Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Biographie et Témoignages - Page 4

  • [Livre] Tuée pour l'honneur

    Tuée pour l'honneur.jpg


    Résumé
     : La belle-mère de Sarbjit vient de réunir la famille. Elle regarde autour d'elle avant d'annoncer : " Nous devons nous débarrasser d'elle. ". " Elle ", c'est la sœur de l'auteur de ce livre. Sa faute : avoir fui l'homme auquel elle était mariée de force. Deux semaines plus tard, la jeune femme est enlevée, droguée et étranglée.
    Froidement assassinée. Personne n'aurait rien su si Sarbjit n'avait décidé de révéler ce crime d'honneur insupportable. Elle décide de réclamer justice pour sa sœur.
    Mais dans sa communauté, ce sont des choses qui ne se font pas, et Sarbjit est, à son tour, menacée de mort. Un témoignage unique, à la fois terrifiant et courageux.
    L'histoire vraie d'une femme qui ose briser la loi du silence.

     

    Auteur : Sarbjit Kaur Athwal

     

    Edition : France loisirs

     

    Genre : Témoignage

     

    Date de parution : 2013

     

    Prix moyen : 18€

     

    Mon avis : Le résumé, comme souvent, induit en erreur sur les liens existant entre les protagonistes.
    « Elle », ce n’est pas la sœur de l’auteur, mais sa belle-sœur, la femme du frère de son mari. Celle-ci n’est pas seulement enlevée, elle est victime d’une véritable machination.
    Quant à l’auteur, elle n’est pas menacée de mort parce qu’elle a parlé, elle est menacée bien avant cela, dès l’assassinat de sa belle-sœur. Pendant des années, d’ailleurs, elle n’a pas parlé, terrorisée par les menaces de son beau-frère et de sa belle-mère ainsi que par l’indifférence de son mari devant tout ceci.
    La belle-mère est une vraie actrice qui, bien qu’elle n’en respecte pas les principes, a réussi à se présenter comme une femme très pieuse devant la communauté Sikhe, si bien que celle-ci ne peut pas croire ce dont sa belle-fille l’accuse et la rejette.
    D’ailleurs, on se rend compte que cette communauté ne respecte pas les préceptes Sikhs. Même les parents de Sarbjit, qui la soutiennent dans cette épreuve dès lors qu’ils en ont connaissance, n’en respectent pas les préceptes.
    En effet, les préceptes de cette religion veut, entre autre, une parfaite égalité entre homme et femme ainsi que le choix de son conjoint par les personnes. Or, les filles sont cantonnées à la cuisine et ne disposent d’aucune liberté contrairement aux garçons, et les mariages sont arrangés par les parents, les futurs époux n’ayant pas leur mot à dire dans l’affaire.
    Contrairement à d’autres témoignages, Sarbjit n’est absolument pas rebelle. Elle est l’épouse presque parfaite, se soumettant sans broncher à ce qu’on lui a appris.
    Mais elle est aussi très pieuse et pour elle, l’assassinat de sa belle-sœur ne peut pas être autorisé par la religion et c’est à cause de sa religion que sa vie devient un enfer car elle est tiraillée entre sa conscience, dictée par sa foi, et sa peur de sa belle-famille ainsi que les coutumes qu’on lui a enseignées, même si elle les juge contraire à la religion sikhe.
    Malgré le rejet de sa communauté, elle va suivre ce que sa foi lui dicte et une fois que sa peur est sous contrôle, rien ne peut l’empêcher d’obtenir justice pour sa belle-sœur.
    Clive, l’inspecteur, est d’un grand secours, aussi bien matériel que moral.
    Ce qui prouve que les crimes « d’honneur » n’ont rien à voir avec la religion est que les parents de Sarjbit et ceux de sa belle-sœur, qui sont très traditionalistes, s’élèvent immédiatement contre cette action et font tout pour convaincre Sarjbit de parler à la police.
    La police d’ailleurs, parlons en, avant que Clive entre en scène, Sarjbit a tenté par deux fois de les prévenir du danger que courrait sa belle-sœur, la famille de la jeune femme signale également sa disparition, mais rien n’est jamais fait. Il suffit que le beau-frère de Sarbjit déclare que sa femme l’a quitté pour que l’enquête soit aussitôt classée. On croit rêver !
    Au final, c’est plus d’une quinzaine d’année de sa vie que Sarjbit a perdu auprès de cette famille toxique qui se donne des airs de sainteté en public et méprise ouvertement non seulement la vie d’autrui mais aussi les lois du pays où ils vivent.

    Un extrait : J’ai été éduquée pour être une sikhe respectueuse, honorer ma famille et ma communauté et leur obéir. A treize ans, j’étais une fille disciplinée. Ayant été initiée aux rites du temple avant mon deuxième anniversaire, il ne pouvait pas en être autrement.
    Et pourtant, aussi rigides et traditionnels que soient mes parents, ma famille indienne était plus stricte encore, notamment à mon égard. S’il existait deux interprétations d’une règle, ils choisissaient la plus sévère. Je crus d’abord que ce n’était que leur « façon de faire ». Puis je compris que ce n’était pas juste à cause de moi. Mais à cause de ce que j’étais. Pas la fille de papa.
    Une fille.
    Le sikhisme traite d’égalité, de parité entre toutes les castes, des similitudes et non des différences entre hommes et femmes. Alors, quand j’y repense, pourquoi ne pouvais-je pas sortir sans être accompagnée ? Pourquoi m’obligeait-on à me couvrir dès que je mettais un pied hors de la maison ? Pourquoi devais-je couvrir ma tête d’un voile dès qu’un homme entrait dans le même bâtiment, même si ce n’était qu’un de mes oncles ? Si ma religion le demandait, je l’aurais accepté. Mais cela ne semblait n’être lié qu’à mon sexe.
    Si je pouvais être un garçon…
    Mes cousins étaient dispensés de tout ce que je devais endurer. Ils allaient à l’école du coin, peu après que je leur avais préparé le petit déjeuner. On ne leur demandait jamais de lever le petit doigt pour aider aux corvées. Et ils pouvaient se promener librement dans la propriété, le village et au-delà. Il y avait une règle pour eux et une autre pour moi.
    Cuisiner, coudre, ou aider à la récolte me laissait beaucoup de temps pour réfléchir à la raison pour laquelle on me traiter de manière si différente.
    Puisqu’on m’avait appris à respecter mes aînés et à ne pas douter d’eux, je ne pouvais interroger mon grand-père de peur de paraître impertinente.
    Mais il devait bien y avoir une raison. Je me souviens de m’être douchée un soir, cette même question me trottant dans la tête. Pourquoi étais-je entravée quand la liberté était accordée à d’autres ? Etait-ce uniquement dû à mon sexe ? Etait-ce vraiment pour cela qu’on attendait de moi que je travaille aussi dur qu’un homme, mais sans avoir aucun de leurs privilèges ? Ca ne pouvait se limiter à cela.
    Devant mon reflet dans le miroir en pied embué, je vis le visage de mes parents qui me renvoyait mon regard. Mais je vis aussi autre chose, que je n’avais pas encore remarqué. Après 18 mois de dur labeur et de chaleur torride, j’avais perdu du poids et je flottais dans mes vêtements. Mes bras et mes jambes ne montraient pas un gramme de graisse superflue. Ce n’était pas tout. Mes hanches me semblaient différentes, plus larges, plus souples. Je n’avais plus la poitrine plate de garçonnet que j’avais avant. Je ne savais ni comment ni pourquoi cela arrivait, mais j’avais des courbes, je changeais.
    Et j’avais peur.

     

  • [Livre] Le sacrifice du soir: vie et mort de Madame Elisabeth, sœur de Louis XVI

    le sacrifice du soir - vie et mort de madame lisabeth, soeur de louis xvi.jpg

     

    Résumé : Orpheline à l'âge de trois ans, Madame Elisabeth, la petite sœur de Louis XVI, la dernière de la famille, bénéficie pourtant d'une instruction complète. Sportive, passionnée d'équitation, excellente en mathématiques et en dessin, vive, active et rapide, elle étonne son entourage par la diversité de ses talents et la fermeté de son caractère. Avec sa maison princière et ses amies, elle forme une petite cour au milieu de la cour, y faisant régner la piété et la paix. Elle ne se marie pas, n'entre pas au couvent. Sa vocation est de rester avec les siens, le roi, la reine et leurs enfants. Dans les dernières années de l'Ancien Régime, comme avertie de la tragédie, elle se prépare pour les secourir. A partir de 1789, elle les assiste et les réconforte. Refusant de les abandonner, elle quitte avec eux Versailles pour les Tuileries, et les Tuileries pour la prison du Temple. Après le roi et la reine, elle est guillotinée. Le régime ne peut pas l'épargner. Elle est son ennemie. Elle a toujours vu dans la Révolution un mensonge et une illusion. Elle a toujours déploré la faiblesse de son frère, et n'a jamais pu y remédier. Ange consolateur, grande figure de la résistance spirituelle à la persécution antichrétienne, elle est aussi l'exhortatrice. Elle encourage ses amies à la perfection chrétienne. Dans la voiture du retour de Varennes, elle convertit Barnave à la cause du roi. Sur le chemin de l'échafaud, elle exhorte à la mort ses compagnons de supplice. Puis elle quitte ce monde sans regret, tout à l'espérance de se " retrouver dans le sein de Dieu " avec sa " famille ".

     

    Auteur : Jean de Viguerie

     

    Edition : Cerf histoire

     

    Genre : Historique

     

    Date de parution : 2010

     

    Prix moyen : 19€

     

    Mon avis : L’auteur ne cache pas dans sa biographie sa sympathie pour son sujet (on le comprend), ni son scepticisme quant à la Révolution (on le comprend encore plus).
    Tout au long des jours, voire des semaines qui précédent les événements de 1789, elle pressent que quelque chose va se produire sans en mesurer la gravité (Elle n’imagine pas l’ampleur de la révolte).
    Sans cesse elle pense que la bonté du roi plaidera à sa faveur.
    Toute sa vie, même en captivité, elle continue à vivre selon les principes inculqués par ses gouvernantes, principes issus de l’école de Saint-Cyr, fondée par Madame de Maintenon.

    A plusieurs reprises, du moins jusqu’à la mort du roi, elle aurait pu fuir le pays, les révolutionnaires l’auraient probablement laissée partir. Peut être aurait-elle-même pu emmener Madame Royale, fille du couple royal et seule survivante de la famille.
    Et pourtant, même si elle reste à ses côtés sans jamais faillir, chose qui lui sera reprochée lors de son pseudo procès, elle est souvent en désaccord avec les choix politiques de son frère qu’elle juge faible. Mais sa soumission à son frère et à son roi l’empêcheront toujours de lui dire ouvertement le fond de sa pensée.
    En toute chose, elle trouve du réconfort dans la religion. Elle a dévoué sa vie à Dieu sans pour autant entrer au couvent. Le fait qu’aucun mariage n’ait été envisagé pour elle par Louis XVI, alors qu’elle est mineure, montre que son frère la soutient dans son choix.
    Son grand-père, Louis XV, avait exigé que son éducation soit complète et, malgré l’opposition sur ce sujet des hommes des lumières, hostiles à l’éducation des femmes, on lui a très tôt enseigné la philosophie et ainsi apprit à penser par elle-même.
    Un regret sur cette biographie : qu’on ne sache pas quelle a été sa réaction à l’annonce de la mort du roi, puis de la reine (elle n’a appris la mort de cette dernière que 7 mois après son exécution), ce qui montre l’isolement subi par Madame Elisabeth et Madame Royale dans les derniers mois de la réclusion de Madame Elisabeth.

    Un extrait : Elle est bien chétive cette petite fille que l’on vient de baptiser. Dans ses premiers mois on craint pour sa vie. Ensuite sa santé s’affermit, mais son père et sa mère viennent à mourir. Elle a un an et demi à la mort de son père, à peine trois ans au décès de sa mère. Elle dira souvent « Je suis une enfant de la providence ».
    Le Dauphin et la Dauphine étaient tous les deux animés d’une foi très vive. Leurs deux filles, Marie-Clotilde et Elisabeth, auront la même vertu à un degré héroïque.
    La Dauphine, avant de mourir, les a recommandées à son amie, la comtesse de Marsan, gouvernante des enfants de France. Marie-Louise de Rohan, comtesse de Marsan, est veuve sans enfants. Elle n’a peut-être pas été toujours un prix de vertu, mais c’est une personne très entendue et d’expérience. Elle a élevée les trois garçons, Berry, Provence et Artois, jusqu’à leur passage aux hommes, et tout le monde à la cour s’accorde à dire qu’elle a bien réussi dans cette tâche.
    Maintenant, il lui reste à éduquer les deux sœurs et à les gouverner jusqu’à leur majorité. Louis XV, cela est nouveau de sa part, suit les progrès de ses petites-filles et s’en fait rendre compte.
    Madame de Marsan les conduit tous les jours saluer « grand-papa roi ».
    Malgré une différence d’âge de quatre ans et huit mois, elles sont élevées ensemble. C’est bon pour la petite qui veut imiter la grande. Elles sont logées dans la partie du château réservée aux Enfants de France, au bout de l’aile du Midi, du côté de l’Orangerie, au rez-de-chaussée ouvrant sur une terrasse et dominant le parterre. Les deux enfants peuvent sortir facilement et même se promener autour de la pièce d’eau des Suisses toute proche.
    Le lieu est tranquille, éloigné des agitations de la cour.

  • [Livre] Les secrets de Norah

    les secrets de norah.jpg

     

    Résumé : Autobiographie de Norah Shariff qui risque de créer des remous, le livre Les Secrets de Norah nous amène dans un monde dur, rempli d’obstacles s’interposant entre sa famille immédiate et la liberté. En effet, elle a grandi dans un enfer créé à la fois par les comportements abusifs et violents d’un père dégénéré, les stricts préceptes de ses grands-parents, et dans un système religieux opprimant. Elle-même victime des conjonctures, Norah cherche malgré tout à constamment épauler, voire surprotéger sa mère, qui subit quotidiennement un véritable calvaire où la violence tant physique que psychologique est de mise. Avec le temps, Norah se rend bien compte qu'elle est en train d’y laisser sa vie en entier. Cependant, sa force de tempérament et son audace seront ses deux clés maîtresse pour se libérer de ses horribles entraves.

     

    Auteur : Norah Shariff

     

    Edition : JLC

     

    Genre : Témoignage

     

    Date de parution : 2007

     

    Prix moyen : 7€

     

    Mon avis : Norah revient sur les évènements racontés par sa mère dans « le voile de la peur » en les décrivant de la manière dont elle les a perçus. Elle étoffe le récit de Samia par des épisodes traumatisants que celle-ci a ignoré pendant des années.
    Au fil des pages, je n’ai pas pu m’empêcher de comparer Norah à sa mère, surtout Samia telle que je l’ai perçue dans son second livre « les femmes de la honte ».
    Norah a plus la tête sur les épaules que Samia. Là où Samia claque son argent, fait des crédits, ne réfléchit pas et fonce sans aucune préparation pour venir en aide aux femmes musulmanes, mettant sa propre famille en danger sur le plan financier, Norah, animé du même désir de venir en aide à son prochain est parfaitement consciente qu’il lui faut des moyens pour cela.
    Non seulement elle est réfléchie, mais elle s’analyse avec beaucoup de recul. Si elle semble inconstante en changeant d’emploi à ce qui semble être la moindre contrariété, elle évalue clairement son besoin de changement et l’angoisse qui l’étreint quand la routine se met en place. Elle attribue ces problèmes pour se fixer au manque de stabilité de son enfance et adolescence et au fait qu’à chaque fois qu’elle s’est « posée » durant cette période, cela a été le point de départ de nouvelles souffrances.
    Pour autant elle ne se laisse pas aller et si elle démissionne ou provoque son renvoie, elle se remet aussitôt en selle et recherche un nouvel emploi quasiment immédiatement.
    La peur est toujours présente même si elle la juge irrationnelle maintenant qu’elle et sa famille vivent au Quebec mais, après ce qu’elle a vécu, comment ne pas ressentir de peur, rationnelle ou non ?
    Elle a conscience de ses erreurs, comme la surprotection envers ses petits frères et le fait qu’elle prenne la place de sa mère, ce qui semble arranger celle-ci, et tente de corriger ces erreurs, même si cela prend du temps.
    Elle n’hésite pas, d’ailleurs, à mettre sa mère face à ses propres erreurs pour ne pas la laisser s’enliser dans une situation qui finirait par faire souffrir Samia.
    J’ai trouvé son écriture plus fluide et plus structurée.

    Un extrait : On m'observe, je le sens. Quelqu'un me scrute. Un homme, sûrement ! Si cet autobus pouvait rouler plus vite... Est-ce que je me retourne ? J'hésite... Pas maintenant ! J'ai trop peur. Il pose ses yeux sur moi, je le sens, je le sais. S'il essaie de me faire du mal, je crie... Mais je n'en peux plus, je dois vérifier. Arrête de trembler et décide-toi ! Un et deux et trois... Voilà, c'est fait !

    Personne ne me dévisage, personne ne détourne les yeux. Les deux hommes assis sur la banquette sont plongés dans leur lecture, mon voisin regarde par la fenêtre et celui d'en arrière somnole doucement. Je suis soulagée, mais mon coeur bat encore la chamade ; un frisson me secoue de la tête aux pieds.

    Norah, ce que tu peux être ridicule parfois ! Tout cela est fini, c'est du passé. Tu es au Canada maintenant, tu es en sécurité ; il ne t'arrivera rien.

    J'ai beau faire appel à la raison, je contrôle difficilement mes peurs.

    Mon regard se pose un bref instant sur l'homme au teint foncé et aux cheveux frisés, assis sur le banc de l'autre côté de l'allée. Je respire à peine et mon cœur s'accélère dangereusement.

    Que me veut-il, celui-là ? Avec sa tête d'Arabe... Ne le fixe surtout pas et ignore-le ! Fais ce que je te dis ! Comme ton arrêt d'autobus est l'avant-dernier, il descendra sûrement avant toi.

    Les arrêts se succèdent les uns les autres, trop lentement à mon goût. De la rue Atwater jusqu'à Lachine, je fixe les panneaux publicitaires collés aux murs afin de me changer les idées, mais il ne sort toujours pas. Je sens ses yeux vrillés dans mon dos.

    Ils nous ont retrouvés, j'en suis sûre! Il me suit. Il ne doit pas découvrir où nous habitons. Qu'est-ce que je fais ? Je descends maintenant. Même s'il fait noir et que je doive marcher un peu, il faut que je le sème.

    Je demande l'arrêt. Je descends et je me retrouve sur le trottoir... seule. La portière se referme en exhalant son bruit de succion et l'autobus continue son chemin.

    Je reprends mon souffle. Pendant quelques secondes, je demeure immobile, plantée au bord du trottoir, hébétée. Le scénario suggéré par ma paranoïa s'écroule. Cette histoire n'est que pure imagination. Dois-je rire ou pleurer ? Je ne sais plus. Je sens que mes nerfs lâchent.

    Tu es à Montréal depuis quelques années déjà et rien de fâcheux ne t'est arrivé. Pourquoi t'imaginer qu'on te poursuit encore ? Combien de temps ces peurs vont-elles durer ?

    Un bruit de klaxon me ramène subitement à la réalité. En voulant tourner, une voiture a failli me heurter. Revenons au moment présent! Je me dirige vers la maison, mais j'ai l'impression que la montée n'en finit plus tant je suis épuisée.

    Je rentre rarement aussi tard le soir. J'inspire profondément, le temps de m'imprégner de la nuit. Je contemple le ciel où s'accroche une lune immense entourée d'étoiles. Comme une amie généreuse, elle m'offre sa douceur et m'entoure le cœur d'un baume apaisant. Quelle joie de retrouver ma maison, ma famille, mon cocon de sécurité !

    Aujourd'hui, je ne redoute plus de revenir chez moi. Pendant longtemps, dans mon enfance, j'ai eu peur de franchir la porte de la maison familiale. Je ne m'y sentais jamais en sécurité. Je savais, à coup sûr, que la soirée finirait par des pleurs et des cris.

    Maintenant, ce sont des cris de joie qui soulignent mon arrivée. Mes trois petits frères se précipitent vers moi et me sautent dessus. Ils m'offrent généreusement leur sourire radieux et leurs yeux pleins d'amour. Je donnerais ma vie pour ces trois petits bouts d'homme.

     

  • [Livre] L'enfant que personne n'aimait

    l'enfant que personne n'aimait.jpg

     

    Résumé : " Nous avons faim, Justin, trouve-nous quelque chose ", répètent ses frères. Mais il n'y a rien à manger. Justin sent les larmes monter, la colère l'envahir aussi. Qu'est-il donc censé faire ? Justin n'a que cinq ans, ses frères ont deux et trois ans. Leur mère, héroïnomane, les a laissés seuls et affamés. Une fois de plus. La fois de trop : ce jour-là, Justin a mis le feu à la maison. Six ans et vingt foyers d'accueil plus tard, Justin est enfin arrivé dans une famille aimante qu'il a, au départ, tout fait pour rejeter. 
    Jusqu'au moment où il s'est progressivement ouvert et confié. Là, il est devenu évident qu'il avait atrocement souffert, au-delà de l'imaginable et du supportable...

     

    Auteur : Casey Watson

     

    Edition : City Editions français

    Genre : Témoignage

     

    Date de parution : 2012

     

    Prix moyen : 13€

     

    Mon avis : J’ai découvert cet auteur avec « la petite fille qui criait au secours ». En le lisant j’ai pu constater que c’était son second roman, sur le second enfant confié à ses soins et elle cite de temps en temps Justin, celui avec lequel elle a commencé sa « carrière » de famille d’accueil.
    C’est comme ça que je me suis retrouvée avec « l’enfant que personne n’aimait » entre les mains, pour découvrir ce premier enfant et cette première expérience qui n’a pas dû être de tout repos si on en croit le résumé.

    J’apprécie moins Casey Watson que d’autres personnes exerçant les mêmes fonctions qu’elle parce qu’elle semble toujours chercher la reconnaissance chez les enfants placés.
    Ce qui m’a frappé dans son autre livre, et que je retrouve ici est qu’elle passe des jours à décorer la chambre qui va accueillir l’enfant, selon les goûts qu’elle imagine qu’il va avoir, et qu’elle s’attend à des cris émerveillés voire à voir le gosse se jeter dans ses bras éperdu de bonheur devant une telle chambre.
    Elle oublie un peu vite que ces gamins n’ont confiance en personne, qu’ils ne la connaissent pas et qu’une chambre qui a déjà l’air d’appartenir à un autre ne va pas forcément leur plaire ou les mettre à l’aise.
    Je me demande si elle a choisi ce travail par amour des enfants, ou pour le regard des autres : « quelle femme courageuse »…
    La réalité du travail qu’elle a choisi va vite lui remette les pieds sur terre, même si elle et sa famille vont commettre de nombreuses erreurs dues à leur inexpérience.
    Casey a beaucoup de mal avec les services sociaux. Elle ne supporte pas ceux qui traitent les enfants comme des dossiers sans se préoccuper d’eux plus que ça et le protocole qu’on lui impose lui pèse parfois car il n’est pas toujours dans le meilleur intérêt de l’enfant.
    Je crois que le plus dur pour Casey dans ce premier placement a été d’accepter le fait qu’elle ne ferait que passer dans la vie des enfants qui lui sont confiés, que son rôle n’est que de les remettre sur les rails avant de passer la main à une famille d’accueil traditionnelles. Et que les enfants, s’ils peuvent décider de rester en contact avec elle après leur départ, peuvent tout aussi bien décider de couper les ponts.
    Entre chaque enfant qui leur est confié, Casey et son mari n’ont que deux semaines de vacances et leur référant lui rappelle constamment que, même si elle doit se donner à fond pour les enfants qui sont placés chez eux, elle doit s’endurcir et ne pas oublier que ce qu’elle fait est un travail.

    Un extrait : J’avais rencontré Justin le mardi précédent. À vrai dire, cela ne faisait qu’une semaine qu’on nous avait suggéré ce placement, et huit jours que j’avais quitté mon travail à l’établissement secondaire de notre village. La semaine avait été intense, car tout était arrivé très vite.

    Et, même si Mike et moi n’étions pas encore habitués à ce mode de fonctionnement, nous avions saisi la gravité de la situation. John Fulshaw, notre contact dans l’agence de placement en famille d’accueil, avait été très clair : ce n’était pas une décision à prendre à la légère. Nous ne savions pas encore à quel point il avait raison.

    John avait été désigné comme notre contact dès notre inscription à l’agence, et nous nous sommes immédiatement bien entendus. Nous le connaissions assez bien, désormais, et, si John se faisait du souci, je ne pouvais que m’inquiéter. Cela dit, nous ne nous attendions pas à ce que les choses soient faciles. Mike et moi ne nous étions pas engagés dans l’accueil traditionnel. Nous étions censés pratiquer une sorte d’accueil intense, sur du court terme, en appliquant un nouveau programme de gestion du comportement. Après que ce concept eut été testé avec beaucoup de succès aux États-Unis, certaines municipalités du Royaume-Uni avaient décidé de le financer. Il concernait les enfants considérés comme « non plaçables » – ceux qui avaient déjà été en familles d’accueil et pour qui la seule autre option était d’être confiés de façon permanente à une institution. Mais pas n’importe quelle institution ; en principe, ils avaient déjà essayé les maisons d’enfants : il s’agissait malheureusement de centres d’éducation surveillée, la plupart de ces jeunes étant coupables de délits.

    — Le problème, m’avait dit John lors de notre première conversation au sujet de Justin, c’est que nous savons très peu de choses sur lui et son passé. Et ce que nous savons n’est pas d’un grand secours. Depuis ses cinq ans, il a été placé dans vingt foyers différents, sans succès. Il a connu plusieurs familles d’accueil et maisons d’enfants. Autant dire que vous êtes plus ou moins notre dernière chance. J’aimerais donc venir vous parler de lui, à tous les deux. Demain, si je ne vous prends pas trop au dépourvu.

    Notre petite famille avait discuté de ce coup de fil toute la soirée, tentant de déduire ce que nous pouvions du peu d’informations révélées par John au sujet de l’enfant qu’il voulait nous confier. Qu’avait pu faire ce garçon pour avoir connu vingt échecs de placement en seulement six ans ? C’était incompréhensible. Pourquoi était-il perturbé au point d’être « non plaçable » ? Mais, étant donné le peu d’éléments dont nous disposions, il était inutile de spéculer. Nous saurions bien assez tôt de quoi il en retournait.

    Toutefois, le lendemain matin, John ne nous avait pas appris grand-chose de plus. Aussitôt le café servi, il nous avait confié ce qu’il savait.

    — Au départ, c’est une voisine qui a prévenu les services sociaux. Justin avait été plusieurs fois chez elle pour réclamer à manger.

     

  • [Livre] Le jour où je n'ai pas pu aller au collège

    le jour ou je n'ai pas pu aller au college.jpg

    Résumé : L'école peut parfois faire très mal, surtout à l'adolescence. Chaque année, 150 000 enfants de moins de 16 ans s'évaporent de l'Éducation nationale. Beaucoup d'entre eux sont atteints d'un mal peu connu : la phobie scolaire. Stress permanent, nuits sans sommeil, maux de ventre, visites à l'infirmerie pour échapper à une ou deux heures de cours. C'est par ces symptômes presque banals que l'histoire de Justine a commencé. Un matin d'octobre, à 15 ans, elle n'a tout simplement pas eu la force de continuer. Elle a refusé d'aller au collège, et n'y est pas retournée. Quelle famille est préparée à un tel choc ? Quels parents trouvent les bonnes réponses ? Quel adolescent peut entendre raison dans une telle situation ? Commence alors un long cheminement pour tenter de surmonter l'épreuve et pour reprendre le fil de l'apprentissage jusqu'au baccalauréat. Dans un récit à deux voix, Justine et sa mère, Anne-Marie, racontent les étapes de ce combat et lèvent enfin le voile sur ce phénomène encore tabou.

     

    Auteur : Anne-Marie Rocco & Justine Touchard

     

    Edition : Flammarion

     

    Genre : Jeunesse

     

    Date de parution : 24 aout 2013

     

    Prix moyen : 19€

     

    Mon avis : Même si je pense que nombres de parents ne seront pas d’accord avec moi, je trouve qu’il a fallu un sacré courage à Justine pour un jour dire : Stop !
    Personnellement je n’ai pas eu ce courage. Et pourtant j’ai subi le collège et le lycée comme une peine de prison. Non seulement ça a été la pire période de ma vie, mais je ne m’en suis jamais remise et j’en ai conçu une véritable aversion pour toute espèce de contrainte ou de cadre hiérarchique (je ne supporte pas qu’on me dise ce que je dois faire, j’ai l’impression d’étouffer).
    La phobie scolaire est de toute évidence bien connue par l’éducation nationale (il suffit de voir que le CNED en parle immédiatement et que l’éducation nationale a tout prévu, jusqu’au moindre document nécessaire pour qu’un enfant souffrant de phobie scolaire puisse être scolarisé à la maison) et je me pose la même question que la mère de Justine : pourquoi n’en parle-t-on pas ? Ni sur le site de l’éducation nationale, ni dans les réunions de prérentrée, histoire d’alerter les parents sur ce risque ? Non, la phobie scolaire est comme un secret bien gardé. Comment ? La sacro-sainte éducation nationale, la parfaite école républicaine ne ferait donc pas l’unanimité et pourrait même rendre malade les élèves. Non, du tout, c’est sûrement un complot !
    Il ne faut surtout pas dévoiler au grand public que l’éducation nationale n’est rien d’autre qu’une immense machine à broyer tous ceux qui n’entrent pas parfaitement dans le moule : les timides qui peinent à s’exprimer à l’oral, ceux qui ont besoin de plus de sommeil et ne peuvent donc pas passer leurs soirées à réviser, apprendre, faire des devoirs, toujours plus nombreux, chaque professeur considérant que SA matière est la seule valant la peine, ceux encore qui ont juste plus de mal, qui ont besoin de plus de temps pour comprendre, qui n’écrivent pas vite….Tous ceux-là, à la trappe : on veut des robots à l’éducation nationale, de parfaits adultes en miniature sans états d’âme et sans personnalité, près à obéir avec la docilité d’un chien d’arrêt.
    Le même problème s’est posé avec le harcèlement scolaire : combien de suicide d’adolescents poussés à bout a-t-il fallu avant que les pouvoirs public reconnaissent ne serait-ce que l’existence du phénomène ?
    Dans ce récit à deux voix, on suit la même histoire mais vue alternativement par les yeux de Justine, bien décidée à ne pas remettre les pieds dans un lieu qui la détruit à petit feu, et par ceux de sa mère, qui vénère l’école et qui a beaucoup de mal à accepter les problèmes de sa fille. Même si elle fait des efforts, intérieurement, elle bout, elle ne comprend pas et elle veut à tout prix que sa fille réintègre un cursus normal (et peu importe si elle réussit brillamment par correspondance). D’ailleurs le psy de sa fille résumera parfaitement son attitude en lui disant : « Ce que vous voulez, c’est qu’elle réussisse malgré elle ! ».
    Justine a fini par s’en sortir mais les deux auteurs posent la question cruciale : pour une personne qui s’en sort (et cela grâce à l’opiniâtreté des parents qui remuent ciel et terre pour trouver des solutions alternatives à l’éducation traditionnelle), combien d’adolescents broyés et détruits par le système ?
    On n’a pas les chiffres. L’éducation nationale se garde bien de faire une étude là-dessus.

    Un extrait : Dans le vaste gymnase transformé en salle de réunion, les tapis de sol ont été roulés sur le côté, et des rangées de chaises de classe alignées sur le revêtement synthétique vert balisé de lignes blanches. Devant le mur du fond, sous les paniers de basket-ball, ont été placés deux bureaux, autour desquels sont déjà assis les intervenants. Par ses dimensions et sa disposition, l’installation a quelque chose d’impressionnant, comme si nous allions assister à une grand-messe. Et c’est bien de cela qu’il s’agit. Ce 24 septembre 2007, le principal du collège de la région parisienne dans lequel est scolarisée Justine organise la première réunion de parents d’élèves de 3e, et au seul son de sa voix, on peut deviner que les absents ont encore plus tort que d’habitude. « Il n’y aura pas de passage de justesse en classe de 2de », avertit d’emblée le brave homme à la barbe poivre et sel, qui tient à alerter les parents sur le caractère décisif de l’année scolaire qui commence. Il veut manifestement leur mettre la pression dès cette première réunion, comme il l’a fait à la rentrée pour leurs enfants. Le moment est grave, expliquent tour à tour le principal, les professeurs et le conseiller principal d’éducation (CPE) : il y a le brevet en vue à la fin de l’année, et comme pour les lycéens qui s’apprêtent à passer le baccalauréat, des « brevets blancs » seront organisés plusieurs fois au fil des mois. Une façon d’expliquer aux parents que, dorénavant, leurs rejetons auront droit au même traitement que leurs aînés. Cette fois, l’enfance est bien finie…

    Mais le principal sujet de la réunion, c’est bien sûr la perspective de l’entrée au lycée. Car le type d’établissement vers lequel l’élève sera orienté déterminera ses possibilités d’études après le bac. Filière générale et technologique, ou filière professionnelle ? La bouche en cœur, les enseignants expliquent qu’« entrer en 2de professionnelle n’est pas une voie de garage », la preuve étant qu’il y a « plus de demandes que de places ». Mais tout le monde a bien compris le contraire, et moi la première. J’ai de bonnes raisons pour cela : Justine, ma fille, ne manifeste aucune vocation pour la mécanique, l’hôtellerie ou le secrétariat, et je ne tiens pas à ce qu’on lui fasse faire d’office un choix qu’elle risque de regretter. Pour l’instant, elle n’a pas la moindre idée du métier qu’elle veut faire plus tard, et je ne crois pas avoir remarqué qu’autour d’elle ses camarades aient des projets tellement plus précis. Seulement, l’année dernière, le conseil de classe a été formel, et a inscrit son verdict en bas du dernier bulletin de 4e : « avis favorable de passage en 3e en vue d’une orientation en filière professionnelle ». J’en suis tombée des nues.

    Personne n’avait jugé utile de nous avertir de cette décision, pourtant lourde de conséquences pour l’avenir de Justine, de nous l’expliquer, de nous parler des choix qui ainsi s’ouvraient – ni de ceux qui se fermaient. La décision couperet est donc arrivée anonymement par la poste, à la fin juin. Au début, je n’ai pas compris que cette mention resterait inscrite au fer rouge sur le dossier de Justine jusqu’au terme de sa scolarité. Quant à elle, je ne suis pas sûre qu’elle y ait prêté particulièrement attention, ou qu’elle en ait mesuré la portée exacte. Car une orientation professionnelle pour une adolescente de 15 ans qui ne manifeste pas d’intérêt pour une vocation particulière, mais dont les résultats sont probablement jugés insuffisants, c’est bien une sanction et une voie de garage. Affirmer le contraire s’avère d’une hypocrisie sans borne. C’est cependant le discours qu’on nous sert.

    Pendant cette réunion, tous les propos que j’entends me semblent terriblement éloignés de ce qui pourrait éventuellement concerner ma fille. Laquelle ne me paraît pourtant pas être une martienne, si je la compare à ses camarades. À ceci près que là où d’autres parlent avec aplomb, y compris lorsqu’ils se trompent, elle n’ose pas s’exprimer, craignant de se ridiculiser en proférant une bêtise. Les élèves doivent faire preuve de « maturité », explique gravement le CPE, « acquérir l’autonomie de leur propre travail » et « démarrer une réflexion sur leur projet personnel ». Et les parents se montrer vigilants sur le travail de leurs enfants, ajoutent les enseignants : une heure à une heure et demie par jour, quatre heures le week-end. Un minimum, insistent-ils. Il leur faut aussi veiller à ce que l’ordinateur de leur ado soit éteint quand ils travaillent. Ne parlons même pas de la télévision, évidemment à bannir dans une vie idéale où l’existence de l’adolescent doit être tournée vers sa réussite scolaire, au risque qu’il envoie un jour tout balader. Tout va aller très vite, alertent les professeurs : « Dès la mi-janvier, 50 % des cours de l’année sont faits. »

    À la fin de la réunion, l’ambiance est donc un peu lourde, l’inquiétude se lit même sur certains visages. Sur le mien aussi. Pourquoi cette mise en scène, destinée à susciter l’inquiétude plus qu’à motiver ? On se croirait presque à Guignol, où revient régulièrement la peur des coups de bâton du gendarme. Sauf que là, personne n’a envie de rire. Je repars, guère rassurée, et en me posant mille questions.

     

  • [Livre] Loukas ou l'indésiré

    loukas ou l'indesire.jpg

     

    Résumé : Que reste-t-il de l'innocence d'un enfant quand le sort s'acharne ? Élevé dans une communauté religieuse, Loukas est le souffre-douleur de sa famille. De santé très fragile, il subit coups et brimades. À l'adolescence viennent s'ajouter les viols... Son journal intime, tenu dès l'âge de 8 ans, nous dévoile sa terrible vérité.

     

    Auteur : Esther Louve

     

    Edition : Nouvelles plumes

     

    Genre : Témoignage

     

    Date de parution : 2015

     

    Prix moyen : 16€

     

    Mon avis : Fiction ou témoignage ? C’est un peu dur à dire : sur la couverture, figure seulement le nom d’Esther Louve, ce qui est inhabituel pour un témoignage écrit à la première personne par un autre. Si elle a été la plume permettant au protagoniste de prendre la parole, c’est son nom à lui (ou son pseudonyme) qui aurait dû figurer en priorité. De plus sur sa page facebook, l’auteur parle de la sortie de SON livre, sans jamais citer « Loukas ».
    D’un autre côté, le nom de Loukas Rodrigues figure sur la page de garde, sous le nom d’Esther Louve, et un encart précise que les noms et lieux ont été changés sur la volonté de Loukas pour préserver son anonymat et sa sécurité.

    Si c’est de la fiction, l’auteur a peut être poussé un peu loin le désir de tromper le lecteur.
    L’histoire elle-même se présente sous la forme d’un journal intime entrecoupée d’explications donnée par un « Loukas » adulte et, a priori, libéré de la secte.
    Loukas ne se plaint pas ou presque pas de l’attitude de son père à son égard. Ça viendra avec l’âge mais il ne se rebelle pas vraiment.
    En revanche, il essaie d’alerter son entourage sur ce que lui fait subir son oncle. Je reste d’ailleurs totalement abasourdie de la fin que va connaitre cette histoire.
    A aucun moment Loukas ne remet en question l’autorité du maître dans son journal intime, il semble totalement soumis à la secte. D’ailleurs même aujourd’hui, alors que dans les inserts qu’il fait de son opinion d’adulte il laisse entendre qu’il est parti, il n’aime toujours pas que la communauté soit qualifiée de secte.
    En plus d’être un enfant martyre, Loukas est un enfant malade, ce qui rend encore plus intolérable la description de l’attitude de son entourage envers lui. Dès les premières pages, on sait qu’il souffre de leucémie, avec tous les effets que cela peut avoir sur le corps : fatigue, fragilité osseuse…
    Ce qui révolte, c’est que les rares fois où Loukas a vaincu sa peur des représailles pour parler de ce qu’il subissait, on ne l’a pas cru. Et pourquoi ? Parce que son père était un homme respectable : un notaire. Et c’est bien connu, n’est-ce pas ? Un homme cultivé ne peut en aucun cas être un monstre.
    A la fin du livre, on peut lire quelques témoignages de personnes ayant côtoyé Loukas en dehors du cercle restreint de la famille ou de la secte : une infirmière de l’hôpital, une jeune patiente de son âge qui s’était liée d’amitié avec lui et une voisine de l’étude de son père.
    C’est ce témoignage-là qui m’a le plus marqué. La voisine, vieille dame octogénaire durant l’adolescence de Loukas, a vite compris ce qu’il se passait. Et a été tout bonnement menacée par le père qui lui a fait comprendre que la secte savait se débarrasser des fouineurs. Ça m’a fait penser au témoignage de la nièce du dirigeant de l’église de scientologie qui mettait l’accent sur le fait que la secte était persuadée, et souvent à juste titre, d’être au-dessus des lois et de n’avoir rien à craindre de la police ou de la justice.
    La fin est un peu frustrante. Je trouve qu’on ne va pas assez loin. J’aurais aimé savoir comment le jeune frère de Loukas, Diego, qui affiche très tôt sa rébellion, s’est sorti de cet environnement hostile. Et comment Loukas, qui semble si profondément soumis et acquis aux idées de la secte a pu, si les allusions faites ne m’ont pas trompées, partir à son tour.
    J’aurais voulu savoir si les responsables des actes abominables commis sur Loukas avaient fini par payer pour ça, où s’ils avaient continué leur vie, comme si de rien n’était.
    J’ai beaucoup aimé ce livre, mais je le referme sur un goût d’inachevé.

    Un extrait : Voilà mon cahier qui va me servir à écrire ce que je vis et je vais le cacher très bien pour que plus tard, peut-être, il y a quelqu’un qui le lise et se souvienne de moi. Il faut d’abord que je me présente, c’est comme ça dans les livres pour les grands. Celui qui écrit son histoire, il se présente ! alors voilà : je m’appelle Loukas Rodriguez, j’ai huit ans aujourd’hui (c’est pour ça que j’ai un cahier neuf, c’était mon cadeau d’anniversaire que mon frère m’a donné), c’est la première fois que j’ai un cadeau de mon frère (j’ai deux frère, un grand et un petit), c’est mon grand frère qui m’a donné le cahier, alors ça m’a fait drôlement plaisir, mais il faut que personne le sache, surtout pas notre père. Il faut que je dise aussi que chez nous, on fête jamais les anniversaires, enfin surtout le mien, moi j’ai jamais eu de gateau avec des bougies comme mes copains d’école me racontent et aussi pas de cadeau non plus. Mes frères, ils ont un livre, un livre d’instruction qu’il dit notre père car nous devons être des garçons intelligents et que les jouets, c’est pour les petits enfants et ils ont le droit de manger à la table des adultes le soir de ce jour là ; moi, j’ai jamais le droit. Mon plus petit frère, lui, il reçoit encore des jouets parce qu’il est encore un bébé et puis aussi parce que lui, c’est le préféré de nos parents.
    Je suis un grand garçon et comme toute ma famille, je fais partie de la communauté des « frères de foi ». Mon père, il est notaire et ma mère, elle travaille pour lui, mais à la maison (elle prend les rendez-vous et fait les factures).
    J’ai un grand frère (celui qui m’a offert mon cahier) qui s’appelle Manoël, il a onze ans et un petit frère qui s’appelle Diego et qui a trois ans.
    J’ai eu aussi deux sœurs mais elles sont parties au paradis avant que je vienne sur la Terre. Mary était la plus grande, elle est partie bien avant moi et l’autre (je connais pas son nom), elle était avec moi dans le ventre de notre mère, mais elle est remontée au ciel et moi, je suis restée là.
    J’aurais bien voulu moi, qu’elle m’emmène avec elle auprès de notre seigneur Jésus.
    Je suis un petit garçon normal, sauf que je suis tout maigre et pas aussi fort et grand que mes frères et mes copains d’école. C’est parce que moi, je suis malade : quand j’étais plus petit, j’ai été longtemps à l’hôpital, les docteurs ont trouvé dans mon sang quelque chose qui n’allait pas bien, je ne sais pas ce que c’est exactement, mais mon grand frère a dit que c’était une maladie grave qui s’appelle leucémie. Je suis allé dans un grand hôpital où j’ai connu plein d’enfants comme moi, les dames étaient très gentilles avec nous mais c’était difficile d’être malade et tout seul, enfin moi, j’étais tout seul, les autres, ils avaient leurs parents. Mais ça change pas grand-chose à ma vie, sauf que je vais encore souvent à l’hôpital. Père me punit souvent parce que je suis pas assez fort comme il aimerait que je sois, il dit qu’un garçon à doit être très fort et costaud et que ça pleure pas, que nous devons être des vainqueurs car nous sommes des « zélus ». Moi je ne sais pas ce que c’est les « zélus », je comprends pas pourquoi il faut être toujours les plus forts, les premiers dans tout ce qu’on fait, et puis moi, comme je suis souvent puni, alors il m’arrive de pleurer.
    Il faut dire que mes parents, comme ils voulaient pas encore un garçon, alors ils m’aiment pas.
    Je le sais, parce que j’entends souvent Père dire que si j’étais pas là, ça irait mieux pour tout le monde !

  • [Livre] La petite fille qui criait au secours

    la petite fille qui criait au secours.jpg

     

    Résumé : « C’est ma mère, je crois qu’elle est morte. Il y a du sang partout. »
    C’est ce que Sophia ne cesse de répéter en téléphonant à la police. La jeune fille n’a que dix ans. Sa mère vient d’essayer de se suicider et elle ne sortira jamais du coma. 
    Sophia passe alors de famille d’accueil en famille d’accueil et sa vie devient un enfer. Ses sautes d’humeur, ses colères et son comportement agressif laissent deviner de lourdes souffrances remontant à sa petite enfance. A une époque où les amis de sa mère n’hésitaient pas à abuser d’une fillette innocente. 
    Au fur et à mesure, l’histoire de Sophia se dévoile. Terrible, pleine de douleurs, au-delà de l’imaginable.
    Le témoignage émouvant d’une petite fille abandonnée et trahie par les adultes…
     

     

    Auteur : Casey Watson

     

    Edition : City éditions français

     

    Genre : Témoignage

     

    Date de parution : 2013

     

    Prix moyen : 14€

     

    Mon avis : C’est très dur d’avoir de la compassion pour Sophia. Une gamine de douze ans qui s’habille comme une ado de seize, qui traite les gens comme ses serviteurs personnels, qui devient facilement physiquement violente, qui simule des crises puisqu’elle sait qu’on ne peut pas prendre le risque de l’ignorer… Bref un cauchemar ambulant à la sexualité précoce et dérangeante.
    Alors je suis d’accord que ce n’est pas entièrement sa faute, car elle semble atteinte d’un trouble psychologique, ce qui n’est guère étonnant quand on connaît son histoire familiale. Certes, Sophia ne semble pas avoir réellement été battue, mais elle a été victime d’un dénigrement systématique de son existence. On lui a bien fait comprendre que tout irait mieux si elle n’existait pas, que tous les problèmes arrivaient parce qu’elle était un jour venue au monde.
    Dans ce livre, on n’a guère de connaissance de la personnalité de la mère de Sophia puisque celle-ci est déjà dans le coma quand Casey entre dans la vie de la fillette. Mais au vue de ce que l’on apprend au fil du livre sur le reste de la famille, je pense que la jeune femme devait être tout aussi perdue, déboussolée et perturbée que sa fille.
    Pour moi, les grands-parents, et surtout la grand-mère, devraient être poursuivis en justice pour torture mentale ou quelque chose de ce genre. Cette femme est affreuse. On peut le voir alors même qu’on ne la « voit » que quelques minutes.
    Le gros problème, qui semble récurant car Cathy Glass en parle également dans ses propres livres, c’est l’absence d’indications qui sont données aux familles d’accueil. Surtout dans ces cas-là, où ils accueillent des enfants et adolescents gravement perturbés, parfois encore en danger, il serait normal que les services sociaux et les différents acteurs qui s’occupent de l’enfant (assistante sociale, éducateurs, personnel médical ou administratif) donnent à la famille le plus d’indications possible, le plus d’éléments pour pouvoir s’occuper correctement de l’enfant, mais non, au contraire, il semblerait presque qu’on les laisse volontairement dans le noir, comme si on avait peur qu’ils refusent l’ampleur de la tâche s’ils en avaient pleinement connaissance.
    Je reste ahurie que ces gens-là ne semblent pas avoir de comptes à rendre.
    L’évolution de la vie avec Sophia est difficile et Casey envisage presque d’abandonner. Elle ne se présente pas comme une super héroïne qui sait tout gérer. Elle est moins expérimentée que Cathy Glass et donc peut être moins armée émotionnellement, du moins au moment de l’écriture de l’histoire de Sophia qui était, il me semble, seulement le second accueil qu’elle et sa famille effectuaient.
    Plusieurs fois, elle remet en cause son choix car il s’agit de son propre métier mais cela impacte toute la famille et ce n’est jamais facile.
    Je suis admirative du dévouement qu’elle et les siens donnent à ces enfants, malgré les moments de découragement et de doute.
    Je suis impatiente de lire ses autres livres !

    Un extrait : Au moment où j’atteignais la fenêtre, je vis que les trois voitures étaient déjà garées devant la maison.

    Toutefois, il semblait qu’elles contenaient moins d’occupants : John Fulshaw sortit de la sienne, Linda Samson, de la deuxième, et Sam Davis, de la troisième. Sophia se tenait déjà devant le portail ouvert, tel un véritable général dirigeant les opérations.

    Ou plutôt la reine qui considérait chacun de ses courtisans avançant en procession, car la fillette était vêtue comme une star avec un manteau en fourrure, le bibi assorti et le visage maquillé à l’extrême.

    Devant le tableau qu’ils composaient, j’en restai bouche bée. Je n’arrivais pas à détacher mes yeux de la quantité de bagages qui ne cessait de sortir des coffres des voitures. Sidérée, je comptai quatre énormes valises, au moins six boîtes en carton et ce qui ressemblait à une pile de tableaux.

    Où allions-nous mettre toutes ces affaires ? D’ailleurs, me demandai-je avec plus de pertinence, pourquoi avait-elle apporté autant de choses alors qu’il ne s’agissait que d’un séjour provisoire ?

    Tout aussi incroyable était le fait que – comme je pouvais l’entendre trop bien malgré les fenêtres fermées – cette fillette de douze ans aboyait ses ordres aux adultes qui, chose encore plus inouïe, écoutaient et obtempéraient.

    — Fais donc gaffe aux tableaux ! l’entendis-je hurler à John qui passait devant elle. Si tu les déchires, tu me les rembourseras !

    Elle claqua ensuite des deux mains – toute la scène commençait à ressembler à un vaudeville – en ajoutant :

    — Hop ! hop ! On ne va pas y passer toute la journée !

    Elle tourna alors la tête pour me découvrir, toujours bouche bée, à la fenêtre. Avec un sourire, elle agita la main et (je crus un instant que mes yeux se trompaient) claqua des doigts en me faisant signe de m’approcher de la porte d’entrée.

    Par pur réflexe, et comme ses autres courtisans, je m’empressai d’obéir si vite que je faillis tomber sur la table basse dans ma précipitation.

    — Bonjour, ma puce, dis-je en émergeant à la porte juste alors qu’elle trottinait dans l’allée. Mon Dieu, tu as beaucoup de bagages, non ? Puis-je t’aider ? As-tu besoin d’un coup de main pour quoi que ce soit ?

    — Salut, répondit-elle en me dépassant pour continuer droit devant. Merci, mais tu n’as qu’à leur dire te monter tout dans ma chambre. Je ne porte rien, moi, ajouta-t-elle d’un ton adorable.

    Tu n’as qu’à ?

    Je retrouvai un peu de mes esprits.

    — Je crois que non, commençai-je en m’adressant aussi bien à Sophia qu’au reste de la troupe.

    Les adultes s’étaient rassemblés dans le hall, disparaissant pratiquement sous les affaires de l’enfant.

    — Nous allons laisser tout cela dans l’entrée pour le moment, je pense. Nous monterons (et je pensais vraiment nous) tes affaires plus tard.

    Rien de terrible ne se produisit : ni explosion ni drame. Sa Majesté se contenta de hausser les épaules et de continuer son chemin vers le living en me laissant, la bouche encore grande ouverte, derrière elle, dans son sillage, tandis qu’elle grommelait dans sa barbe quelque chose au sujet des « idiots » et des « incompétents ».

    Honnêtement, cela défiait toute imagination.

     

  • [Livre] Jeune homme

     

    Je remercie la masse critique de Babelio et les éditions Denoël pour cette lecture.

     

    jeune homme.jpg

    Résumé : Par une belle journée d’août 1969, une famille emménage dans sa nouvelle maison de Tromøya, dans le sud de la Norvège. C’est ici que le fils cadet, Karl Ove, va passer son enfance, rythmée par les expéditions à vélo, les filles, les matchs de football, les canulars pyrotechniques et la musique. Pourtant, le jeune Karl grandit dans la peur de son père, un homme autoritaire, imprévisible et omniprésent.

     

    Auteur : Karl Ove Knausgaard

     

    Edition : Denoël & d’ailleurs

     

    Genre : Témoignage

     

    Date de parution : 14 janvier 2014

     

    Prix moyen : 25€

     

    Mon avis : Première impression : Alors que rien, dans le titre, le résumé ou une mention quelconque sur la couverture ne le laisse supposer, dès que j’ouvre le livre, deux informations me sautent aux yeux : Livre III et Quatrième partie… Ca refroidit un peu. J’aime bien savoir, avant d’ouvrir un bouquin, qu’il fait partie d’une saga, et encore plus quand ce n’est pas le premier tome.
    Mais bon, je ne vais pas me laisser rebuter par cela, peut être que ce livre peut être lu indépendamment des autres.
    Alors impression de lecture mitigée : J’ai aimé et je n’ai pas aimé.

    Si, c’est possible !

    Je n’ai pas aimé la mise en page. On a ici un roman sans chapitres, avec des sauts de lignes très rares. En gros ça fait un peu bloc indigeste.
    Mais… Malgré le manque d'aération du texte, l'écriture est fluide et agréable. C'est un roman qui se lit assez vite malgré sa longueur de près de 600 pages. J’ai donc bien aimé le style excepté les premières pages où l’auteur se lance dans un délire philosophique sur le thème est ce que le moi enfant est le même que le moi adulte ou que le moi vieux. Il va jusqu’à dire qu’on devrait changer de prénom au fil de la vie parce qu’on n’est pas la même personne à 7 ans, à 20 ans, à 50 ans… Ce passage était un brin indigeste. Heureusement il ne dure pas.
    Les noms norvégiens sont parfois un peu complexes, mais je viens de comprendre d’où viennent les noms des endroits imaginaires ou des races extraterrestres dans les films.
    En l’espace de quelques pages, j’ai trouvé Arendal (= Arendel de la reine des neiges) ou encore Asgardstrand (= les Asgard, une des races extraterrestres de SG1)…

    En revanche, le plus gros problème que j’ai eu avec le livre (ce qui n’empêche pas d’avoir envie de continuer à le lire) est que Karl Ove, enfant, est tout simplement imbuvable.
    A aucun moment je n'ai ressenti la moindre empathie pour lui, bien au contraire,  j'ai eu l'impression que son livre n'était qu'un prétexte à la pleurnicherie. Car si l’histoire décrit un enfant de 7 ans c'est bien un adulte qui écrit ces lignes. Et Karl Ove ne semble, à aucun moment, remettre en question son attitude.

    S’il est vrai que le père de Karl ove semble être un peu instable et clairement un maniaque du contrôle (le passage où il oblige son fils à manger un bonbon au caramel parce qu’il fait la tête, le démontre bien), il y a quand même un monde entre les privations de sortie ou l'obligation de jeter un sac de bonbons à la poubelle et un comportement violent engendrant la terreur du père comme il le dit à plusieurs reprises (ou même dans le résumé : grandit dans la peur du père).

    Il faut préciser aussi que Karl Ove est particulièrement insupportable comme enfant. Au fil des pages, on le voit s'amuser à allumer des feux dans une montagne desséchée,  jeter des pierres sur des voitures au risque de provoquer un accident,  ou encore lacérer les landaus de poupées des voisines à l'aide d'une branche taillée en pointe avec son couteau.

    À chaque fois qu'il se fait prendre dans l'une ou l'autre de ses bêtises, il est indignés de se retrouver puni et trouve cela injuste (et l’adulte qu’il est lorsqu’il écrit ces lignes semble tout autant sûr du bon droit du gamin).

    Son caractère n'est pas des plus agréables : il passe son temps à se vanter et à dénigrer ses camarades sous divers prétextes, soit parce qu’un tel a un père alcoolique soit parce que tel autre ne sait pas encore bien lire.

    Il est furieux de constater que ses amis s'éloignent de lui à cause de son comportement et il ne se remet jamais en question.

    Quand je vois le nombre de témoignages existants sur de véritables enfants maltraités, je trouve ahurissant d'oser comparer cette maltraitance et les punitions, certes parfois injuste, que reçoit Karl Ove.

    Qu’il aille dire à des enfants martyres que le pire pour un enfant est de devoir rester tranquille 1h dans une voiture qui roule ou de devoir boire du lait qui vient d'être tiré à la place du lait pasteurisé auquel il est habitué et on verra comment il sera reçu…

    En refermant ce livre une seule question m’est venue à l’esprit : pourquoi ? Qu’est ce qu’il se passe dans la vie de se type qui justifie un bouquin de 600 pages sur 6 ans de son enfance ? La réponse : rien…
    Il parle pour rien dire, se contentant de se considérer comme une éternelle victime.

    Si toute son œuvre est ainsi une ode à sa personne et aux misères que « les méchants » lui font sans cesse, je ne risque pas de lire les autres « tomes ».

    Un extrait : - Et pourquoi ce serait à moi d'arrêter, et pas à Geir Hakon ? - Parce que Geir Hakon a raison, c’était pas un camion Mercedes. Et il est pas le seul à avoir des skis de slalom. Moi aussi j’en ai. - Ton père est mort. C’est pour ça que ta mère t’achète un tas de choses. - C'est pas pour ça. C'est parce qu’elle veut que je les aie. Et parce qu'on a les moyens. - Mais ta mère travaille dans un magasin et c'est pas vraiment là qu'on gagne beaucoup d'argent. - Et alors, tu crois que c'est mieux d'être prof ? intervint Leif Tore qui voulait évidemment s’en mêler. Et le mur chez vous, tu crois qu'on a pas vu qu'il est tout fissuré et sur le point de s'écrouler parce que ton père sait même pas qu'il faut du béton armé. Il a mis que du ciment ! C'est pas croyable d’être bête à ce point. - Et puis il se croit supérieur parce qu'il est au conseil municipal, reprit Kent Arne, il salue d'un seul doigt et tout quand il passe en voiture. Alors tu peux la boucler. - Et pourquoi est-ce que je la bouclerais ? - Non, en fait, c'est pas nécessaire, tu peux continuer à jacasser comme d'habitude. Mais nous, on veut pas jouer avec toi. Et ils partirent en courant.Les désaccords ne duraient jamais longtemps et il arrivait que quelques heures plus tard, je puisse jouer avec eux si l'occasion se présentait. Pourtant quelque chose se passait, je me retrouvais fréquemment acculé et les autres s'esquivaient de plus en plus souvent à mon approche, y compris Geir, et parfois j'avais confiance qu'ils allaient jusqu'à se cacher de moi.
    Dans le lotissement, quand quelqu'un disait quelque chose sur quelqu'un, c'était aussitôt répété et bientôt tout le monde le reprenait à son compte. De moi, on disait que je savais toujours mieux que les autres et que je me vantais continuellement. Mais il s'avérait qu'effectivement je savais mieux et beaucoup plus que les autres. Aurais-je dû faire comme s'il en était autrement ? Si je savais quelque chose, c'était parce que c'était comme ça. Quant à la vantardise, tout le monde la pratiquait en permanence. Dag Lothar, par exemple, que tout le monde aimait bien, ne commençait-il pas une phrase sur deux par « c'est pas pour me vanter mais… » pour raconter ensuite ce qu'il avait fait de bien ou ce qu'on lui avait dit de bien ?
    Si, exactement. En réalité, ça n'avait rien à voir avec ce que je faisais mais avec ma personnalité. Sinon pourquoi Rolf aurait-il commencé à m'appeler « le pro » quand on jouait au football dans la rue ? Je n'avais rien fait de particulier. Tu te crois super doué au foot, hein, « le pro » ? disait-il. Alors que j’avais juste dit comment il fallait jouer, n'aurais-je pas dû, moi qui allais à l'entraînement et savais effectivement ? Dire qu'il ne fallait pas courir en meute mais nous éparpiller, se passer la balle ou dribbler, ne pas faire de mêlée comme on en avait l'habitude.
    Mais c'est moi qui eus le dernier mot ce printemps-là aussi. A l'école, lorsque l'emploi du temps fut modifié pour préparer le spectacle de fin d'année, la maîtresse distribua les livrets où se trouvait la pièce de théâtre que nous devions jouer devant tous les parents le dernier jour, le plus important de l'année. Et qui obtient le rôle principal sinon moi ?
    Pas Leif Tore, pas Geir Hakon, pas Trond et pas Geir.
    Mais moi.
    Moi, moi, moi.
    Pas un n’aurait réussi à apprendre autant de répliques par cœur. Parmi les garçons, seuls moi, Eivind et peut-être Sverre en étaient capables mais ce n'était pas par hasard que la maîtresse m’avait choisi, moi.

     

  • [Livre] Les tribulations d'une cuisinière anglaise

    les tribulations d'une cuisiniere anglaise.jpg

     

    Résumé : Dans l'Angleterre du début des années 1920, la jeune Margaret rêve d'être institutrice, mais elle est issue d'un milieu modeste et doit " entrer en condition ". 
    De fille de cuisine elle devient rapidement cuisinière, un titre envié parmi les gens de maison. 
    Confinée au sous-sol de l'aube à la nuit, elle n'en est pas moins au service de " ceux qu'on appelle "Eux" ", des patrons qui ne supporteraient pas de se voir remettre une lettre par un domestique autrement que sur un plateau d'argent. 
    Elle saura leur tenir tête et rendra souvent son tablier pour améliorer ses conditions de travail, jusqu'à ce qu'elle trouve enfin, sinon le prince charmant, du moins le mari qui l'emmènera loin des cuisines des maîtres.
     

     

    Auteur : Margaret Powell

     

    Edition : Payot

     

    Genre : Témoignage

     

    Date de parution : 10 avril 2013

     

    Prix moyen : 8€

     

    Mon avis : Quand j’ai commencé ce livre, j’ai aussitôt replongé dans l’univers de Downton abbey. Peut être est-ce parce que je savais déjà qu’il avait inspiré la série, mais j’ai retrouvé les manières un peu brusque de Daisy dans la manière de s’exprimer de Margaret. Je l’imagine très bien avec un accent campagnard dans les belles maisons de Londres.
    Dès le début, Margaret a dans l’idée de trouver un mari, qui ne soit pas domestique, et de quitter son emploi.
    Pour une femme née avant la première guerre mondiale, elle ne mâche pas ses mots et a une manière très moderne de voir les choses et surtout les relations entre hommes et femmes.
    Avant d’entrer en condition, c'est-à-dire de devenir domestique, Margaret a travaillé comme femme de ménage, puis dès qu’elle a eu l’âge, à la blanchisserie.
    D’ailleurs son entrée en condition se fait un peu contre son gré : elle sait qu’elle doit travailler, elle n’est pas contre, mais la place ne lui plait guère. Mais sa mère accepte le poste en son nom. Comme le seul poste qui ne requiert pas de connaissance en couture est fille de cuisine, c’est donc par là qu’elle commencera, en espérant devenir un jour cuisinière, presque le Saint Graal chez les domestiques.
    Margaret a eu la chance de travailler à une époque où le poste de fille de cuisine était facile à trouver : beaucoup de jeune fille postulaient, mais il y avait beaucoup de place à prendre. De plus, rare étaient les personnes qui conservaient ce poste longtemps. Margaret a donc pu assez facilement changer de maison, à chaque fois qu’elle ne se plaisait pas, que les patrons lui était odieux, ou qu’elle pensait avoir appris tout ce qu’elle pouvait apprendre de la cuisinière. A cette époque a succédé une période différente, mais dans laquelle il était encore facile de se placer : celle où les domestiques ont diminués, mais pas encore les employeurs. La place de fille de cuisine, puis de cuisinière, était toujours demandée, mais de moins en moins de personnes étaient disposées à l’occuper. C’est là que Margaret a vu la condition domestique s’améliorer un peu : il fallait les inciter à rester.
    Plus tard, mais elle avait déjà quitté la domesticité, elle a vu, avec la seconde guerre mondiale, les revenus des employeurs diminuer et avec eux, le nombre de postes offerts. Mais elle ne se sentait plus vraiment concerné, même quand elle tirait le diable par la queue avec les faibles revenus de son mari parce qu’à l’époque une femme mariée ne travaillait pas (sauf si le mari était au chômage) parce que « ça ne se faisait pas ».
    Margaret parle surtout d’elle, de comment elle perçoit ses patrons et de sa recherche d’un mari. Il est dommage qu’elle n’en dise pas un peu plus sur les autres domestiques, sur les différents postes (bien qu’elle précise que les nurses étaient à part).
    Après que ses fils aient grandit, Margaret a passé des examens, jusqu’à obtenir l’équivalent du BAC en Angleterre, en 1969, à l’âge de 62 ans. Peut-être une petite revanche personnelle pour celle qui rêvait d’être institutrice.

    Un extrait : Je suis allée à un bureau de placement pour les domestiques ; il y en avait à tous les coins de rue en ce temps-là. Les places de fille de cuisine aussi ça courait les rues, parce que c’était tout en bas de l’échelle des gens de maison ; et pourtant, si on voulait devenir cuisinière et qu’on n’avait pas de quoi se payer des cours, le seul moyen d’apprendre le métier c’était de commencer comme fille de cuisine.

    On m’a proposé plusieurs places, et finalement j’en ai choisi une dans Adelaide Crescent, à Hove, parce que ça ne faisait pas trop loin de chez nous. C’est là qu’habitaient le révérend Clydesdale et sa femme. Ma mère est venue avec moi pour l’entretien d’embauche.

    Dans Adelaide Crescent les maisons étaient immenses. Pour aller du sous-sol au grenier il y avait bien cent trente marches, et les sous-sols étaient sombres comme des cachots. La partie qui donnait sur la rue, là où il y avait des barreaux aux fenêtres, c’était la salle des domestiques. Quand on était assis dans cette pièce, tout ce qu’on voyait c’étaient les jambes des passants, et quand on était de l’autre côté, c’est-à-dire dans la cuisine, on ne voyait rien du tout à cause d’un jardin d’hiver en saillie juste au-dessus. Il y avait une minuscule fenêtre en haut du mur, mais pour voir dehors on devait grimper sur une échelle. Il fallait laisser la lumière allumée toute la journée.

    Adelaide Crescent, c’est une des plus belles rues de Hove. Les maisons étaient de style Regency, et même maintenant qu’elles ont été transformées en appartements, comme les façades ont été conservées ça ressemble beaucoup à ce que c’était, avec les jardins au milieu. Naturellement, autrefois il n’y avait que les résidents qui avaient la clé et qui pouvaient profiter des jardins – mais bien sûr ça ne s’appliquait pas aux domestiques, ça je vous le certifie !

    Ma mère et moi, quand on est arrivées pour l’entretien on s’est présentées à la porte principale de la maison. Pendant tout le temps où j’ai travaillé chez les Clydesdale, c’est bien la seule fois où je suis passée par la grande porte. On nous a fait entrer dans un vestibule qui m’a paru le comble du luxe. Il y avait un beau tapis par terre et un escalier très large entièrement recouvert de moquette – rien à voir avec le petit bout de lino qu’on avait posé chez nous au milieu des marches ! Dans le vestibule il y avait aussi une table en acajou, un portemanteau en acajou, et des miroirs immenses avec des cadres dorés. Pour moi ça respirait tellement la richesse que je me suis dit que les Clydesdale étaient sûrement millionnaires. Je n’avais jamais rien vu de pareil.

    C’est un majordome qui nous avait ouvert, et ma mère avait dit que j’étais Margaret Langley et que je venais pour la place de fille de cuisine. Ce majordome, c’était un vrai nabot ; moi qui croyais que les majordomes étaient toujours grands et imposants ! Dans le vestibule on a vu un monsieur assez âgé et la dame qui allait nous recevoir pour l’entretien, et on nous a fait entrer dans une pièce qui était visiblement la salle de jeux des enfants.

    C’est ma mère qui a parlé tout le temps, parce que moi j’étais abasourdie : dans cette pièce-là on aurait pu mettre sans problème les trois où je vivais avec ma famille, alors que c’était juste une salle de jeux. Et puis j’étais paralysée par la timidité. Ce que je pouvais être mal à l’aise en ce temps-là, c’était horrible ! Il faut dire que la dame, Mrs Clydesdale, m’examinait de la tête aux pieds comme si on était au marché aux esclaves. Elle avait l’air de soupeser mes capacités.

    Ma mère lui a dit que j’avais déjà fait des ménages. Elle n’a pas parlé de la blanchisserie, parce que d’après elle ce n’était pas une référence. Les gens croyaient que les blanchisseries étaient des « antres du vice », comme on disait, parce que les filles qui y travaillaient étaient malpolies.

    Mrs Clydesdale a décidé que comme j’étais robuste et en bonne santé je ferais l’affaire. Je serais payée vingt-quatre livres par an et je toucherais mon salaire tous les mois. J’aurais un après-midi plus une soirée de congé par semaine, de quatre heures à dix heures, et un dimanche sur deux aux mêmes heures ; je ne devais jamais rentrer après dix heures, sous aucun prétexte. Il faudrait que j’aie trois robes en tissu imprimé bleu ou vert ; quatre tabliers blancs à bavette et quatre bonnets ; des bas et des chaussures noires à lanière. Je devais toujours dire « Monsieur » et « Madame » à Mr et Mrs Clydesdale quand ils m’adressaient la parole, montrer beaucoup de respect aux domestiques de haut rang et faire tout ce que la cuisinière me dirait.

    À chaque fois ma mère a répondu « Oui, Madame » ou « Non, Madame ». Elle a promis de ma part que je ferais tout ça. Moi, plus ça allait plus j’étais démoralisée, et à la fin j’avais l’impression d’être prisonnière.

    En sortant je l’ai dit à maman, mais comme elle avait décidé que la place me convenait la question était réglée.

     

  • [Livre] Les femmes de la honte

    les femmes de la honte.jpg

     

    Résumé : Dans son deuxième livre présenté à l'automne 2009, Les Femmes de la honte, Samia Shariff propose aux lecteurs de partager, en toute confiance, les péripéties survenues depuis son arrivée au Québec avec ses cinq enfants, dans cette enclave francophone des vastes Amériques, où règnent liberté et tolérance. Ecrit avec le cœur, son nouveau témoignage n'est pas une critique de l'islam, même s'il met en accusation le comportement abject de trop de Musulmans envers leurs femmes et leurs filles. Il est en effet clair pour Samia que si ces derniers suivaient vraiment les enseignements et les prescriptions de l'islam, les femmes n'en seraient jamais arrivées là, dans des conditions d'apartheid à peine concevables au XXIe siècle. Avec son second livre, Samia veut donc apporter de l'espoir à toutes les femmes qui se débattent et cherchent à survivre à la violence, quel que soit son visage. Car la peur n'est plus une maîtresse qui dicte sournoisement sa conduite. Même omniprésente, la peur n'a plus le dernier mot...

     

    Auteur : Samia Shariff

     

    Edition : JCL

     

    Genre : Témoignage

     

    Date de parution : 2008

     

    Prix moyen : 7€

     

    Mon avis : Dans ce second livre, Samia raconte sa vie depuis la sortie du « voile de la peur » son premier roman, dans lequel elle rapportait les souffrances endurées auprès de sa famille et de son époux.
    Libre, enfin, et vivant au Canada, elle a du mal à se défaire complètement de son éducation, et certaines de ses réactions, hésitations irritent sa fille Norah qui voudrait que sa mère soit aussi libre dans sa tête.
    Elle flagelle sans compassion les arabo-musulmans, ne concédant que du bout des lèvres que tous ne sont pas des monstres.
    A chaque fois qu’elle voit une scène qui lui rappelle son passé, même de loin, elle essais, sans beaucoup de succès mais avec beaucoup d’imprudence et d’inconscience, de pousser les femmes à la révolte. Mais une telle révolte ne se décide pas comme ça, dans un terminal d’aéroport. Elle harangue un époux musulman qu’elle trouve odieux avec son épouse sans réfléchir au fait que c’est ladite épouse qui risque de faire les frais de l’irritation du mari, elle pousse sa sœur à fuir l’Algérie sans vraiment réfléchir aux dangers que cela pourrait comporter face à une famille méfiante qui s’est déjà « fait avoir » par leur aînée, elle encourage une égyptienne à divorcer parce que son mari souhaite une seconde épouse, la première ne pouvant plus lui donner d’enfants… Bref, elle se montre assez intrusive et vindicative et devrait prendre un peu de recul et réaliser que chaque cas est différent, que les dangers sont également différents et qu’on ne peut pas agir par impulsion en permanence.
    Autre chose étrange, dans toute la première partie de son récit, Samia parle du manque d’argent, du fait que ses filles doivent travailler (Norah à plein temps, Melissa après l’école) mais elle peut en même temps payer le voyage pour l’Algérie à ses trois fils pour qu’ils voient leur père (le second mari de Samia) et un voyage en Egypte pour elle-même... Depuis le Canada, ça ne doit pas être particulièrement donné…
    Je comprends son envie, presque son besoin, de venir en aide aux femmes qui subissent ce qu’elle-même a subi, parfois même pire. Mais elle le fait sans aucune réflexion, elle en vient à se surendetter et à ne plus pouvoir ni payer son loyer ni nourrir ses enfants.
    Quant à l’écriture, de toute évidence, comme il s’agit d’un second livre, son éditeur s’est dit qu’elle n’avait plus besoin d’autant de relecture. Du coup, on croule sous les répétitions, pas seulement de mots mais parfois de phrases entières.
    Les hommes qu’elle rencontre et qui tentent de justifier leur attitude envers les femmes m’ont énervée car ils invoquent le nom de Dieu comme justification de tout, alors même que les pratiques concernées ne sont pas marquées dans le Coran (quand celui-ci ne préconisent pas carrément le contraire).
    Mais l’auteur m’a tout autant agacée. Elle oscille entre inconscience et agressivité, veut « sauver le monde » seule plutôt que de rejoindre une association. En fait, elle veut tout régler, tout de suite, en oubliant que certaines actions prennent du temps.
    Cela dit, la lecture de cet ouvrage reste intéressante, et c’est un plaisir de découvrir comment les choses ont évoluées pour Samia et ses enfants depuis leur arrivée au Canada.

    Un extrait : Mes années d’enfance et d’adolescence ont non seulement baigné dans un profond climat d’insécurité et de carence affective, mais elles ont aussi été marquées par diverses atrocités. Mes proches nourrissaient l’idée que ces abominations avaient une fin, celle de me préparer à devenir une femme à part entière.

    Très jeune, j’ai constaté avec effroi qu’être femme dans un milieu où les hommes sont rois était une position intenable. Aspirer à devenir une femme libre dans une société croulant sous le poids des archaïsmes s’est révélé une mission impossible.

    Aux yeux de plusieurs, je n’étais qu’une prétentieuse qu’il fallait sans cesse rappeler à l’ordre.

    Et surtout, je n’étais qu’une femme, une vérité que je ne devais pas oublier. J’étais donc incapable par nature et il fallait tout me dicter, me confiner aussi sur un territoire de seconde zone, là où régnait et règne encore un pouvoir masculin absolu.

    Sur ce territoire, le gouvernement domine le peuple, le père régente la mère, le frère, la sœur et le mari, sa femme. Dans cette hiérarchie, le bébé mâle qui vient de naître occupe, il va sans dire, une position supérieure à la nouveau-née. La réalité est plus crue encore : un bébé mâle, encore vagissant, est déjà sacré supérieur à ses sœurs, même les plus âgées.

    Bienvenue dans un monde d’hommes qui n’a aucune pitié pour les révoltées comme moi, et moins encore pour celles plus révoltées et dont le nombre pourrait surprendre. Mais à quoi peut bien servir la révolte, si personne n’écoute, ou pire, si personne ne voit en nous un être humain à part entière qui possède des droits et qui partage un même besoin de s’affirmer et de s’épanouir?

    Un être, de l’espèce femme. Simplement.

    Alors que j’étais en pleine adolescence, mes parents ont scellé mon destin en m’imposant un mari qui, à peine la fête nuptiale achevée, m’a fait comprendre par la force que j’étais désormais sa propriété. Comme si cela se pouvait, ma situation s’est aggravée sans cesse, à un point où, aujourd’hui encore, je me demande comment j’ai pu y survivre pendant quinze ans.

    Sous le joug de cet homme d’une violence extrême et qui avait deux fois mon âge, j’ai résisté tant bien que mal, le plus souvent très mal. À travers cette grande noirceur, un terrible dilemme s’est peu à peu posé, puis imposé : fuir ou mourir.

    J’ai choisi de m’évader, contre vents et marées, contre traditions et soumission. J’ai choisi de me sauver et de sauver mes cinq enfants, surtout mes deux filles. J’ai enfin compris qu’elles subiraient le même sort que moi et qu’il fallait à n’importe quel prix tenter cette fuite téméraire, presque insensée.

    J’étais la seule adulte de cette famille et mon devoir exigeait de la soustraire à cette infamie.