Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèque. La liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
Le principe est de, chaque semaine, vous faire découvrir un livre en vous en livrant les premières lignes.
Pour ma part, j’ai décidé de vous faire découvrir mes coups de cœurs !
Cette semaine, je vous présente Un bonheur insoutenable d'Ira Levin
"Piliers de béton blancs et aveugles d’une ville, géants entre de moindres géants, entourant une vaste place rase où s’ébattaient quelque deux cents enfants encadrés par une douzaine de surveillantes en blouses blanches. La plupart des enfants – nus, bruns, aux cheveux noirs – rampaient à travers des cylindres jaunes et rouges, jouaient à la balançoire ou faisaient de la gymnastique par petits groupes ; mais dans un coin ombragé, assis en demi-cercle sur un quadrillage de marelle incrusté dans le sol, quatre d’entre eux écoutaient un cinquième parler.
— Ils attrapent des animaux, les mangent et s’habillent avec leurs peaux, disait celui qui parlait, un petit garçon de huit ans. Et aussi, ils se… « battent ». Ça veut dire qu’ils se font mal, exprès, avec leurs mains ou bien avec des pierres ou des bâtons. Ils ne s’aiment pas et ne s’aident pas. Pas du tout.
Les quatre enfants l’écoutaient bouche bée. Une petite fille, plus jeune que celui qui avait parlé, dit : « Mais on ne peut pas ôter les bracelets. C’est impossible. » Elle tira sur son propre bracelet avec un doigt, pour montrer la solidité des maillons.
— Si, on peut, si on a les outils qu’il faut, dit le garçon. On l’ôte bien le jour de l’union, non ?
— Oui, mais seulement pour une seconde.
— Peut-être, mais on l’ôte.
— Où vivent-ils ? demanda un autre.
— Au sommet des montagnes. Dans des cavernes. Dans un tas d’endroits où on ne peut pas les trouver.
— Ils doivent être malades, dit la première petite fille.
— Bien sûr ! s’exclama le garçon en riant. C’est pourquoi on les appelle « incurables ». Incurable veut dire malade. Ils sont très, très malades.
Le plus jeune des enfants, un garçon d’environ six ans, dit :
— Ils ne se font pas faire leurs traitements ?
L’autre le regarda avec dédain.
— Sans leurs bracelets ? Dans des cavernes ?
— Mais comment deviennent-ils malades ? demanda celui qui avait six ans. Ils sont traités jusqu’au jour où ils s’en vont !
— Les traitements, affirma l’aîné, ne sont pas toujours efficaces.
Celui qui avait six ans le regarda avec stupéfaction.
— Mais si !
— Mais non !
— Christ ! s’exclama une surveillante en approchant, un ballon de volley sous chaque bras ; vous êtes assis bien près les uns des autres ! À quoi jouez-vous ? Au Lapin Caché ?
Les enfants se levèrent promptement, et allèrent former un demi-cercle plus large – sauf le plus jeune, qui ne bougea pas. La surveillante le regarda avec curiosité.
Un carillon de deux notes résonna dans les haut-parleurs.
— Douche et vestiaire, dit la surveillante.
Les enfants s’éloignèrent en courant. Le plus jeune, lui, se leva lentement et resta immobile, l’air malheureux. La surveillante s’accroupit devant lui et examina son visage avec inquiétude.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? lui demanda-t-elle.
Le petit garçon, dont l’œil droit était vert et non pas marron, la regarda et cilla.
La surveillante laissa tomber les deux ballons, lui prit le poignet pour examiner son bracelet, puis lui serra doucement les épaules.
— Qu’y a-t-il, Li ? As-tu perdu la partie ? Perdre c’est la même chose que gagner, tu sais bien ?
Le petit garçon fit signe qu’il comprenait.
— Ce qui importe, c’est de s’amuser et de prendre de l’exercice, n’est-ce pas ?
Le petit garçon inclina de nouveau la tête et essaya de sourire.
— Bien, dit la surveillante. Voilà qui est mieux. Comme ça, tu ne ressembles plus à un petit singe triste.
Le petit garçon sourit.
— Douche et vestiaire, dit la surveillante avec soulagement. (Elle lui donna une petite tape sur le derrière.) Et maintenant, va rejoindre les autres. Allez, cours !"
Alors, tentés?