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Premières lignes - Page 10

  • Premières lignes #49

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    Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
    Le principe est de, chaque semaine, vous faire découvrir un livre en vous en livrant les premières lignes.
    Pour ma part, j’ai décidé de vous faire découvrir mes coups de cœurs !

     

    Cette semaine, je vous présente Nos âmes jumelles de Samantha Bailly dont vous pouvez lire ma chronique ICI.

     

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    Dis, Lou, tu te souviens de notre première rencontre ?
    Je veux dire, de la première fois
    où nous avons discuté, toi et moi ?
    Si on m’avait dit que, ce jour-là, je venais
    de t’ouvrir une fenêtre sur ma vie, que nos histoires
    seraient liées aussi longtemps, je ne l’aurais pas cru.


    Assise sur le rebord de son lit, Sonia feuillette son ancien agenda, un épais carnet rouge. Elle sourit en voyant se succéder les devoirs, les gribouillis, les longs mots rédigés dans des couleurs fluo. Il est temps de se tourner vers cette nouvelle année scolaire. La rentrée, cette rentrée tant attendue. Première L.
    Elle a choisi option arts, esquivant avec soulagement les pénibles mathématiques qui faisaient chuter sa moyenne générale.
    À présent, elle va se concentrer sur ce qui l’intéresse le plus : la littérature.
    Elle range le vieil agenda dans le tiroir de son bureau, puis s’empare de son successeur. Flambant neuf, d’un bleu laqué parcouru de reliefs, pourvu d’une reliure ouvragée. Il ressemble à un véritable livre. Pour le reste, toujours le même sac élégant, des feuilles volantes, des pochettes cartonnées usées, quelques stylos se battent en duel. Elle range les fournitures, puis vérifie une dernière fois sa valise. Des vêtements pliés approximativement, sa trousse de toilette, une serviette de bain. Tout semble y être.
    À présent qu’elle a bonne conscience, elle ouvre son ordinateur portable. Ses doigts agiles tapent immédiatement sur Google : Fanzine Trames.
    Le site internet apparaît, interface agréable, design épuré. Depuis plusieurs semaines, elle s’y rend chaque jour, et connaît les rubriques par cœur : Association, Galerie, Textes, Fanzines, Forum, Boutique. Elle a découvert le concept du fanzine au gré du Net, en cherchant des conseils sur l’écriture. Fanzine est la contraction de fanatic magazine, autrement dit un magazine réalisé par des amateurs passionnés. Cela tombe bien : elle est ET amateur ET passionnée.
    Elle hésite. L’icône de son document Word la nargue. Cela fait un moment à présent qu’elle songe à mettre son poème sur le forum, rien que pour obtenir un avis, pour voir s’il suscite des réactions. Mais elle a peur. Et si tout le monde détestait ? Lui jetait au visage qu’elle n’a aucun talent ? Cela anéantirait le rêve qui l’habite depuis le début du collège, celui qu’elle note avec application sur chaque feuille d’orientation.
     
    Quel métier envisagez-vous plus tard ?
    Écrivain.

    Alors, tentés?

  • Premières lignes #48

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    Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
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    Pour ma part, j’ai décidé de vous faire découvrir mes coups de cœurs !

     

    Cette semaine, je vous présente Le roi des fauves de Aurélie Wellenstein dont vous pouvez lire ma chronique ICI.

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    L’aube grisaillait à l’horizon quand Ivar quitta la forge. Soufflant dans son col pour se réchauffer, il s’engouffra dans les étroites ruelles du village. À cette heure, la grande majorité du bourg dormait encore et le jeune homme comptait sortir sans être vu. Par sécurité, il rasait les murs, son arc et ses flèches dissimulés sous son manteau. Il se demandait si ses amis avaient réussi à trouver le sommeil. Lui avait tourné et retourné leur projet insensé dans sa tête durant toute la nuit. Quand il s’était finalement levé, il était résolu à prévenir son père, mais bien sûr, il n’en avait rien fait. Il n’avait même pas eu le courage de réveiller le forgeron. Le pauvre homme était endormi devant la table vide de leur salle à manger, la tête sur les bras. À ce stade, l’accabler d’un fardeau supplémentaire relevait de la cruauté…

    Le jeune homme soupira et enfonça ses poings dans ses poches. Il devait avoir l’air si préoccupé qu’il se réjouit d’être seul, son expression noyée dans l’ombre ardoise des murs. Devant ses amis tout à l’heure, il lui faudrait faire meilleure figure.

    Ivar ralentit brièvement devant la boutique de l’herboriste, mais ne trouva personne. Oswald était déjà parti ou bien il se terrait chez lui. Le jeune homme allongea de nouveau l’allure. Un peu d’agacement colorait sa nervosité. Pourquoi s’entêtait-il à vouloir mêler son père à son dilemme ? Ce soir, il le mettrait devant le fait accompli, et voilà tout. À dix-sept ans, il était grand temps qu’il prenne ses responsabilités. Son père l’avait protégé et nourri jusqu’alors ; c’était à son tour à présent.

    Tout à ses pensées, il tourna trop rapidement l’angle de la rue et déboucha sur la place du marché : une poignée d’artisans relevaient déjà les volets de leurs boutiques. Ivar ne put s’empêcher d’effleurer la petite bosse que formait l’arc derrière son épaule. Il avait l’impression qu’un seul coup d’œil le trahirait.

    Allez, avance, s’ordonna-t-il.

    Il fit le premier pas, le plus difficile, et les autres suivirent. Il traversa la place, le dos droit, l’air dégagé. Les artisans lui jetèrent à peine un regard, ce qui bizarrement lui causa une déception trouble, comme si une partie de lui-même souhaitait être arrêtée. Mais était-ce si étrange ? Ne valait-il pas mieux se faire sermonner maintenant que condamner pour vol dans quelques heures ? Il rentrerait chez lui et redeviendrait ce qu’il était : un simple apprenti forgeron et non un braconnier se faufilant sur les terres du Jarl pour lui ravir du gibier…



    Alors, tentés?

  • Premières lignes #47

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    Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
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    Cette semaine, je vous présente Dans l’ombre de la clairière de Robert Dugoni dont vous pouvez lire ma chronique ICI.

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    Buzz Almond informa le répartiteur qu’il démarrait, enfonça l’accélérateur et sourit au rugissement du moteur V8 de 245 chevaux, tandis que la force gravitationnelle le collait au dossier de son siège. Au boulot, la rumeur courait que les politiques allaient progressivement se débarrasser des dinosaures gloutons en carburant et réduire le parc automobile à des véhicules plus économes. Ce serait peut-être vrai, mais en attendant, Buzz disposait d’une berline Chevrolet Caprice, et il avait bien l’intention de s’y cramponner jusqu’à ce qu’on lui arrache le volant des mains.
    La poussée d’adrénaline le fit se redresser, les synapses de son cerveau expédiant à tout va des impulsions électriques. Totalement opérationnel. Dans les Marines, ils appelaient ça « Prêt au combat ». Ce n’était pas parce qu’il était devenu aujourd’hui shérif adjoint du Klickitat County qu’il allait changer.
    Un petit « oorah », s’il vous plaît ?1
    Buzz ralentit, abaissa sa vitre et ajusta le projecteur, à la recherche de la rue transversale. La plupart des rues dans le coin étaient indiquées, mais pas toutes. Certaines d’entre elles n’étaient rien de plus que des chemins étroits non pavés. En l’absence d’éclairage public, et sous la couverture nuageuse épaisse qui enveloppait les environs, il faisait noir comme dans un four. On pouvait dépasser une route sans jamais s’en apercevoir.
    La lueur du projecteur tomba sur un ensemble de boîtes aux lettres déglinguées posées sur des piquets de bois. Buzz orienta le faisceau vers le sommet d’un poteau métallique, jusqu’à distinguer un panneau indicateur vert réfléchissant : « Clear Creek Road ». C’était là. Il tourna. La voiture tangua et rebondit dans les ornières et les nids-de-poule. Au printemps et à l’été, les riverains entretenaient parfois certaines voies. Mais pas celle-ci.
    Il poursuivit sur environ quatre cents mètres au milieu d’une épaisse végétation de chênes, pins et trembles. Après un virage à gauche, une lumière scintilla à travers les branches des arbres. Buzz se dirigea vers celle-ci, sur un chemin de gravier qui menait à un grand mobile home. Il ne s’était pas encore arrêté qu’un homme poussait la porte d’entrée et descendait trois marches de bois avant de traverser un terrain jonché de bois de chauffage jeté en vrac et de vieille ferraille, avec une corde à linge vide.
    Buzz vérifia le nom qu’il avait noté sur son calepin de poche, puis descendit de voiture. L’air, qui embaumait le sapin, était lourd d’une neige imminente. La première de la saison. Ses filles en seraient tout excitées.
    La chute rapide des températures après une semaine de pluies éprouvantes commençait à faire geler la terre, qui crissait sous ses bottes.
    — Vous êtes Mr Kanasket ? demanda Buzz.
    — Earl, répondit l’homme en tendant une main calleuse et sèche.
    À voir la peau sombre et les cheveux noirs tirés en queue-de-cheval d’Earl Kanasket, Buzz supposa qu’il appartenait à la tribu des Klickitat. La plupart d’entre eux étaient partis au nord-est des dizaines d’années auparavant, dans la réserve Yakama, mais pas tous. Earl portait une veste de grosse toile, un jean et des bottes aux épaisses semelles. Son visage à l’aspect tanné de celui qui travaille à l’extérieur était constellé de grains de beauté foncés. Buzz lui donna une petite quarantaine d’années.
    — Vous avez appelé à propos de votre fille ? interrogea-t-il.
    — Kimi rentre de son travail à pied. Elle téléphone depuis le diner avant de partir. Elle n’est jamais en retard.

     

    Alors, tentés?

  • Premières lignes #46

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    Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
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    Cette semaine, je vous présente Juste avant le bonheur de Agnès Ledig dont vous pouvez lire ma chronique ICI.

     

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    Elle en a vu d’autres, Julie.
    Elle aurait pu s’opposer, prendre le risque, perdre son travail, mais garder sa dignité.
    Quelle dignité ?
    Ça fait belle lurette que ce petit bout de femme l’a perdue. Quand c’est une question de survie, on range au placard les grands idéaux qu’on s’était fabriqués gamine. Et on encaisse, on se tait, on laisse dire, on subit.
    Et puis, elle a besoin de ce boulot. Vraiment. Ce connard de Chasson le sait. Directeur sans scrupules, capable de virer une caissière pour une erreur de dix euros. Alors cinquante !
    Julie sait pourtant qui lui a volé ces cinquante euros, quand elle avait le dos tourné. Mais il est mal vu de dénoncer les collègues. Très mal vu. Ça vous colle une réputation sur le dos aussi solidement qu’un pou sur une tête blonde. Elle préfère éviter.
    « Mademoiselle Lemaire, je pourrais vous virer sur-le-champ. Cependant, je connais votre situation, je sais que vous ne pouvez pas rembourser. Méfiez-vous, je pourrais vous demander de trouver une solution pour réparer vos erreurs de caisse. Vous voyez de quoi je parle ? Sinon, demandez à certaines de vos collègues, elles ont compris comment faire », lui a-t-il lancé, le regard fixe, sans aucun état d’âme, un mauvais sourire sur les lèvres.
    Salaud !
    Il présente bien, pourtant. Le gendre idéal. Grand, dynamique, souriant, le menton carré et les tempes grisonnantes. Toujours une main dans le dos pour rassurer, encourager. Toujours un mot gentil quand il passe saluer les employés le lundi matin. Une épouse élégante et des enfants polis. Le type qui a commencé petit et a gravi les échelons à la sueur de son front, forçant le respect et l’admiration. Voici pour la face brillante de la médaille. Et puis, quand on la retourne, il y a le loup, le prédateur, l’homme qui veut des femmes à ses pieds pour se prouver qu’il est le plus fort.
     
    Quelques minutes plus tard, Julie marche d’un pas rapide dans le long couloir qui sépare le bureau du directeur de la galerie marchande. Sa pause touche déjà à sa fin. Elle aurait préféré la passer à autre chose qu’à ce genre de convocation. D’un revers de manche, elle essuie avec rage une larme échouée sur sa joue. Un malheureux signe de faiblesse qu’elle se doit de chasser immédiatement.
    Parce qu’elle en a vu d’autres, Julie.
    Elle fait partie de ces gens que le destin épargne peu.
    Il y en a comme ça…

     

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  • Premières lignes #45

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    Cette semaine, je vous présente Son dernier souffle de Robert Dugoni dont vous pouvez lire ma chronique ICI.

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    Le monospace pénétra sur le parking, et Tracy Crosswhite distingua un siège auto installé à l’arrière, ainsi qu’un macaron jaune « Bébé à bord » suspendu à la vitre. La femme qui descendit de voiture portait un blue-jean, un gilet pare-balles noir et une casquette de base-ball des Seattle Mariners.
    — Détective Crosswhite ?
    Lui rendant sa poignée de main, Tracy remarqua que celle de la jeune femme était petite et douce.
    — Appelez-moi Tracy. Vous êtes l’agent Pryor ?
    — Katie. Je vous suis vraiment reconnaissante, et désolée de vous prendre votre temps après le boulot.
    — Pas de problème. Enseigner m’aide à rester en forme. Vous avez des lunettes et des protections auditives ?
    — Non.
    Tracy s’était doutée que Pryor ne disposerait pas de son propre matériel.
    — Allons vous équiper.
    Elle guida Pryor à l’intérieur du bâtiment de béton trapu qui abritait l’Association sportive de la police de Seattle. Comme la plupart des champs de tir, il se situait à l’écart, à l’extrémité d’une allée étroite dans une zone industrielle à vingt minutes au sud du centre de Seattle.
    L’homme derrière le comptoir accueillit Tracy par son prénom, et celle-ci fit les présentations.
    — Katie, voici Lazar Orlovic. Lazar, elle va avoir besoin de protections d’yeux et d’oreilles, et il nous faut une cible, deux boîtes de munitions, et un rouleau d’adhésif.
    — Vous vous entraînez pour l’examen de qualification ? Celui qui a lieu dans… deux semaines ? demanda Lazar en souriant à Pryor. Vous êtes dans de bonnes mains.
    Il prit des boîtes de munitions et des lunettes de sécurité sur les étagères et les crochets derrière le comptoir.
    — On essaye de convaincre Tracy de faire ça de façon officielle, et de venir ici à plein temps entraîner les nouvelles recrues. Qu’est-ce que tu en dis, Tracy ?
    — Comme d’habitude, Lazar. Je viendrai quand les gens cesseront de s’entre-tuer.
    — C’est ça, quand les poules pisseront ! Il faut que j’aille chercher l’adhésif derrière, ajouta-t-il après avoir jeté un œil sur le comptoir.
    Lorsqu’il fut parti, Pryor demanda :
    — Pourquoi le ruban adhésif ?
    — Pour boucher les trous dans votre cible.
    — Je n’ai jamais vu faire ça.
    — Vous n’avez jamais tiré autant que vous vous apprêtez à le faire.

     

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  • Premières lignes #44

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    Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
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    Cette semaine, je vous présente le premier tome des sœurs Carmine: Le complot des corbeaux d'Ariel Holzl dont vous pouvez lire ma chronique ICI.

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    L’oiseau matinal attrape le ver. Ou parfois, un poignard en plein plumage.

    Ce corbeau-là aurait mieux fait de rester couché : la lame d’argent lui cloua le bec, abrégeant ses arias rauques au point du jour. Ses congénères affolés s’égaillèrent dans le ciel de Grisaille, un tourment de nuages qui ne se dispersait jamais et donnait à la ville son nom.

    Il ne resta du volatile qu’une trouée au cœur de la brume.

    À Grisaille, de la brume, il y en avait partout : parmi les ruelles scabreuses, à travers les allées malsaines, au fin fond des impasses, au pied des gargouilles, devant les vitraux des cathédrales, sous les lampes à gaz, entre les pavés toujours humides de pluie ou de sang…

    Partout !

    La cité en devenait plus sinistre qu’une morgue. Pour ne rien arranger, l’engouement de la Reine pour l’Arbor tragicus – un spécimen affreusement mélancolique de saule pleureur – ajoutait à la morosité générale. Pas étonnant alors que le taux de suicide dans les jardins publics ait fini par pulvériser tous les records, à tel point que les employés royaux ne décrochaient même plus les pendus des arbres. Ils se contentaient de vêtir les cadavres de couleurs vives et d’y épingler des guirlandes de lampions, pour leur donner un petit côté festif pendant les pique-niques ou les garden-parties.

    Presque aussi paresseuse, la brume somnolait ce matin entre le marbre des stèles. Elle ne faisait malheureusement pas briller le cimetière par son originalité.

    Mais il fallait l’excuser, la brume… Deux cent quarante-trois cimetières pour une seule ville, difficile de toujours se renouveler.

    L’aube pesante ne l’aidait guère. L’automne avait dénudé les saules, dégarni les cyprès, recouvert de corbeaux la moindre grille, la moindre branche tortueuse.

    On venait heureusement d’échapper au cliché des croassements de mauvais augure ; le TCHAC ! abrupt de la lame avait tué le récital dans l’œuf. Ou presque.

    La main qui avait lancé le poignard se prolongeait par une manche de dentelle blanche, puis une robe trop ample où flottait une jeune fille qui détestait les oiseaux. Elle leur vouait une haine strictement professionnelle cependant, qui n’était ni du sadisme ni de la cruauté. Comparée aux autres habitants, une telle déviance méritait d’être soulignée.

    Sa présence ici, en revanche, n’avait rien de remarquable : selon les naturalistes de Grisaille, les jeunes filles en robes blanches arrivaient en troisième position des espèces les plus communes dans les cimetières, juste après les corbeaux et les asticots. En voici d’ailleurs une autre, assise sur une pierre tombale, non loin de la première. Sa robe blanche tombait mieux sur elle, tout comme ses boucles auburn qui tombaient mieux jusqu’à ses épaules que les mèches courtes et blondes de la lanceuse de couteaux. Mais impossible de s’y méprendre, elles faisaient partie de la même espèce et, plus particulièrement, de la même fratrie.

    Une tombe s’ouvrait devant la paire de sœurs. La brume y cascadait avec nonchalance, tandis qu’un duo de dandys en expulsait des gerbes de terre. Ils maniaient la pelle en silence. Une seule question occupait toutes leurs pensées :

    Comment avaient-ils fini au fond du trou ?

    Il y a trois heures de cela, profaner une sépulture semblait une bien meilleure idée. Le vin, le brandy et quelques sourires enjôleurs avaient suffi à les convaincre.

     

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  • Premières lignes #43

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    Cette semaine, je vous présente Je voulais juste vivre de Yeonmi Park dont vous pouvez lire ma chronique ICI.

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    Le 31 mars 2007, par une nuit froide et obscure, ma mère et moi avons descendu la berge abrupte et rocailleuse du fleuve Yalu, alors gelé, qui sépare la Corée du Nord de la Chine. Des hommes patrouillaient au-dessus de nos têtes et à nos pieds, et à une centaine de mètres de chaque côté se trouvaient des postes de guet avec des soldats armés et prêts à tirer sur quiconque tenterait de franchir la frontière. Nous n’avions aucune idée de ce qui nous attendait, mais nous étions prêtes à tout pour entrer en Chine, où nous aurions peut-être une chance de survivre.
    J’avais treize ans et je pesais tout juste vingt-sept kilos. Moins d’une semaine plus tôt, j’avais été hospitalisée à Hyesan, ma ville natale, située à la frontière chinoise, à cause d’une infection intestinale grave diagnostiquée à tort comme appendicite par les médecins. L’incision me faisait encore affreusement souffrir et j’étais si faible que je parvenais à peine à marcher.
    Le jeune passeur nord-coréen qui nous faisait traverser insistait pour agir cette nuit. Il avait payé des gardes pour qu’ils ferment les yeux mais impossible de soudoyer tous les soldats alentour ; nous devions donc faire preuve d’une extrême prudence. Je l’ai suivi dans le noir, mais j’étais si instable sur mes jambes que j’ai dévalé la berge sur les fesses, provoquant des avalanches de cailloux devant moi. Il s’est retourné pour me murmurer avec colère de faire moins de bruit. Trop tard. Nous distinguions déjà la silhouette d’un soldat nord-coréen qui remontait depuis le lit du fleuve. Si l’homme faisait partie des soldats soudoyés, il ne semblait pas nous reconnaître.
    « Partez ! a-t-il hurlé. Rentrez chez vous ! »
    Notre guide est allé à sa rencontre et nous les avons entendus discuter à voix basse. Le guide est revenu seul.
    « Allons-y, a-t-il dit. Dépêchez-vous ! »
    Le printemps venait de s’installer et le temps se radoucissait, faisant fondre des plaques à la surface du fleuve gelé. L’endroit où nous traversions était étroit et profond, protégé du soleil en journée si bien que la glace y était suffisamment solide pour supporter notre poids – nous l’espérions en tout cas. Le passeur s’est servi d’un téléphone portable pour contacter quelqu’un sur l’autre rive, côté chinois, puis il a murmuré : « Courez ! »

     

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  • Premières lignes #42

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    Cette semaine, je vous présente Glacé de Bernard Minier dont vous pouvez lire ma chronique ICI.

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    Chaque fois qu’il grimpait là-haut, il avait l’impression de saisir une vérité élémentaire de son existence. Mais il était incapable de dire laquelle.

    Huysmans déplaça son regard vers le sommet.

    Le terminus de la télécabine – un échafaudage métallique accroché à l’entrée bétonnée du puits d’accès – se rapprochait. Une fois la cabine immobilisée, les hommes emprunteraient une série de passerelles et d’escaliers jusqu’au blockhaus de béton.

    Le vent soufflait avec violence. Il devait faire dans les moins dix dehors.

    Huysmans plissa les yeux.

    Il y avait quelque chose d’inhabituel dans la forme de l’échafaudage.

    Quelque chose en plus…

    Comme une ombre parmi les entretoises et les poutrelles d’acier balayées par les bourrasques.

    Un aigle, songea-t-il, un aigle s’est pris dans les câbles et les poulies.

    Non, absurde. Mais c’était pourtant ça : un grand oiseau aux ailes déployées. Un vautour peut-être, prisonnier de la superstructure, empêtré entre les grilles et les barreaux.

    — Eh, regardez ça !

    La voix de Joachim. Il l’avait repéré, lui aussi. Les autres se tournèrent vers la plate-forme.

    — Bon Dieu ! qu’est-ce que c’est ?

    Ce n’est pas un oiseau en tout cas, songea Huysmans.

    Une inquiétude diffuse montait en lui. C’était accroché au-dessus de la plate-forme, juste en dessous des câbles et des poulies – comme suspendu dans les airs. Cela ressemblait à un papillon géant, un papillon sombre et maléfique qui se détachait sur la blancheur de la neige et du ciel.

    — Bordel ! c’est quoi ce truc ?

    La cabine ralentit sur son erre. Ils arrivaient. La forme grandit.

    — Sainte Mère de Dieu !

    Ce n’était pas un papillon – ni un oiseau.

    La cabine s’immobilisa, les portes s’ouvrirent automatiquement.

    Une rafale glacée chargée de flocons fouetta leurs visages. Mais personne ne descendit. Ils restèrent là, à contempler l’œuvre de folie et de mort. Ils savaient déjà qu’ils n’oublieraient jamais cette vision.

    Le vent hurlait autour de la plate-forme. Ce n’étaient plus des cris d’enfants que Huysmans entendait, mais ceux d’un autre supplice, des cris atroces couverts par les hurlements du vent. Ils reculèrent d’un pas à l’intérieur.

    La peur les percuta comme un train en marche. Huysmans se rua vers le casque à écouteurs, le vissa sur son crâne.

    — La centrale ? Ici Huysmans ! Appelez la gendarmerie ! Vite ! Dites-leur de rappliquer ! Il y a un cadavre ici ! Un truc de malade !

     

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  • Premières lignes #41

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    Cette semaine, je vous présente le premier tome de la passe-miroir: Les fiancées de l'hiver de Christelle Dabos dont vous pouvez lire ma chronique ICI.

    la passe-miroir T01 les fiancés de l'hiver.jpg

    Bribe

    Au commencement, nous étions un.
    Mais Dieu nous jugeait impropres à le satisfaire ainsi, alors Dieu s’est mis à nous diviser. Dieu s’amusait beaucoup avec nous, puis Dieu se lassait et nous oubliait. Dieu pouvait être si cruel dans son indifférence qu’il m’épouvantait. Dieu savait se montrer doux, aussi, et je l’ai aimé comme je n’ai jamais aimé personne.
    Je crois que nous aurions tous pu vivre heureux en un sens, Dieu, moi et les autres, sans ce maudit bouquin. Il me répugnait. Je savais le lien qui me rattachait à lui de la plus écœurante des façons, mais cette horreur-là est venue plus tard, bien plus tard. Je n’ai pas compris tout de suite, j’étais trop ignorant.
    J’aimais Dieu, oui, mais je détestais ce bouquin qu’il ouvrait pour un oui ou pour un non. Dieu, lui, ça l’amusait énormément. Quand Dieu était content, il écrivait. Quand Dieu était en colère, il écrivait. Et un jour, où Dieu se sentait de très mauvaise humeur, il a fait une énorme bêtise.
    Dieu a brisé le monde en morceaux.

     

    L’archiviste

    On dit souvent des vieilles demeures qu’elles ont une âme. Sur Anima, l’arche où les objets prennent vie, les vieilles demeures ont surtout tendance à développer un épouvantable caractère.
    Le bâtiment des Archives familiales, par exemple, était continuellement de mauvaise humeur. Il passait ses journées à craqueler, à grincer, à fuir et à souffler pour exprimer son mécontentement. Il n’aimait pas les courants d’air qui faisaient claquer les portes mal fermées en été. Il n’aimait pas les pluies qui encrassaient sa gouttière en automne. Il n’aimait pas l’humidité qui infiltrait ses murs en hiver. Il n’aimait pas les mauvaises herbes qui revenaient envahir sa cour chaque printemps.
    Mais, par-dessus tout, le bâtiment des Archives n’aimait pas les visiteurs qui ne respectaient pas les horaires d’ouverture.
    C’est sans doute pourquoi, en ce petit matin de septembre, le bâtiment craquelait, grinçait, fuyait et soufflait encore plus que d’habitude. Il sentait venir quelqu’un alors qu’il était encore beaucoup trop tôt pour consulter les archives. Ce visiteur-là ne se tenait même pas devant la porte d’entrée, sur le perron, en visiteur respectable. Non, il pénétrait dans les lieux comme un voleur, directement par le vestiaire des Archives.
    Un nez était en train de pousser au beau milieu d’une armoire à glace.
    Le nez allait en avançant. Il émergea bientôt à sa suite une paire de lunettes, une arcade sourcilière, un front, une bouche, un menton, des joues, des yeux, des cheveux, un cou et des oreilles. Suspendu au milieu du miroir jusqu’aux épaules, le visage regarda à droite, puis à gauche. La pliure d’un genou affleura à son tour, un peu plus bas, et remorqua un corps qui s’arracha tout entier de l’armoire à glace, comme il l’aurait fait d’une baignoire. Une fois sortie du miroir, la silhouette ne se résumait plus qu’à un vieux manteau usé, une paire de lunettes grises, une longue écharpe tricolore.
    Et sous ces épaisseurs, il y avait Ophélie.

     

    Alors, tentés?

     

  • Premières lignes #40

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    Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
    Le principe est de, chaque semaine, vous faire découvrir un livre en vous en livrant les premières lignes.
    Pour ma part, j’ai décidé de vous faire découvrir mes coups de cœurs !

     

    Cette semaine, je vous présente Un bel âge pour mourir de Barbara Abel dont vous pouvez lire ma chronique ICI.

     

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    Lundi 29 avril 2002

    Le visage baigné de larmes, France se tient debout sur la terrasse, les mains cramponnées à la balustrade comme on s’agrippe à une bouée de sauvetage tandis que devant elle, le soleil se couche à l’horizon. Vu du quinzième étage, le spectacle qui s’étale sous ses yeux est de toute beauté, la ville couchée à ses pieds scintillant de mille points lumineux, encore faiblement éclairés par le sang des cieux projetant sur le paysage une sorte de traîne enflammée. Comme un avertissement.
    Elle ne peut s’empêcher de fermer les yeux, peut-être pour ne plus être témoin de cet embrasement de couleurs et de lumières, sublime mariage qui évoque en elle la passion et le bonheur. Et ce mouvement de faiblesse accentue encore la rage qui la meurtrit tout entière. Depuis combien de temps n’a-t-elle plus pleuré ?
    Elle se souvient vaguement de ce jour tragique où sa chienne, Clémence, s’est fait écraser par une fourgonnette postale, au milieu d’une petite route de campagne habituellement peu fréquentée. Le chauffeur n’avait cessé de clamer que l’animal s’était littéralement jeté sous ses roues, qu’il n’avait pas eu le temps de l’éviter, qu’il…
    La haine qu’elle avait alors ressentie pour cet homme s’apparente étrangement à celle qu’elle éprouve aujourd’hui envers Paul. Afin de sécher les larmes de sa fille, le père de France avait exigé qu’on suspende le permis de conduire du facteur pour une période de trois mois. L’homme avait perdu son travail et France avait retrouvé le sourire. La fillette avait alors une dizaine d’années. C’était il y a plus de cinquante ans.
    Lorsqu’elle rouvre les yeux, la tour Eiffel s’est illuminée comme par enchantement. Le ciel rougeoyant a déjà fait place à quelques rubans d’obscurité, laissant bientôt la nuit s’étendre sur la capitale. Les dents serrées, le visage dur, France tente vainement de ravaler ses larmes, effaçant d’une main vernie de rouge les traînées de mascara qui zèbrent ses joues fardées. Elle se hait déjà de se sentir si faible, si ébranlée par une situation qu’elle sait ne plus pouvoir maîtriser. Et ce visage larmoyant de peine, cette misérable défaillance qui trahit sa douleur, émotion abjecte entre toutes…
    Le dépit la fait grimacer, affichant sur ses traits le rictus d’un ressentiment trop violent à expulser par quelques sanglots retenus. Phalanges blanchies autour de la balustrade, agrippées de toute sa rancœur comme si elle cherchait à l’en arracher du balcon, à la tordre entre ses doigts, à la réduire en poussière.
    Elle aurait voulu pouvoir gémir, crier, hurler, trépigner, se traîner par terre en sanglotant, s’arracher les cheveux, se frapper le corps, se griffer le visage. L’intolérable impuissance qui la submerge inexorablement l’aveugle par-delà ses larmes, la mâchoire crispée jusqu’à s’en faire broyer les os, les dents, comme pour anéantir cette sensation inhumaine d’être à la merci de toute cette rage incontrôlable.
    N’y a-t-il vraiment plus rien à faire ? France embrasse d’un regard torve le peuple de fourmis qui zigzague à ses pieds, là, tout en bas, grouillant dans les artères de la grande cité. Et pour la première fois de sa vie, elle désire de toutes ses forces n’être plus qu’un seul de ces points noirs, informes, anonymes, sans visage. Sans importance.
    Pensée absurde. Inconcevable.
    Cherchant désespérément à retrouver son calme, elle aspire une grande bouffée d’air, bloque sa respiration, puis expulse le contenu de ses poumons, longuement, maîtrisant chaque battement de cœur qu’elle sent vibrer dans ses tempes, dans sa gorge et dans son ventre. Là… Doucement. Reprendre le contrôle de la situation.
    Rien n’est perdu. Il y a toujours une solution, même là où on ne l’attend pas. Par-delà le désordre de son esprit, elle revoit le visage neutre et impassible de son père qui, maintes fois confronté à des situations critiques, se plaisait à répéter avec un calme imperturbable : « Tout finit toujours par s’arranger. Même mal. »
    Même mal.

     

    Alors, tentés?