande-t-elle.

— Au magasin de nez.

Elle rit, s'appuie des deux mains sur le sol meuble, collant. D'une pichenette, elle déloge quelques grains humides sous ses ongles. L'Aire de fouille des dinosaures est toujours un endroit humide et frais où le soleil n'arrive jamais. Pourtant, malgré le sable et les feuilles sur sa jupe, c'est peut-être son coin préféré du zoo – à l'écart des allées principales, après le manège, la Ménagerie pour les petits et les volières des coqs, au-delà de la parcelle boisée envahie par les herbes folles simplement signalée par la pancarte ZONE FORESTIÈRE. Des sentiers étroits couverts de gravier serpentent entre les arbres, les rochers et les habitats de quelques animaux isolés : un vautour dans une cabane où traîne, allez savoir pourquoi, une camionnette rouillée ; une chouette qui louche sur un jouet à mâcher suspendu ; des dindes sauvages perpétuellement couchées, immobiles, au point que Joan se demande si elles ont vraiment des pattes. Elle imagine une facétie de chasseur cruel, qui arborerait en trophée un collier composé de pattes de dinde.

Elle aime l'étrangeté, le côté désordonné de ces bois qui font régulièrement l'objet de tentatives hasardeuses pour leur donner un air de parc d'attractions. En ce moment, une tyrolienne est tendue entre les arbres, mais elle ne voit jamais personne l'utiliser. Elle se rappelle avoir découvert, il y a quelques années, des animatroniques en forme de dinosaures, et une autre fois un parcours hanté où surgissaient des fantômes. On détecte encore des traces d'aménagements plus anciens : de gros blocs de pierre – réels ou pas –, des palissades de rondins fendus et une cabane de trappeur. Rien de tout cela n'a de finalité évidente. Des bassins de ciment vides ont peut-être servi d'abreuvoirs à de gros mammifères. On remarque des traces éparses de parcours nature, une signalisation aléatoire qui donne l'impression d'une promenade plus improvisée que guidée – un arbre porte la plaque SASSAFRAS tandis que la vingtaine d'autres qui l'entourent sont anonymes.

— Il faut que je te dise, commence Lincoln en posant la main sur son genou. Tu sais ce qui aurait été bien utile à Odin ?

Il se trouve que depuis quelque temps, elle en connaît un rayon sur les dieux nordiques.

— Un marchand d'yeux ? répond-elle.

— Oui, c'est ça ! Parce qu'alors il aurait pu enlever son cache-œil.

— Sauf s'il l'aime, son cache-œil.

— Sauf dans ce cas, oui, convient Lincoln.

Le sable autour d'eux est jonché de petits héros et de méchants en plastique : Thor, Loki, Captain America, Green Lantern et Iron Man. Tout tourne autour des super-héros, ces derniers temps. Des squelettes factices sont enfouis un peu partout dans le bac – derrière eux, les vertèbres d'un animal disparu dépassent du sable –, et on peut les dégager à l'aide de pinceaux usés placés à cet effet dans un seau. Elle venait ici déterrer des os de dinosaure avec Lincoln, dans son ancienne vie de petit garçon de trois ans. Mais aujourd'hui, il a quatre ans et deux mois, et son ancien moi d'archéologue a déjà laissé place à plusieurs autres vocations successives.

 

Alors, tentés?

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