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Premières lignes - Page 14

  • Premières lignes #9

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    Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
    Le principe est de, chaque semaine, vous faire découvrir un livre en vous en livrant les premières lignes.
    Pour ma part, j’ai décidé de vous faire découvrir mes coups de cœurs !

     

    Cette semaine, je vous présente Ma raison de vivre de Rebecca Donovan dont vous pouvez lire le résumé et ma chronique ICI

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    Inspirer.
    Souffler.
    Les yeux humides et la gorge serrée, j’ai avalé ma salive. Énervée par ma propre faiblesse, j’ai essuyé rageusement la larme qui glissait sur ma joue. Je devais chasser ces pensées. Et tenir le coup.
    Mon regard a erré sur les rares meubles de ce qui me tenait lieu de chambre : un vieux bureau et une chaise bancale achetés dans un vide-greniers, ainsi qu’une petite commode qui avait dû, elle aussi, connaître de nombreux propriétaires. Aucune photo aux murs, pas le moindre souvenir de ma vie d’avant. Cette pièce était mon refuge, le seul espace où je pouvais me retirer, cacher ma souffrance, à l’abri des regards assassins et des mots cinglants.
    Comment m’étais-je retrouvée là ? La réponse était simple : je n’avais pas d’autre endroit où aller. Ils étaient la seule famille qui me restait. Les seuls à pouvoir m’accueillir.
    Pour échapper à ces sombres pensées, je me suis allongée sur mon lit et j’ai essayé de me concentrer sur mes devoirs. En tendant le bras pour attraper mon livre de maths, j’ai laissé échapper un gémissement. La douleur était déjà bien là, une douleur lancinante qui me transperçait l’épaule. Les souvenirs ont aussitôt resurgi. La colère est montée en moi. J’ai serré les poings de rage, les mâchoires crispées, tandis que les images défilaient devant mes yeux.
    Respirer.
    J’ai fermé les paupières et pris une profonde inspiration pour laisser le vide m’envahir. Il fallait à tout prix lutter, ne pas laisser ces pensées gagner mon cerveau. Je me suis plongée dans mon livre.
    C’est un léger bruit à ma porte qui m’a réveillée, une heure plus tard. Je me suis redressée vivement et, scrutant l’obscurité de la chambre, je me suis efforcée de reprendre mes esprits.
    — Oui ? ai-je dit, tendue.
    — Emma ? a répondu une voix flûtée tandis que ma porte s’ouvrait tout doucement.
    — Tu peux entrer, Jack.
    Sa petite tête est apparue dans l’entrebâillement. Il a jeté un œil autour de moi avant de me regarder d’un air inquiet. Du haut de ses six ans, il avait déjà compris beaucoup de choses.
    — Le dîner est prêt, a-t-il annoncé en baissant les yeux.
    Il semblait presque malheureux d’être le messager de cette information.
    — J’arrive, ai-je répondu avec un sourire forcé.
    Tournant les talons, il est sorti de la chambre. De la salle à manger m’est parvenu le bruit des assiettes et des verres qu’on pose sur la table, accompagné du joyeux babillage de Leyla. Je connaissais la suite : dès que je rejoindrais la jolie petite famille, l’atmosphère se chargerait d’électricité. Comme si ma seule présence était un outrage à ce bonheur parfait.
    Je me suis armée de courage et, à pas lents et l’estomac noué, je les ai rejoints. Les yeux baissés, je suis entrée. Heureusement, elle ne m’a pas vue tout de suite.
    — Emma ! s’est écriée Leyla en se précipitant vers moi.
    À l’instant où je me suis penchée pour la prendre dans mes bras, j’ai senti cette douleur à l’épaule. Je me suis mordu les lèvres pour ne pas crier.
    — Tu as vu mon dessin ? m’a-t-elle demandé en montrant fièrement une grande feuille recouverte de coups de feutres roses et jaunes.
    Dans mon dos, j’ai deviné son regard meurtrier.
    — Maman, tu as vu mon tyrannosaure ! a lancé Jack pour attirer l’attention de sa mère.
    — Il est très beau, mon chéri, a-t-elle répondu.
    — C’est magnifique, ai-je glissé à Leyla. Va te mettre à table, maintenant, s’il te plaît.
    À seulement quatre ans, elle était à mille lieues d’imaginer que sa démonstration de tendresse avait déclenché les hostilités. J’étais sa grande cousine qu’elle adorait, elle était mon soleil dans cette maison de malheur. Comment aurais-je pu lui en vouloir de son affection ? Mais j’allais le payer cher.
    La conversation a repris et je suis redevenue invisible aux yeux de tous. Après avoir attendu qu’ils se soient servis, j’ai pris à mon tour du poulet et des pommes de terre. Sentant que chacun de mes gestes était épié, je n’ai pas levé les yeux de mon assiette. Ma maigre ration ne suffirait pas à calmer ma faim, je le savais. Mais je n’avais pas osé en prendre davantage.
    Elle parlait sans cesse, racontant dans ses moindres détails sa journée au bureau. Sa voix me retournait l’estomac. George, comme toujours, la réconfortait avec des paroles gentilles. Lorsque j’ai demandé à voix basse si je pouvais sortir de table, il m’a lancé un de ses regards insaisissables et a hoché la tête en guise d’autorisation.
    J’ai emporté mon assiette à la cuisine, ainsi que celles de Jack et Leyla qui avaient déjà filé dans le salon pour regarder la télé. Ma routine du soir commençait : débarrasser, rincer les assiettes avant de les mettre dans le lave-vaisselle, puis laver les plats et les casseroles que George avait utilisés pour préparer le dîner.
    J’ai attendu que tout le monde soit dans le salon avant de prendre ce qui restait sur la table. Après avoir fait et rangé toute la vaisselle, sorti les poubelles et passé la serpillière dans la cuisine, je suis retournée dans ma chambre. Le plus discrètement possible, j’ai traversé le salon où les enfants riaient et dansaient devant la télévision. Personne ne m’a remarquée, comme d’habitude.
    Je me suis allongée sur mon lit, j’ai mis mes écouteurs et ai monté le volume à fond pour laisser la musique m’envahir. Le lendemain, j’avais un match. Je rentrerais tard et n’assisterais donc pas à ce merveilleux dîner de famille. Une journée supplémentaire s’écoulerait, rendant plus proche le moment où, enfin, tout cela serait derrière moi. Quand je me suis tournée sur le côté, la douleur m’a cruellement rappelé ce que « tout cela » était. J’ai éteint la lumière et me suis laissé bercer par la musique pour trouver le sommeil.

     

    Alors, tentés?

  • Premières lignes #8

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    Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
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    Pour ma part, j’ai décidé de vous faire découvrir mes coups de cœurs !

     

    Cette semaine, je vous présente La reine clandestine de Philippa Gregory dont vous pouvez lire le résumé et ma chronique ICI

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    J’ai pour père sir Richard Woodville, baron Rivers, noble du royaume, propriétaire de bonnes terres et partisan des véritables rois d’Angleterre : la lignée de Lancastre. Ma mère tire ses quartiers de noblesse du duché de Bourgogne. Dans ses veines coule le sang de Mélusine, qui fonda cette auguste maison avec le premier des ducs, son amant. La voix de la déesse se fait encore entendre quand, par-dessus les toits du château, elle avertit d’un long cri plaintif que le fils héritier se meurt, que la famille est maudite.
    Du fait de cette ascendance contradictoire, de cette solide terre anglaise à laquelle se mêlent les eaux françaises, on me tient tantôt pour une fille ordinaire, tantôt une enchanteresse. Certains affirment que ces deux qualités me dépeignent d’égale mesure. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, alors que je brosse ma chevelure avec soin, la couvre de ma plus haute coiffe, puis prends la route de Northampton avec mes deux fils à la main, je donnerais tout ce que je possède pour être simplement irrésistible.
    Il me faut attirer l’attention d’un jeune homme qui s’apprête à livrer une énième bataille contre un ennemi invincible. Peut-être ne m’apercevra-t-il même pas. Son humeur ne le portera ni à l’écoute d’une requête ni au badinage. Je dois susciter sa compassion pour qu’il mette un terme à mes tourments. Cet homme, au cou duquel se pendent chaque soir des femmes magnifiques, doit également choisir parmi des centaines de postulants dès qu’il lui plaît d’octroyer un poste.
    Ce personnage est un usurpateur, un tyran, mon ennemi tout comme son père l’était avant lui. Mon propre père s’en fut combattre à Towton ce gamin vantard qui se proclame roi d’Angleterre. Jamais je ne vis chevalier plus brisé que lui lorsqu’il revint de cette bataille, livide, la chemise imbibée de sang. Il balbutiait que ce jouvenceau surpassait les plus grands commandants, que notre cause était perdue. Vingt mille hommes périrent à Towton ; aucun champ de bataille anglais n’avait jamais été jonché d’autant de cadavres. Mon père qualifia la victoire yorkiste de véritable « fauchée de Lancastriens ». Dans son sillage, le roi Henri, notre souverain légitime, dut s’enfuir en Écosse avec son épouse, la reine Marguerite d’Anjou.
    Ceux d’entre nous demeurés en Angleterre ne se rendirent point sans combattre. Les échauffourées se succédèrent contre ce faux roi, cet enfant d’York. Mon propre époux, sir John Grey, périt à la tête de notre cavalerie à la bataille de St Albans, il y a trois ans, me laissant veuve, dépossédée de mes terres et de ma fortune. Ma belle-mère s’en est alors emparée, avec la bénédiction du véritable vainqueur. Celui que l’on surnomme le « faiseur de rois » : Richard Neville, comte de Warwick. Ce talentueux marionnettiste, maître de l’enfant-roi yorkiste, est parvenu à transformer en monarque un gamin vaniteux de vingt-deux ans. Il s’emploie aujourd’hui à convertir l’Angleterre en antichambre de l’enfer pour les partisans de la maison de Lancastre.
    Les Yorkistes occupent à présent toutes les positions dominantes du royaume, tirent profit des places fortes, des commerces et des impôts les plus lucratifs. Les amis du jeune souverain forment la nouvelle cour. Quant à nous, les vaincus, nous sommes devenus des étrangers dans notre propre pays, tandis que notre reine ourdit sa vengeance avec un vieil ennemi de l’Angleterre, Louis de France. Il nous faut accepter les conditions dictées par le tyran d’York, priant en notre for intérieur que Dieu s’en détourne et assiste notre souverain légitime lorsqu’il guidera son armée vers l’ultime confrontation.
    Dans l’intervalle, je m’applique à recoller les morceaux épars de ma vie. J’ambitionne de récupérer ma fortune, sans pouvoir compter sur l’aide de parents ni d’amis car j’appartiens à une famille de traîtres, pardonnés mais honnis, dépouillés de tout pouvoir.

     

    Alors, tentés?

  • Premières lignes #7

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    Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
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    Cette semaine, je vous présente La servante écarlate de Margaret Atwood

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    Nous dormions dans ce qui fut autrefois le gymnase. Le sol était en bois verni, avec des lignes et des cercles tracés à la peinture, pour les jeux qui s’y jouaient naguère ; les cerceaux des paniers de basket-ball étaient encore en place, mais les filets avaient disparu. Un balcon courait autour de la pièce, pour recevoir le public, et je croyais sentir, ténue comme une image persistante, une odeur âcre de sueur transpercée par les effluves sucrés de chewing-gum et de parfum que dégageaient les jeunes spectatrices, que les photographies me montraient en jupes de feutrine, plus tard en minijupes, ensuite en pantalons, puis parées d’une unique boucle d’oreille, les cheveux en épi, striés de vert. On avait dû y organiser des bals ; leur musique y traînait encore, palimpseste de sons non entendus, un style succédant à l’autre, courant souterrain de batterie, plainte désespérée, guirlandes de fleurs en papier mousseline, diables en carton, boule de miroirs pivotante, poudrant les danseurs d’une neige de lumière.
    Cette salle sentait les vieilles étreintes, et la solitude, et une attente de quelque chose sans forme ni nom. Je me rappelle cette nostalgie de quelque chose qui était toujours sur le point d’arriver et qui n’était jamais comme ces mains alors posées sur nous, au creux des reins, ou comme ce qui se passait sur le siège arrière, dans le parking, ou dans le salon de télévision, le son coupé, avec seules les images à clignoter sur la chair émue. Nous soupirions après le futur. Comment l’avions-nous acquis, ce don de l’insatiabilité ? Il était dans l’air ; et il y demeurait, comme une pensée à retardement, tandis que nous essayions de dormir dans les lits de camp qui avaient été disposés en rangées, espacées pour que nous ne puissions pas nous parler. Nous avions des draps de molleton, comme ceux des enfants, et des couvertures de l’armée, des vieilles, encore marquées U.S. Nous pliions soigneusement nos vêtements et les déposions sur les tabourets placés au pied des lits. La lumière était en veilleuse, mais pas éteinte. Tante Sarah et Tante Élisabeth patrouillaient ; un aiguillon électrique à bétail était suspendu par une lanière à leur ceinture de cuir.
    Pas de pistolet, pourtant, même à elles on n’aurait pas confié une arme. Les revolvers étaient réservés aux gardes, triés spécialement parmi les Anges. Les gardes n’étaient pas autorisés à entrer dans le bâtiment, sauf sur appel, et nous n’étions pas autorisées à en sortir sauf pour nos promenades, deux fois par jour, à faire deux par deux le tour du terrain de football, qui était maintenant entouré d’une clôture en maillons de chaîne, surmontée de fil de fer barbelé. Les Anges se tenaient à l’extérieur, le dos vers nous. Ils étaient pour nous des objets de peur, mais d’autre chose aussi. Si seulement ils voulaient bien regarder. Si seulement nous pouvions leur parler. Quelque chose pourrait être échangé, pensions-nous, quelque arrangement conclu, quelque marché, nous avions encore nos corps. Tel était notre fantasme.
    Nous apprîmes à murmurer presque sans bruit. Dans la demi-obscurité nous pouvions étendre le bras, quand les Tantes ne regardaient pas, et nous toucher la main à travers l’espace. Nous apprîmes à lire sur les lèvres, la tête à plat sur le lit, tournée sur le côté, à nous entre-observer la bouche. C’est ainsi que nous avons échangé nos prénoms, d’un lit à l’autre.
    Alma. Janine. Dolorès. Moira. June.

     

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  • Premières lignes #6

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    Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
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    Cette semaine, je vous présente Angie, 13 ans, disparue de Liz Coley

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    Tu avais oublié comme le soleil se lève tôt, en été, et combien les oiseaux s’égosillent le matin. Tu te pelotonnas dans la tiédeur de ton duvet pour ne plus voir cette lumière verte qui transperçait la toile de tente, mais impossible de te rendormir avant d’avoir réglé ce petit problème… Sortant une épaule, tu poussas un soupir.
    — Quoi donc… ? chuchota Livvie, pointant le nez hors de son sac de couchage.
    Katie se renfonça dans son propre cocon et tira la capuche par-dessus sa tête.
    — Je vais tirer un bock…
    Votre code scout pour : « faire pipi ».
    — D’autres sont déjà levées ?
    Liv ouvrit un œil ensommeillé.
    — J’crois pas…
    Tu reniflas.
    — Je ne sens pas la fumée d’un feu de bois.
    L’œil de Liv s’écarquilla.
    — C’est pas notre tour, j’espère ?
    — Non, non ! Rendors-toi…
    Tu tiras sur le zip de la tente et t’exposas à la fraîcheur du petit matin. Des nuages rosâtres passaient au-dessus des arbres, très haut. Les aiguilles de pin étouffaient le bruit de tes pas tandis que tu t’éloignais discrètement du camp. Tes camarades étaient toutes encore endormies. Le soleil n’avait pas encore réchauffé l’atmosphère et tes bras nus étaient couverts de chair de poule.
    Une multitude de pins encerclait la clairière où le camp avait été dressé, la veille. Pin lodgepole, ponderosa, pin de Jeffrey, pin à sucre – Mme Wells t’avait appris l’aspect des écorces et des aiguilles pour que tu mérites ton badge forestier. Tu retrouvas le sentier que vous aviez emprunté toutes ensemble et tu allas de ce côté-là, cherchant un bouquet d’arbres un peu plus étoffé. En plein air, on ne peut pas être trop exigeante, question intimité. Des mûres sauvages bordaient ce sentier et tu en fis ton petit déjeuner ; le jus âcre, violet, tachait tes lèvres et tes doigts. Il y avait un tronc d’arbre avec un champignon en forme de soucoupe couché en travers, et tu notas cela comme point de repère. Puis tu t’écartas de ce chemin pour t’aventurer dans les bois, cherchant l’endroit propice.
    Lentement, tu pivotas sur toi-même pour chasser cette sensation que tu avais toujours par ici, celle d’être observée, avant de baisser ton pantalon de jogging pour t’accroupir. C’est tout un art, de pisser en forêt sans s’asperger les pieds ou les vêtements, en tout cas pour une fille.
    Soudain, une brindille craqua, tel un coup de fusil. Ton cœur se serra. Ton regard dévia dans cette direction, s’attendant à apercevoir un écureuil. Un lapin. Un chevreuil. Pas… un homme, qui se confondait parfaitement avec le sous-bois, à l’exception de ses yeux petits, bruns, des yeux qui te dévisageaient avec une avidité presque familière.
    — Chut !
    Il mit un doigt sur ses lèvres, et s’approcha.
    Toi, tu te battais avec ton jogging, rendue maladroite par l’humiliation et le choc. Tu ne pouvais détacher tes yeux des siens ni voir le reste de son visage, clouée comme tu l’étais par l’intensité de ce regard imperturbable. Tu ouvris la bouche pour parler, crier, supplier, mais rien – c’était comme si un nœud coulant avait été passé autour de ton cou et qu’il en tenait l’extrémité. Ensuite, il t’attrapa. D’une main il te bâillonna, de l’autre il bloqua ton bras dans ton dos avec une force invincible. Tu n’avais toujours pas respiré.
    — Ne résiste pas, ma petite chérie, chuchota-t-il en se pressant contre toi, t’effleurant l’oreille de ses lèvres moites.
    Résister ? Tes membres étaient mous, faibles. Tes genoux sur le point de se dérober. Tu ne pouvais même pas faire un pas, courir, t’enfuir. Comment résister ? Ton ventre se crispa et le bruit du vent emplit tes oreilles – un ouragan dans ta tête.
    À travers cet ouragan, tu entendis la voix haut perchée d’une fillette s’écrier : « Vite ! Cache-toi ! »
    C’est moi qui ai ouvert la porte rouillée pour que tu puisses te glisser à l’intérieur.
    Une douleur fulgurante fusa entre tes tempes. Et pourtant tu restais là, pétrifiée. On tira, tira, jusqu’à ce que quelque chose se casse. L’espace d’un instant, tu te réduisis aux dimensions d’un atome de lumière, te sentant coupée de ton corps.
    Tu t’étais cachée. Nous t’avons cachée en attendant que tu ne risques plus rien.
    C’était il y a très, très longtemps.

     

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  • Premières lignes #5

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    Cette semaine, je vous présente La démesure de Céline Raphaël 

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    "Un soir, peu après mon dixième anniversaire, alors que j’avais reçu de nombreux coups et que je n’avais pas eu le droit de dîner, mon père a décidé que je n’irai pas me coucher sans une dernière punition. Il m’a emmenée dans la cuisine et m’a fait asseoir à table. Il a ensuite pris une assiette et y a mélangé de l’omelette froide, un yaourt, du pain, de l’eau et de la salade.
    « Tu ne sortiras de table que lorsque tu auras tout fini. Tout. Y compris la sauce. »
    J’ai alors osé me tourner vers lui, entre bravade et désespoir. Je lui ai demandé, en larmes, ce que je lui avais fait pour mériter de souffrir comme il me faisait souffrir. Même Haydn, notre berger allemand, était mieux traité que moi. Mon père m’a répondu froidement, en me regardant droit dans les yeux :
    « Tu es pire qu’un chien. »

    Ces mots irrémédiables ont marqué ma chair jusqu’au sang. Je ne les oublierai jamais. J’ai beaucoup de mal à m’en défaire.
    Toutes les années qui passent me rappellent à eux et sont un frein à un épanouissement que j’aimerais total. J’ai très peu confiance en moi. Je ne m’aime pas beaucoup.
    Je ne suis pas vraiment moche mais pas vraiment belle non plus.
    On ne peut pas dire que je sois bête mais je ne me trouve pas vraiment intelligente.
    J’ai du mal à penser qu’on puisse être un jour fier de moi et je m’étonne chaque jour d’avoir un compagnon depuis tant d’années et qui m’aime avec tant de force. J’ai la désagréable impression d’être un imposteur.
    Mon père voulait faire de moi une pianiste d’exception. Il exigeait de moi la perfection, et je n’ai jamais pu être à la hauteur de ses attentes. J’étais simplement une enfant normale et je l’ai payé très cher.

    Lorsque je me regarde dans le miroir, je repense à toutes ces années de lutte pour ne pas mourir. Toutes ces années à souffrir en silence dans l’espoir qu’un jour quelqu’un viendrait me sauver la vie, en m’arrachant des mains de mon père. Je me suis battue pour survivre et j’ai survécu. Aujourd’hui, en définitive, je crois même pouvoir dire que j’ai réussi. Une thèse de sciences en poche, l’internat de médecine qui touche à sa fin, et un combat que j’ai commencé à mener contre la maltraitance faite aux enfants, pour faire tomber les tabous et éviter que d’autres souffrent en silence. Les lois et les mentalités doivent évoluer pour réduire à néant les tortures intra-familiales, si faciles à cacher tant on ne veut pas les voir.
    Avec le recul, je me dis que, tout compte fait, je vaux bien mieux qu’un chien.

    Oublier ? Pardonner ? Comment se reconstruire ? Peut-être en racontant, pour éviter le pire à d’autres enfants, pour ouvrir les yeux aux adultes qui les entourent.
    Ceci est mon histoire. Au nom de mon don pour la musique, je suis devenue une bête à jouer, et mon père a été mon bourreau. Autour de moi, les autres faisaient la sourde oreille.

    Aujourd’hui, mes doigts courent sur le clavier, et j’y dépose mes souvenirs. J’écris, à mon rythme, la partition de mon histoire pour trouver, enfin, une nouvelle harmonie.

    Écoutez-moi."

     

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  • Premières lignes #4

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    Cette semaine, je vous présente Un bonheur insoutenable d'Ira Levin

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    "Piliers de béton blancs et aveugles d’une ville, géants entre de moindres géants, entourant une vaste place rase où s’ébattaient quelque deux cents enfants encadrés par une douzaine de surveillantes en blouses blanches. La plupart des enfants – nus, bruns, aux cheveux noirs – rampaient à travers des cylindres jaunes et rouges, jouaient à la balançoire ou faisaient de la gymnastique par petits groupes ; mais dans un coin ombragé, assis en demi-cercle sur un quadrillage de marelle incrusté dans le sol, quatre d’entre eux écoutaient un cinquième parler.
    — Ils attrapent des animaux, les mangent et s’habillent avec leurs peaux, disait celui qui parlait, un petit garçon de huit ans. Et aussi, ils se… « battent ». Ça veut dire qu’ils se font mal, exprès, avec leurs mains ou bien avec des pierres ou des bâtons. Ils ne s’aiment pas et ne s’aident pas. Pas du tout.
    Les quatre enfants l’écoutaient bouche bée. Une petite fille, plus jeune que celui qui avait parlé, dit : « Mais on ne peut pas ôter les bracelets. C’est impossible. » Elle tira sur son propre bracelet avec un doigt, pour montrer la solidité des maillons.
    — Si, on peut, si on a les outils qu’il faut, dit le garçon. On l’ôte bien le jour de l’union, non ?
    — Oui, mais seulement pour une seconde.
    — Peut-être, mais on l’ôte.
    — Où vivent-ils ? demanda un autre.
    — Au sommet des montagnes. Dans des cavernes. Dans un tas d’endroits où on ne peut pas les trouver.
    — Ils doivent être malades, dit la première petite fille.
    — Bien sûr ! s’exclama le garçon en riant. C’est pourquoi on les appelle « incurables ». Incurable veut dire malade. Ils sont très, très malades.
    Le plus jeune des enfants, un garçon d’environ six ans, dit :
    — Ils ne se font pas faire leurs traitements ?
    L’autre le regarda avec dédain.
    — Sans leurs bracelets ? Dans des cavernes ?
    — Mais comment deviennent-ils malades ? demanda celui qui avait six ans. Ils sont traités jusqu’au jour où ils s’en vont !
    — Les traitements, affirma l’aîné, ne sont pas toujours efficaces.
    Celui qui avait six ans le regarda avec stupéfaction.
    — Mais si !
    — Mais non !
    — Christ ! s’exclama une surveillante en approchant, un ballon de volley sous chaque bras ; vous êtes assis bien près les uns des autres ! À quoi jouez-vous ? Au Lapin Caché ?
    Les enfants se levèrent promptement, et allèrent former un demi-cercle plus large – sauf le plus jeune, qui ne bougea pas. La surveillante le regarda avec curiosité.
    Un carillon de deux notes résonna dans les haut-parleurs.
    — Douche et vestiaire, dit la surveillante.
    Les enfants s’éloignèrent en courant. Le plus jeune, lui, se leva lentement et resta immobile, l’air malheureux. La surveillante s’accroupit devant lui et examina son visage avec inquiétude.
    — Qu’est-ce qui ne va pas ? lui demanda-t-elle.
    Le petit garçon, dont l’œil droit était vert et non pas marron, la regarda et cilla.
    La surveillante laissa tomber les deux ballons, lui prit le poignet pour examiner son bracelet, puis lui serra doucement les épaules.
    — Qu’y a-t-il, Li ? As-tu perdu la partie ? Perdre c’est la même chose que gagner, tu sais bien ?
    Le petit garçon fit signe qu’il comprenait.
    — Ce qui importe, c’est de s’amuser et de prendre de l’exercice, n’est-ce pas ?
    Le petit garçon inclina de nouveau la tête et essaya de sourire.
    — Bien, dit la surveillante. Voilà qui est mieux. Comme ça, tu ne ressembles plus à un petit singe triste.
    Le petit garçon sourit.
    — Douche et vestiaire, dit la surveillante avec soulagement. (Elle lui donna une petite tape sur le derrière.) Et maintenant, va rejoindre les autres. Allez, cours !"

     

    Alors, tentés?

  • Premières lignes #3

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    Cette semaine, je vous présente Une bonne épouse indienne d'Anne Cherian

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    "Le billet d’avion et l’aérogramme arrivèrent le même jour. L’équipe de nettoyage avait déposé le courrier en une pile bien nette sur le plan de travail de la cuisine. Comme toujours, l’appartement était impeccable, et l’odeur âcre et tenace du produit désinfectant rappelait à Neel l’hôpital.
    Il vérifia la date et l’itinéraire – 16 juin, San Francisco-Bombay, via Francfort – et rangea le billet dans le tiroir « Inde ». Celui-ci contenait trois cents roupies, reste de son précédent voyage, une poignée de menue monnaie et son passeport indien dont il oubliait toujours de se débarrasser. Il possédait un passeport américain à présent, et c’était la première fois qu’il lui fallait un visa pour entrer en Inde.
    Sans la moindre hésitation, il froissa la lettre de sa mère et la jeta à la poubelle. Elle serait furieuse si elle découvrait qu’il ne l’avait pas lue malgré tout le mal qu’elle s’était donné, mais, à raison de trois lettres par semaine au cours des derniers mois, il en connaissait le contenu par cœur. Toutes commençaient par la sempiternelle question : « Quand viens-tu ? » Allait-il vraiment laisser Grand-Père mourir sans le revoir une dernière fois ? Puis, après l’inévitable paragraphe dans lequel elle exprimait son souci pour lui (« Tu manges correctement ? Tu dors assez ? »), sa mère développait la vraie raison de sa lettre sur le reste de la fine feuille de papier : le mariage. Les filles. Ou, comme elle disait, « l’étoffe d’une bonne épouse ».
    Lors de son dernier voyage, trois ans auparavant, il avait refusé de rencontrer les filles qu’elle avait sélectionnées pour lui. Après une semaine de cris et de larmes, de lamentations adressées aux dieux qui l’avaient affligée d’un fils si difficile, elle dut endurer une terrible humiliation en annulant les visites de ces familles empressées. « Je suis tellement désolée, mais mon fils… Vous savez comme ils changent une fois qu’ils partent en Amérrrique. Il dit qu’il est trop jeune pour se marier. » Elle ne pouvait plus invoquer cette excuse maintenant. Neel avait trente-cinq ans et, comme elle ne cessait de le lui rappeler, bientôt il ne ferait plus partie des hommes « éligibles ».
    Neel avait envie de se débarrasser du billet d’avion aussi, mais il savait qu’il ne pouvait pas remettre ce voyage à plus tard. Son grand-père était malade depuis un mois et, bien qu’elle n’entrât pas dans les détails, sa mère ne cessait de lui répéter que Tattappa n’avait plus longtemps à vivre.
    Tattappa savait-il que Mummy avait de nouveau recours à ses anciennes ruses ? Pourquoi ne s’associait-il pas à elle pour l’amener à accepter un mariage arrangé ? se demandait Neel. Après tout, il était l’unique petit-fils qui perpétuerait leur nom, celui d’une famille ancienne et très respectée. D’après Tattappa, qui l’avait appris de la bouche de son propre grand-père, la famille Sarath était originaire d’un minuscule royaume datant de l’époque où l’Inde, pas encore sous le joug britannique, évoquait un puzzle, chaque pièce représentant le terrain de jeu héréditaire d’un millier de rois. Quand Neel était jeune, il adorait écouter l’histoire de leur lointain ancêtre, lequel avait épousé la fille du roi et acquis une belle réputation en devenant un Premier ministre d’une grande habileté. Au cours des quatre derniers siècles, les Sarath avaient maintenu le « nom » de la famille en se mariant dans leur caste, les Iyengars, la meilleure de toutes les castes de l’Inde du Sud, convoitée pour la peau claire de ses membres et pour leur intelligence. Les filles épousaient des fonctionnaires, des capitaines de l’armée, des hommes confortablement installés au sein des couches supérieures de la société indienne et grimpant encore plus haut dans l’échelle sociale. Et les hommes se mariaient avec des beautés au teint clair comme sa mère.
    Tattappa comprenait, semble-t-il, que Neel s’était fait une nouvelle vie en tant que docteur Neel Sarath, anesthésiste, à présent citoyen américain. Ou peut-être ne souhaitait-il pas chercher une autre jeune fille, ayant déjà choisi Mummy pour son propre fils. Mummy, elle, tenait manifestement au privilège d’élire sa future bru."

     

    Alors, tentés?

  • Premières lignes #2

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    Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
    Le principe est de, chaque semaine, vous faire découvrir un livre en vous en livrant les premières lignes.
    Pour ma part, j’ai décidé de vous faire découvrir mes coups de cœurs !

     

    Cette semaine, je vous présente Réponds si tu m'entends de Marian Keyes.

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    "L'adresse de l'expéditeur ne figurait pas sur l'enveloppe. Bizarre. J'ai ressenti un léger malaise. Qui s'est accentué lorsque j'ai remarqué mes nom et adresse...
    Une femme sensée n 'aurait pas parcouru ce courrier. Une femme sensée l'aurait jeté à la poubelle sans autre forme de procès. Mais, à part un bref laps de temps entre vingt-neuf et trente ans, quand m'étais-je déjà montrée raisonnable ?
    Alors voilà, j'ai décacheté l'enveloppe.
    C'était une carte, une aquarelle représentant des fleurs défraîchies dans un vase. Assez fine pour que je distingue au toucher quelque chose à l'intérieur. De l'argent ? Un chèque ? Je faisais dans le sarcasme — même si personne n 'était là pour m'entendre et si, de toute façon, je prononçais ces mots en mon for intérieur.
    Oui, il y avait bien quelque chose à l'intérieur : une photo... Pourquoi m'envoyait-on cette photo ? J'en avais déjà tout un tas. Puis je me suis aperçue que je me trompais. Ce n'était pas lui. Et là, soudain, j'ai tout compris.

    ***

    Maman a ouvert la porte du salon toute grande en lançant : « Bonjour, Anna, c'est l'heure de tes cachets. »
    Elle essayait d'avancer d'un pas décidé, comme les infirmières qu'elle avait vues dans les séries télé, mais la pièce était tellement encombrée de meubles qu'elle avait du mal à se frayer un chemin vers moi.
    Deux mois que j'étais arrivée en Irlande. J'étais incapable de monter l'escalier, avec ma rotule luxée, alors mes parents m'avaient installé un lit au rez-de-chaussée, dans le Beau Salon.
    Ne vous y méprenez pas, c'était un immense honneur : en temps normal, nous n'avions le droit d'entrer dans cette pièce que lors des fêtes de Noël. Le reste de l'année, toutes les activités familiales - séances télé, grignotage de chocolat, chamailleries - avaient lieu dans le garage où nous étions à l'étroit, reconverti et pompeusement baptisé « Salle Télé ».
    Mais lorsqu'on a mis mon lit dans le Beau Salon, il n'y avait plus d'endroit où entreposer le mobilier -canapés à gros coussins et autres fauteuils à pompons de passementerie. Désormais, la pièce ressemblait à un magasin de meubles bon marché où des centaines de canapés s'entassent les uns contre les autres, de sorte qu' il fallait presque les escalader comme des rochers en bord de mer.

    « Bon, à nous. » Maman a sorti mon ordonnance, sur laquelle figuraient les heures exactes auxquelles je devais prendre mes médicaments - antibiotiques, anti-inflammatoires, antidépresseurs, somnifères, vitamines, antalgiques qui procuraient une très agréable sensation de flottement, et un membre de la famille Valium qu'elle avait remisé dans un coin secret.
    Boîtes et flacons s'empilaient sur une petite table basse en bois finement ciselé - plusieurs chiens en porcelaine d'une laideur infâme leur avaient cédé la place et se retrouvaient par terre à me lancer des regards lourds de reproche -, et maman s'est mise à les trier pour me donner les bonnes pilules.
    Mon lit avait été ingénieusement placé près de la fenêtre pour que je puisse regarder les gens qui passaient. Sauf que c'était impossible : se trouvait là un voilage aussi inamovible qu'un rideau de fer. Au sens non pas physique, comprenez-le bien, mais social : dans la banlieue dublinoise, écarter effrontément ses rideaux pour avoir une vue imprenable sur « les gens qui passent » est un faux pas équivalant presque à peindre sa porte d'entrée en écossais. De toute façon, il n'y avait pas de passants. Quoique... En fait, depuis quelque temps, à travers le voile, j'avais remarqué une vieille dame qui s'arrêtait presque chaque jour pour faire uriner son chien devant chez nous. Parfois, j'avais l'impression que le chien, un adorable terrier blanc tacheté de noir, n'en avait pas envie, mais que sa maîtresse avait l'air d'insister.
    « Voilà, ma petite demoiselle. » Maman ne m'avait jamais appelée « ma petite demoiselle » avant tous ces événements. « Allez, avale-moi ça. » Elle m'a glissé une poignée de gélules dans la bouche et m'a passé un verre d'eau. Elle était adorable, vraiment, même si je la soupçonnais de seulement jouer un rôle."


    Alors, tentés?

  • Premières lignes #1

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    Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèque. La liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
    Le principe est de, chaque semaine, vous faire découvrir un livre en vous en livrant les premières lignes.
    Pour ma part, j’ai décidé de vous faire découvrir mes coups de cœurs !

     

    Cette semaine, je vous présente Virtuosity de Jessica Martinez dont vous pouvez lire le résumé et ma chronique ICI

     

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    "Le balcon me glaçait la joue. Dix étages plus bas, le trafic était dense sur la grande artère longeant le lac, pourtant j’avais l’impression que le ronronnement des moteurs résonnait à des kilomètres de là. Le spectacle sous mes yeux était d’un calme parfait : un ciel noir et sans étoiles surplombant le lac Michigan, mon bras nu glissé entre les barreaux métalliques de la rambarde et la crosse caramel de mon violon dépassant de mon poing serré.

    Je n’avais qu’à ouvrir la main. Dérouler les doigts, un à un. Lorsque le dernier lâcherait prise, le violon fendrait la nuit telle une flèche, filant vers la terre ferme, en bas. Et tout serait terminé.

    Je libérai mon souffle et sentis mon corps se plaquer contre le béton. Diana m’en voudrait pour la robe. C’était sa couturière qui avait travaillé la mousseline légère, au moyen de surjets et de fronces, pour obtenir ces cascades de bleus, déclinés en trois nuances. À présent écrasés sous moi, les tourbillons de tissu, chiffonnés, devaient absorber la saleté, la graisse et autres cendres de cigarette qui s’accumulent sur les balcons des chambres d’hôtel.

    Je frissonnai. Le vent s’engouffrait par bourrasques, soulevant mes cheveux, qui me fouettaient le visage et le dos, décolleté. Je m’étais débarrassée depuis un moment des barrettes et épingles – c’était même la première chose que j’avais faite en pénétrant dans la chambre. Ensuite j’avais quitté mes chaussures à talons, mes collants et mes boucles d’oreilles. Ça n’avait pas suffi. Je n’arrivais pas à me défaire de la honte qui me collait à la peau.

    J’étais alors sortie sur le balcon avec mon violon.

    La morsure de ce cauchemar éveillé était encore vive, la tension continuait à me nouer la poitrine, la tête, les mollets et les doigts.

    Un million deux.

    Cet instrument valait un million deux cent mille dollars. Ce nombre était difficile à comprendre. À ressentir. J’imprimai un mouvement de balancier au violon, très léger, et fermai les yeux. Meurtrière. Le mot avait surgi dans mon esprit et je le chassai aussitôt. Ridicule : un violon n’était ni un bébé ni un animal. Il n’était pas vivant.

    Je m’en convaincrais plus facilement cependant, si je ne l’avais pas senti respirer, pas entendu chanter.

    Je soulève les paupières. Mes articulations, blanchies, frémissent. L’effet des comprimés se dissipe progressivement. La musique est terminée. J’ouvre la main."

     

    Est ce qu'il vous tente?