Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèque. La liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
Le principe est de, chaque semaine, vous faire découvrir un livre en vous en livrant les premières lignes.
Cette semaine, je vous présente Fragiles de Sarah Morant
Douze ans plus tôt
Gabriel sourit à la fillette et réajusta le coussin rose sous sa tête, prenant garde de ne pas accrocher ses longs cheveux blonds. Elle était si fragile.
— Tu as appris à lire aujourd’hui ?
— Oui, mais tu es trop petite pour comprendre, Evangeline, rétorqua le petit garçon en souriant doucement.
— Mais non, Gaby, j’ai quatre ans, protesta-t-elle en montrant quatre petits doigts, si fins que le garçon les aurait brisés d’une main.
Il ébouriffa ses cheveux de blé alors qu’elle déformait légèrement les phrases, ne prononçant pas suffisamment les lettres sifflantes. Il aimait Evangeline. C’était incontestable et profondément ancré en lui. Impossible, pour un enfant d’un tel âge. Mais Gabriel avait depuis longtemps compris que rien n’était réellement impossible. Alors il lui promit de lui expliquer sa leçon le lendemain soir, parce que après tout il lui avait déjà appris à écrire son prénom et celui de sa poupée.
— Dis, Gaby, maman sera là demain ?
Son cœur se tordit alors que lui aussi il voulait voir sa maman. Il voulait qu’elle le prenne dans ses bras et qu’elle l’emmène très loin d’ici. Ils partiraient à trois, avec Evangeline, et ils mangeraient des glaces sur la plage. C’était un rêve qu’il faisait la plupart des nuits.
Toutefois, il n’était pas bête, même si son père lui répétait souvent le contraire. Il savait que, parfois, les grandes personnes s’en allaient.
Et que, parfois, elles ne revenaient pas.
Il ne voulait pas dire cela à son Evy. À la place, il prit Carla, sa poupée fétiche, et détourna son attention des sombres pensées qui la guettaient.
Evangeline n’avait que quatre ans, c’était si facile pour elle d’oublier. Gabriel en avait deux de plus, et pourtant il avait déjà l’impression d’être un adulte.
Il attendit patiemment qu’elle s’endorme et, alors, il se glissa hors du lit pour rejoindre sa propre chambre. Il n’aimait pas la laisser seule, mais il savait aussi qu’elle ne risquait rien pour l’instant.
L’enfant marcha sur la pointe des pieds, prenant garde de ne pas glisser à cause de ses chaussettes et d’éviter les trois lattes grinçantes du parquet. Avant de refermer la porte et de se fondre dans l’obscurité du couloir, il se retourna sur la petite silhouette endormie. Lui-même avait du mal à atteindre la poignée de la porte.
— Si personne ne vient nous chercher, moi je serai là. Je t’emmènerai avec moi et on partira loin, très loin. Au Pays imaginaire pour rencontrer Peter Pan, dans la forêt avec Blanche-Neige ou dans l’océan d’Ariel pour danser avec elle et Sébastien. Je te protégerai quoi qu’il arrive et tu verras, on sera super heureux à deux, souffla-t-il à mi-voix, même si la petite poupée endormie ne pouvait pas l’entendre.
C’étaient des paroles lourdes pour un petit garçon et, plus encore, c’était une promesse.
Mais Gabriel ne savait pas, à l’époque, qu’il serait incapable de la tenir.
Alors, tentés?