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Premières lignes #119

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Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèque. La liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
Le principe est de, chaque semaine, vous faire découvrir un livre en vous en livrant les premières lignes.

Cette semaine, je vous présente Au bois dormant de Christine Feret-Fleury

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— Je suis là, Ariane.

Voix de soie, à peine plus qu’un murmure. Si sonore, pourtant. Elle semblait venir de tous les angles de la pièce. Du miroir qui surmontait la petite table. Des rideaux. Du lit aux draps bien tirés. Si blancs, dans la pénombre. Si blancs…

— Je t’attendais. Bientôt, Ariane, tu pourras te reposer. Pour toujours.

Ariane s’immobilisa, à peine essoufflée. Elle avait monté l’escalier marche après marche, comme portée par un rêve ou un pressentiment. Avait-elle réellement entendu un appel ? Ressenti l’urgence d’y répondre ? Son esprit effleura la question. L’abandonna. Dans quelques instants, rien de tout cela n’aurait plus d’importance.

La peur, sa compagne familière depuis tant de mois, l’avait quittée. L’émotion qui la submergeait ressemblait à du soulagement. Sa fuite avait pris fin. Comme le chuchotait l’ombre, elle allait connaître un repos que nul ne viendrait troubler. Profond. Éternel.

Un froissement. Léger. Dans la salle de bains, une lampe venait de s’allumer. La lumière dessinait les contours de la porte. Quelqu’un respirait, là, derrière le battant de bois décoré de moulures. L’attendait. Depuis le jour de sa naissance, il l’attendait. Il l’avait, de loin ou de près, regardée grandir. Venir à lui.

Et il était là pour cueillir sa proie.

Le Rouet. Ariane croyait tout savoir de lui. Tout ce que la presse avait rapporté, de meurtre en meurtre, la mise en scène méticuleusement construite autour des jeunes filles qu’il sacrifiait à sa folie, son souci excessif du détail, le papier crème des lettres qu’il envoyait aux familles, la rose épanouie glissée entre les doigts raidis, la piqûre à l’index gauche, les ronces coupées, le parfum qui s’attardait longtemps dans les pièces où les cadavres attendaient d’être découverts.

Le Tueur invisible. On ne le voyait jamais ni entrer ni sortir. Il apparaissait, accomplissait son œuvre de mort, puis se volatilisait.

Un fantôme.

D’innombrables suspects avaient été interrogés. Trois psychiatres, spécialisés dans les pathologies criminelles, avaient étudié son cas. Leurs conclusions se contredisaient. Le Rouet ne se laissait ni prendre, ni cerner. Créature aux masques multiples, menteur de génie, caméléon.

Personne n’avait jamais vu son visage. Sauf ses victimes.

La respiration d’Ariane, à présent, était lente et régulière. Presque paisible. Elle regardait, comme fascinée, le bouton de la porte.

Qui tournait.

Un déclic presque imperceptible : le pêne venait de glisser hors de sa gâche. Le rai de lumière s’épaissit. La porte s’ouvrait, lentement, si lentement.

Ariane se mordit la lèvre pour ne pas gémir. Qu’on en finisse, avait-elle envie de crier.

Viens, maintenant.

Viens.

— Ariane. Comme tu es belle, mon enfant.

Toujours la même voix basse et douce, émanant cette fois d’une source unique, silhouette enveloppée d’une longue cape, plus noire dans son auréole de clarté. Ariane plissa les yeux, cherchant à deviner les traits du visage noyé dans l’ombre du capuchon.

Au-dehors, les bruits de la ville n’étaient plus perceptibles. Le fleuve, pourtant, sortait de sa gangue de glace, qui craquait ; des blocs, détachés, se heurtaient avec de sourdes explosions. Le printemps était là, aux portes de la forêt. Un printemps qu’elle ne verrait pas.

Le Rouet se pencha. Alluma une lampe placée sur un guéridon. Se redressa. Rejeta son capuchon.

Les traits d’Ariane se figèrent. Une lueur d’incompréhension naquit dans son regard. Puis disparut.

Elle fit un pas en avant.

Les mains ouvertes, tendues.

Souriante.

 

Alors, tentés?

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