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Premières lignes #44

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Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
Le principe est de, chaque semaine, vous faire découvrir un livre en vous en livrant les premières lignes.
Pour ma part, j’ai décidé de vous faire découvrir mes coups de cœurs !

 

Cette semaine, je vous présente le premier tome des sœurs Carmine: Le complot des corbeaux d'Ariel Holzl dont vous pouvez lire ma chronique ICI.

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L’oiseau matinal attrape le ver. Ou parfois, un poignard en plein plumage.

Ce corbeau-là aurait mieux fait de rester couché : la lame d’argent lui cloua le bec, abrégeant ses arias rauques au point du jour. Ses congénères affolés s’égaillèrent dans le ciel de Grisaille, un tourment de nuages qui ne se dispersait jamais et donnait à la ville son nom.

Il ne resta du volatile qu’une trouée au cœur de la brume.

À Grisaille, de la brume, il y en avait partout : parmi les ruelles scabreuses, à travers les allées malsaines, au fin fond des impasses, au pied des gargouilles, devant les vitraux des cathédrales, sous les lampes à gaz, entre les pavés toujours humides de pluie ou de sang…

Partout !

La cité en devenait plus sinistre qu’une morgue. Pour ne rien arranger, l’engouement de la Reine pour l’Arbor tragicus – un spécimen affreusement mélancolique de saule pleureur – ajoutait à la morosité générale. Pas étonnant alors que le taux de suicide dans les jardins publics ait fini par pulvériser tous les records, à tel point que les employés royaux ne décrochaient même plus les pendus des arbres. Ils se contentaient de vêtir les cadavres de couleurs vives et d’y épingler des guirlandes de lampions, pour leur donner un petit côté festif pendant les pique-niques ou les garden-parties.

Presque aussi paresseuse, la brume somnolait ce matin entre le marbre des stèles. Elle ne faisait malheureusement pas briller le cimetière par son originalité.

Mais il fallait l’excuser, la brume… Deux cent quarante-trois cimetières pour une seule ville, difficile de toujours se renouveler.

L’aube pesante ne l’aidait guère. L’automne avait dénudé les saules, dégarni les cyprès, recouvert de corbeaux la moindre grille, la moindre branche tortueuse.

On venait heureusement d’échapper au cliché des croassements de mauvais augure ; le TCHAC ! abrupt de la lame avait tué le récital dans l’œuf. Ou presque.

La main qui avait lancé le poignard se prolongeait par une manche de dentelle blanche, puis une robe trop ample où flottait une jeune fille qui détestait les oiseaux. Elle leur vouait une haine strictement professionnelle cependant, qui n’était ni du sadisme ni de la cruauté. Comparée aux autres habitants, une telle déviance méritait d’être soulignée.

Sa présence ici, en revanche, n’avait rien de remarquable : selon les naturalistes de Grisaille, les jeunes filles en robes blanches arrivaient en troisième position des espèces les plus communes dans les cimetières, juste après les corbeaux et les asticots. En voici d’ailleurs une autre, assise sur une pierre tombale, non loin de la première. Sa robe blanche tombait mieux sur elle, tout comme ses boucles auburn qui tombaient mieux jusqu’à ses épaules que les mèches courtes et blondes de la lanceuse de couteaux. Mais impossible de s’y méprendre, elles faisaient partie de la même espèce et, plus particulièrement, de la même fratrie.

Une tombe s’ouvrait devant la paire de sœurs. La brume y cascadait avec nonchalance, tandis qu’un duo de dandys en expulsait des gerbes de terre. Ils maniaient la pelle en silence. Une seule question occupait toutes leurs pensées :

Comment avaient-ils fini au fond du trou ?

Il y a trois heures de cela, profaner une sépulture semblait une bien meilleure idée. Le vin, le brandy et quelques sourires enjôleurs avaient suffi à les convaincre.

 

Alors, tentés?

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