Résumé : Du haut de ses seize ans, Lena fait preuve d'une assurance étonnante. Pourtant sa vie est loin d'être simple. Lena Rodriguez, c'était son nom avant. Sa nouvelle identité, elle ne peut la révéler à personne... Lena a convaincu ses parents de la laisser partir seule quelques jours à Cadaquès, chez son oncle et sa tante catalans. Elle ne leur a pas tout dit. Là-bas, elle a rendez-vous avec Ivan, son grand frère que personne n'a vu depuis quatre ans... depuis qu'il est parti, sans explication, faire le djihad en Syrie.
Auteur : Benoît Séverac
Edition : Syros
Genre : Young Adult
Date de parution : 3 Mars 2016
Prix moyen : 14€
Mon avis : Je m’attendais à ce qui allait se passer car une grande intelligente a raconté les éléments clefs du roman dans sa critique sur Babelio. J’ai donc perdu une bonne partie de ce qui donne envie de tourner les pages plus vite, à savoir : pourquoi Ivan veut-il voir Lena ?
L’auteur a daté la lettre de Théo pour Lena du 09 avril 2016 alors que le livre est sorti en mars. Je trouve que c’est une bonne idée car, du moins lorsqu’on lit le livre peu de temps après sa sortie, on a vraiment l’impression de vivre l’histoire en même temps que les personnages.
L’auteur décrit parfaitement ce qu’à put ressentir cette famille qui croyait leur fils en stage en Angleterre (pas de spoiler, c’est dit dans les 1ère pages, vous inquiétez pas) et qui découvre à la TV qu’il a rejoint un groupe terroriste. Il parle un peu de l’enquête, des interrogatoires mais s’attarde surtout sur la honte ressentie par la famille, l’incompréhension, le sentiment de trahison, et surtout les réactions de l’entourage, des voisins, des camarades d’écoles, tous ses gens sans aucune compassion qui, au lieu de réconforter une famille qui vit un drame, les harcèlent, les insultent, au point de provoquer leur fuite.
On ressent très bien les sentiments de Lena qui est partagée entre l’amour qu’elle porte encore à son frère et sa colère contre lui pour l’avoir trahie, pour être parti sans un mot. Même si elle a du mal à préciser ce qu’elle ressent, on se rend compte sans mal qu’elle espère que son frère n’est pas là-bas de son plein gré, qu’il est retenu contre sa volonté, qu’on l’a obligé à poser sur les photos vues à la télévision pour l’incriminer, qu’il a subi un lavage de cerveau et va se « réveiller » à un moment et revenir auprès d’elle.
L’auteur fait le choix de changer de narrateur par deux fois : d’abord Lena, puis Théo, l’ancien meilleur ami de son frère et enfin Joan, un catalan, membre d’un groupe anarchique ayant, en son temps, combattu Franco.
J’ai apprécié d’avoir le point de vue de différents personnages, mais quand on entre dans l’action, j’aurais aimé qu’on revienne régulièrement sur le point de vue de Lena, ne serait-ce que le temps d’un chapitre ou deux au milieu des parties consacrées aux autres narrateurs.
Une dernière partie, plus courte que les autres, est racontée du point de vue d’un quatrième narrateur. C’est cette partie qui m’a le plus déçue et qui fait, en partie, que ce roman n’est pas un coup de cœur. Pour moi, sur cette dernière partie, tout va trop vite. On a presque l’impression de lire les notes prises sur le vif et transcrite comme ça, sans de réel travail dessus. Je n’ai plus eu l’impression d’être dans un livre et ça m’a laissé un peu sur ma faim.
J’aurais bien aimé que ce soit Lena qui conclue le roman, qui nous fasse un épilogue digne de ce nom.
Sur l’ensemble du roman, j’ai trouvé que l’auteur n’allait pas assez au fond des choses, qu’il restait toujours plus ou moins à distance de son sujet.
Et, même si ce livre reste un excellent roman, j’ai eu une petite sensation de manque, de trop peu et d’inachevé.
Un extrait : Avant, je m’appelais Lena Rodriguez. Mes parents avaient choisi un prénom moderne – il parait que Lena n’était pas très courant quand je suis née, il y a seize ans – mais qui sonnait un peu espagnol pour faire plaisir à mes grands-parents, et surtout aux parents de mes grands-parents qui avaient connu l’Espagne, eux. Ils y ont vécu jusqu’à ce que Franco chasse tous les républicains en 1939. Ils se sont réfugiés en France, et ils y sont restés. Dans tous les sens du terme. Je veux dire par là qu’ils sont morts de ce côté des Pyrénées sans être jamais retournés dans leur pays.
Mes parents évoquaient peu ces histoires, mais mon papi et ma mamie, qui étaient petits lorsqu’ils ont traversé les Pyrénées à pied, emmitouflés dans des couvertures offertes par la Croix-Rouge, eux en parlaient souvent.
De toute façon, ça n’a plus aucune importance à présent, nous ne nous appelons plus Rodriguez.
Mon faux nom, mon nouveau vrai nom, je ne peux le révéler à personne. C’est trop dangereux.
Nous avons dû changer d’adresse également, changer de ville, de région même.
Tout ça à cause de mon frère Ivan, de cinq ans mon aîné.
C’est difficile d’en vouloir à un grand frère qu’on aime ; difficile aussi d’aimer un frère à qui on en veut autant.
Quand on est enfant, on grandit à ses côtés en se disant que c’est pour toujours, qu’il sera tout le temps là pour vous, qu’il viendra vous chercher à la sortie de l’école même quand on aura quitté les bancs de l’école depuis belle lurette, qu’il continuera encore longtemps à vous défendre. Et puis, en vieillissant, on comprend qu’on ne vivra pas avec lui, ni comme lui, mais on continue à partager ce qu’il y a de plus précieux, de plus beau, ce qui nous a fondé : l’enfance. Quelque chose nous unit, un lien indestructible… C’est ce lien qu’Ivan a détruit.
C’est arrivé quand j’avais douze ans, je commençais à peine à voir se profiler mon avenir, à faire des choix par moi-même, parfois contre l’avis de mes parents. Je travaillais dur à l’école parce que j’avais compris que c’était la condition pour réussir. Quelque chose vibrait à l’intérieur de moi, qui ne demandait qu’à sortir, un frémissement. Je ne comprenais pas vraiment ce que c’était, mais je me souviens parfaitement de cette période où j’en ai pris conscience. Je n’étais plus le bébé à ses parents, j’étais moi, et je me faisais des promesses que j’écrivais dans mon journal intime pour ne pas être tentée de les oublier ou de les trahir.
Rien de tout cela n’a pu éclore. Mon frère l’en a empêché. Il m’a condamnée, il NOUS a condamnés, mes parents et moi, à vivre dans l’espace clos où il nous a enfermés. A l’intérieur de sa folie.
Moi qui rêvais d’être une star, me voilà contrainte de désirer l’anonymat plus que tout. Quand j’étais en sixième ou en cinquième, je n’avais qu’un désir, un peu futile peut-être, mais c’était ce que je souhaitais le plus ardemment : participer à The Voice ! Chanter devant des millions de téléspectateurs et devenir célèbre. Je me voyais déjà sur les plateaux de télévision, entourée d’une maquilleuse et d’une coiffeuse, réclamée par mes fans, adorée par les garçons qui se presseraient à la porte de ma loge, couverte de bouquets de fleurs envoyés par des admirateurs, courtisée par les présentateurs télé, les journalistes et le Tout-Paris. J’aurais été une people !
Au lieu de cela…
Célèbres, nous le sommes devenus. Toute la famille. En l’espace de quelques heures. Et pas seulement à Toulouse où nous habitions. Au-delà de la Haute-Garonne et des Midi-Pyrénées, dans tout le pays ! Nous n’avons pas eu à passer par un casting pour entrer sous les projecteurs.
Nous avons été sélectionnés pour la finale dès le premier tour et déclaré vainqueurs. Champions toutes catégories !
Tout cela à cause de mon frère.
Lorsque le lundi 22 janvier 2012, son visage radieux s’est affiché à la une de tous les journaux, il m’a damé le pion. J’ai compris ce jour-là que je ne serais jamais une star de la chanson.
Il portait une barbe longue de plusieurs semaines, il était coiffé d’un keffieh de moudjahid, il avait une kalachnikov en bandoulière, sa poitrine était bardée de munitions et de grenades, et il était avec d’autres comme lui, aux côtés d’un islamiste qui brandissait la tête d’un otage décapité.
Nous le croyions en stage en Angleterre. Nous avons compris plus tard que les cartes postales que nous recevions avaient été pré écrites et postées par un complice depuis Londres. Il n’appelait pas au téléphone, soi-disant parce que son forfait ne le lui permettait pas. J’avais trouvé bizarre qu’il refuse la proposition de mes parents de lui payer un abonnement international.
La victime était un journaliste français qui avait disparu depuis des semaines ; il avait été kidnappé au cours d’un reportage pour le Figaro Magazine. Mon frère avait participé à l’assassinat d’un autre français, là-bas, en Syrie, dans un pays que je n’aurais même pas pu situer sur une carte.
Ça a été comme si quelqu’un avait lancé une bombe au milieu du salon. Ma mère s’est mise à hurler, mon père se tenait la tête et pleurait. Le téléphone a sonné quasi instantanément. Moi, je me demandais ce qu’il se passait parce que je n’ai pas reconnu mon frère tout de suite.