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Historiques - Page 6

  • [Livre] La cuisinière

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    Résumé : Immigrée irlandaise courageuse et obstinée arrivée seule à New York à la fin du XIXe siècle, Mary Mallon travaille comme lingère avant de se découvrir un talent caché pour la cuisine. Malheureusement, dans toutes les maisons bourgeoises où elle est employée, les gens contractent la typhoïde, et certains en meurent. Mary, de son côté, ne présente aucun symptôme de la maladie. Au contraire, sa robustesse est presque indécente. Des médecins finissent par s'intéresser à son cas, mais la cuisinière déteste qu'on l'observe comme une bête curieuse et refuse de coopérer. Pourquoi la traite-t-on comme une malade alors qu'elle est en parfaite santé ? Les autorités sanitaires, qui la considèrent comme dangereuse décident de l'envoyer en quarantaine sur une île au large de Manhattan. Commence alors pour Mary Mallon, femme indépendante, un combat à armes inégales pour sa liberté...

     

    Auteur : Mary Beth Keane

     

    Edition : Presse de la cité

     

    Genre : Historique

     

    Date de parution : 06 février 2014

     

    Prix moyen : 22,50€

     

    Mon avis : Mary Beth Keane retrace le combat pour sa liberté de Mary Mallon, que les médias de l’époque ont surnommée Mary Typhoïde, et qui a été un des premiers porteurs sains répertoriés par les autorités sanitaires.
    D’un côté, on ressent une certaine empathie pour Mary. Celle-ci, arrivée d’Irlande, commence comme blanchisseuse avant de réussir à décrocher un poste de cuisinière. Financièrement indépendante, elle vit en union libre avec Albert, un homme au départ travailleur mais qui se révèle très vite alcoolique et versatile. Si un travail ne lui plait pas, il cesse tout bonnement de s’y rendre, laissant à Mary le soin de faire vivre le ménage.
    Quand Mary est arrêtée par les autorités sanitaires, quasiment sans sommation, et exilée sur une ile au large de Manhattan, où elle subi examens médicaux et brimades pour la forcer à « coopérer » (interdiction d’envoyer des lettres à ses amis, de recevoir de la visite…), elle est très vite persuadée que tout ceci n’est en fait dû qu’à son indépendance qui dérange.
    Son cas pose problème autant aux autorités sanitaires qui ne savent pas bien comment gérer un cas aussi inédit, qu’à Mary qui n’accepte pas l’idée qu’elle puisse transmettre la fièvre typhoïde alors qu’elle n’a jamais été malade de sa vie, en passant par la population qui ne comprend pas cette notion de porteur sain.
    Malgré tout, l’empathie qu’on ressent pour Mary, dû essentiellement à l’antipathie qu’inspire Soper, un contrôler sanitaire, qui n’a pas pour habitude d’être en contact avec les patients et traite donc Mary comme un cobaye, est mise à mal du fait de l’attitude butée de Mary.
    Malgré les explications qu’on peut lui apporter, elle se contente de répéter qu’elle n’a jamais été malade et que donc elle est victime de persécutions.
    Pire, quand un juge décide sa remise en liberté à la seule condition qu’elle cesse de cuisiner pour d’autres, car c’est ainsi qu’elle transmet la maladie, elle va promettre puis passer outre, allant jusqu’à changer son nom pour continuer à cuisiner malgré le nombre de malades qui ne cesse d’augmenter autour d’elle.
    Si je veux bien admettre que Mary ne savait pas le danger qu’elle représentait quand elle a transmis la maladie aux première victimes, sa volonté de dissimuler son activité de cuisinière, de chercher des arguments comme dire que la boulangerie n’est pas de la cuisine, démontre qu’elle était parfaitement consciente de sa condition de porteur sain après sa mise en quarantaine et qu’elle a décidé de refuser de la reconnaître, peut importe le nombre de personnes qui aura à en pâtir.
    On se demande vraiment comment tout ça va finir, mais je continue a être persuadé que si un autre médecin que Soper avait pris l’affaire en main, était venu voir Mary pour lui parler, lui expliquer, au lieu de la traiter comme une criminelle et une cobaye, cela aurait tout changé.

    Un extrait : Mary ne fut pas arrêtée immédiatement. Il y eut des avertissements. Des requêtes. Tout commença sur un mode courtois, comme si le Dr Soper croyait qu’en se contentant de lui signaler le danger tapi à l’intérieur de son corps elle se retirerait d’elle-même de la société. Et ensuite, lorsque ses confrères et lui eurent recours à des procédés beaucoup moins aimables, ils affirmèrent qu’elle avait eu le tort de brandir un couteau au lieu d’écouter et d’obéir.

    Par un froid matin de mars 1907, les services sanitaires, en coordination avec la police new-yorkaise, décidèrent que Mary Mallon devait être arrêtée. Le Dr Soper suggéra qu’elle se rendrait probablement plus aisément à une femme et envoya une jeune médecin du nom de Josephine Baker sonner à la porte de la résidence des Bowen – les employeurs de Mary –, encadrée de quatre officiers de police. Loin d’eux d’imaginer que la vue d’un tel aréopage pousserait ses amis à mentir pour la protéger, à la cacher, à insister sur le fait qu’il y avait erreur sur la personne recherchée. Lorsque les autorités la trouvèrent finalement, elle ne se soumit pas, et les policiers durent se saisir d’elle, chacun par un membre, et la porter jusqu’à leur véhicule à travers la cour enneigée, sous le regard des autres domestiques. Une fois à l’intérieur, elle se mit à gigoter et à donner des coups de pied, jusqu’à ce que les représentants des forces de l’ordre la bloquent entre leurs corps robustes et la contiennent autant qu’ils le pouvaient. Le Dr Baker s’assit sur ses genoux : « Je vous en prie, mademoiselle Mallon », répéta-t-elle, encore et encore, avant de passer à « Je vous en prie, Mary ».

    Mary pensa qu’ils l’emmenaient au commissariat de la 67e Rue Est, donc, lorsque la voiture de police continua en direction du sud-est, suivant la même route que celle qu’elle prenait de chez les Bowen pour regagner le logement qu’elle partageait avec Alfred sur la 33e Rue Est, elle espéra pendant un moment qu’ils la déposeraient peut-être chez elle. Ils étaient venus pour lui donner une leçon, pensa-t-elle, et ils allaient lui rendre sa liberté. Lorsque le cocher bifurqua vers l’est à la hauteur de la 42e Rue, elle aperçut des plaques de rues à travers la petite vitre à barreaux et vit qu’il prenait la direction du sud le long de la Troisième Avenue jusqu’à la 16e Rue, puis à nouveau vers l’est, et cela avec une telle précipitation qu’elle pouvait sentir la crinière des chevaux se secouer en rythme. Le véhicule s’arrêta juste avant le fleuve, devant l’entrée principale d’un édifice inconnu, au bout d’un bloc d’immeubles si paumé qu’un premier mouvement de panique la traversa alors : personne de sa connaissance n’aurait jamais l’idée de venir la chercher dans un endroit pareil !

    Le Dr Soper l’attendait à l’entrée de l’hôpital Willard Parker, mais au lieu de s’adresser à elle, il fit un signe de la tête aux deux policiers qui la tenaient par les coudes. Arrivés au sixième étage, ils lui firent traverser au pas de course le couloir menant au Pavillon de la Typhoïde, où d’autres médecins attendaient dans une pièce meublée d’une table en acajou brillante. Un de ses gardes lui indiqua son siège, et avant qu’elle ait eu le temps de parcourir la pièce du regard, le Dr Soper lui déclara, ainsi qu’aux autres présents, que la théorie la plus récente concernant la typhoïde avait un rapport avec les germes et les bactéries, et que, même si elle avait l’air en parfaite santé, il avait de bonnes raisons de penser qu’à ce moment précis elle était en train de fabriquer des bacilles de la typhoïde à l’intérieur de son corps et de transmettre la maladie à des victimes innocentes. Il l’accusa d’avoir contaminé vingt-trois personnes et d’être la cause d’au moins trois décès.

    — Et il ne s’agit que des cas dont nous avons été informés, précisa-t-il. Qui sait combien d’autres nous découvrirons, lorsque nous pourrons enquêter sur la totalité des emplois passés de Mlle Mallon ?

    Devant cinq autres hommes et le Dr Baker, le Dr Soper se tourna enfin vers celle qui était la source de tout ce malheur, comme s’il attendait un commentaire de sa part. Mary eut l’impression que son esprit l’avait désertée pour de bon et qu’elle était en train de devenir folle.

     

  • [Livre] Agnes Sorel

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    Résumé : L'an de grâce 1442 voit mourir Yolande d'Aragon, reine des quatre royaumes. Dans son ombre, la silhouette d'Agnès Sorel, vingt ans, demoiselle d'honneur à la cour du roi René. La jaune femme est belle, intelligente; elle sera bientôt puissante, en devenant la maîtresse du roi Charles VII. Bijoux somptueux, décolletés provocants, bains de lait d'ânesse, la Dame de Beauté, surnommée ainsi après que le roi lui ai offert le château du même nom, n'a pas que des amis à la Cour où on lui reproche ses goûts dispendieux. Son amitié avec le grand argentier du roi Jacques Cœur, qui lui procure soieries et marchandises précieuses, son rôle influent sur la vie politique et diplomatique, son amour partagé avec Charles VII et sa grâce vont façonner sa légende jusqu'à sa fin mystérieuse à l'âge de vingt-huit ans...

     

    Auteur : Princesse michael de kent

     

    Edition : France Loisirs

     

    Genre : historique

     

    Date de parution : 2015

     

    Prix moyen : 17€

     

    Mon avis : Agnès Sorel est le second tome de la saga Anjou. Il suit directement le premier tome consacré à Yolande d’Aragon, « la reine des quatre royaumes », puisque ce dernier se fini avec la mort de la reine Yolande et que ce tome commence avec son enterrement.
    Agnès Sorel est présente à l’enterrement, d’une part parce qu’elle est la demoiselle d’honneur d’Isabelle de Lorraine, la belle fille de la reine Yolande et d’autre part car elle a passé près d’une année à tenir compagnie à la vieille dame qui souhaitait la former pour « son destin ».
    Agnès, innocente de vingt ans, ne sait pas du tout quel est ce destin auquel la destinait Yolande d’Aragon, mais lorsqu’elle raconte à sa maîtresse Isabelle de Lorraine les conversations qu’elle a eu avec la reine défunte, celle-ci comprend immédiatement de quoi il retourne.
    Elle fait donc ce que Yolande aurait souhaité, et fait en sorte qu’Agnès se rapproche du roi.
    Le succès est immédiat et le monarque tombe fou amoureux de celle que l’on appellera la dame de Beauté après que le roi lui ait offert le Château de Beauté.
    Agnès Sorel va être la première maîtresse royale a porter ce titre de manière officielle, à ne pas être maintenue dans l’ombre et mariée à un homme de paille pour sauvegarder les apparences et donner un nom à ses enfants. Les trois filles qu’elle donnera au roi seront d’ailleurs légitimées comme princesses de France et feront de grands mariages.
    La jeune femme est partagée entre son devoir envers le roi et la France, comme le lui a inculqué Yolande d’Aragon, et sa conscience religieuse qui la tourmente car elle est partie prenante d’un adultère. Pour expier ses péchés, elle reverse une grande partie de ses revenus et des cadeaux du roi aux pauvres, malades, enfants abandonnés, œuvres de charités et bien sûr à l’Eglise.

    Au début du premier tome, j’avais eu du mal à m’habituer au récit au présent, mais là, j’ai eu le temps de me faire au style de l’auteur, et ça ne m’a pas gênée du tout, d’autant plus qu’on est très vite happé par l’histoire et que le temps employé en devient rapidement secondaire.

    La mort d’Agnès Sorel est entourée de mystère : suicide, assassinat, incompétence des médecins ? L’auteur a décidé de soutenir la thèse de l’assassinat en nous présentant un coupable ayant pu agir avec certains appuis.

    Discrètement, au fil du roman, l’auteur fait prendre de plus en plus de place à Jacques Cœur, qui doit être au centre du dernier tome de la saga.
    Un troisième tome que j’ai hâte de découvrir s’il se montre à la hauteur des deux premiers.

     

    Un extrait : Durant le trajet long et solitaire qui la ramenait à Nancy, avec ses gardes pour seule compagnie, Agnès se distrayait en se remémorant son arrivée de Touraine, dans le pays de Loire, pour entrer au service de la Duchesse Isabelle. Celle-ci était bonne et s’était tout de suite prise de sympathie pour elle, mais les jeunes membres de son entourage ne manquaient jamais de rappeler à Agnès que, étant plus jeune et de plus basse naissance qu’eux, elle avait aussi moins d’importance et devait savoir rester à sa place.
    Malgré  ces inconvénients, qu’elle acceptait stoïquement, sa maîtresse la distinguait souvent des autres. Lorsqu’elle ne la priait pas de lui faire la lecture ou de jouer de la harpe, Isabelle caressait les longues boucles blondes de sa plus jeune servante, s’amusait à la coiffer et même à la parer de ses propres habits somptueux, comme une poupée ! Agnès était aussi grande qu’Isabelle, blonde et mince comme elle, c’est pourquoi les mêmes robes et les mêmes couleurs leur seyaient. Isabelle ne se lassait pas non plus d’apprendre à Agnès à arranger sa chevelure.

    - Tu as les mains habiles, chère enfant, j’aime leur toucher, doux et ferme à la fois, disait-elle avec un sourire fort bon.

    Les demoiselles d’honneur de Lorraine apprenaient de leur duchesse à être aussi gracieuses qu’elle dans leurs mouvements, à baisser le ton et les yeux lorsqu’un gentilhomme s’adressait à elles.

    - Le plus important, disait-elle, est de ne jamais paraître effrontées ou indélicates par vos paroles ou votre tenue.

    Pourtant, elle les complimentait sur leur beauté.

    - Durant votre séjour ici, à mon service, vous apprendrez toutes à devenir de grandes dames et je vous verrai assurément faire de somptueux mariages… si j’estime que vous les méritez !

    Que ces premiers temps passés à Nancy étaient pleins d’innocence !

     

  • [Livre] La malédiction du roi

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    Résumé : Considéré comme une menace au trône pour le volatile roi Henry VII, Margaret Pole, cousine d’Elizabeth d’York (connue sous le nom de la princesse Blanche) et la fille de George, duc de Clarence, sera mariée à un partisan du roi de la maison Lancastre, Sir Richard Pole. Pour sa loyauté, Sir Richard est chargé de la gouvernance du pays de Galles, mais la vie rangée de Margaret est changée à jamais avec l’arrivée d’Arthur, le jeune prince de Galles, et de sa belle épouse, Catherine d’Aragon. Margaret devient vite une personne de confiance et amie des nouveaux mariés, cachant ses propres liens royaux au service des Tudors. Après la mort soudaine du Prince Arthur, Katherine maintenant veuve part pour Londres, et garde sa promesse faite lors du décès de son mari en se mariant avec son frère, Henry VIII. Le monde de Margaret est chamboulé par la convocation surprenante à la cour, où elle devient la première dame de compagnie de la reine Catherine. Mais cette vie idyllique ne durera que jusqu’à la montée d’Anne Boleyn, et la déchéance des Tudors. Margaret doit choisir son allégeance au roi tyran, ou à sa reine bien-aimée; l’amour de sa religion ou la théologie des nouveaux maîtres. Prise entre l’ancien et le nouveau monde, Margaret Pole doit trouver son propre chemin, tout en portant le fardeau d’une vieille malédiction qui afflige tous les Tudors.

     

    Auteur : Philippa Gregory

     

    Edition : Editions ADA

     

    Genre : Historique

     

    Date de parution : 1 Octobre 2015

     

    Prix moyen : 20€

     

    Mon avis : Pour moi Philippa Gregory est l’une des spécialistes des Tudor. Ses romans, bien que romancés et présentant des interprétations personnelles de certains faits, ce dont elle ne se cache pas, nous apprennent souvent des faits historiques peu connus qui se vérifient aisément.
    Après "La reine clandestine », « La fille du faiseur de roi » (que je n’ai pas encore lu) et « La princesse blanche », la malédiction du roi est le dernier tome de sa saga The cousin’s war qui décrit la guerre entre les Lancaster et les York (Tudor et Plantagenêt) pour le trône d’Angleterre. Il est dommage que tous les tomes n’aient pas été traduits en français, car, s’il y a une certaine chronologie entre eux, Philippa Gregory a raconté chacun du point de vue d’un ou des personnages centraux de la période concernée (toujours des femmes).
    Dans ce tome, on suit Margaret Pole, née Plantagenêt d’York, comtesse de Salisbury, depuis l’exécution de son frère, alors qu’elle n’a que 26 ans, sous le règne d’Henry VII, jusqu’à sa mort en 1540, sous celui d’Henry VIII.
    A travers l’histoire de Margaret, on va découvrir sous un autre angle la fin de la vie d’Elisabeth d’York, mère d’Henry VIII, l’arrivée de Catherine d’Aragon en Angleterre, l’accession au trône d’Henry VIII, fils cadet d’Henry VII, les mariages successifs du Barbe-bleue anglais (les 5 premiers, Margaret étant décédée peu après le mariage d’Henry avec sa cinquième épouse, Katherine Howard), les persécutions religieuses…
    A la fin du livre, en postface, elle nous livre même une hypothèse intéressante qui pourrait expliquer non seulement le nombre d’enfants morts nés dans les divers mariages du roi mais également son attitude emportée, violente et paranoïaque qui n’a fait que s’accentuer au fil des années et qui n’aurait comme cause que la génétique et la maladie.

    L’écriture de Philippa Gregory est addictive, les éléments purement historiques habilement dispensés au travers d’une histoire passionnante (l’Histoire cachée dans l’histoire). Ceux qui aiment l’histoire en elle-même trouveront ici des pistes de recherche, des idées de lectures plus techniques. Ceux qui n’apprécient pas plus que ça l’Histoire, pourront en prendre connaissance sans le coté fastidieux que peuvent avoir une liste de faits et de dates.

     

    Comme toujours dans les romans de Philippa Gregory, l’héroïne n’est pas exempt de défauts. Margaret Pole vit dans la peur, elle est souvent hypocrite et opportuniste et son attitude vis-à-vis de ses deux plus jeunes fils est presque criminelle : l’un gâté au point d’être incapable de faire montre d’un peu d’honneur, l’autre envoyé contre son gré dans le giron de l’église et éloigné dès son plus jeune âge de sa famille.

     

    Que l’on connaisse l’Histoire des Tudor ou pas, on est si emporté dans le livre de Philippa Gregory que l’on tremble à chaque page, en se demandant qui sera le prochain à être victime de la folie paranoïaque du roi et de la cupidité de ses conseillers (oui, oui, même si on le sait déjà). On tremble pour Lady Mary, qui risque sa vie, du fait de sa seule existence à chaque page (et pourtant on sait bien qu’elle finira par monter sur le trône, mais on a peur pour elle quand même).

     

    C’est un livre très dense, qui contient énormément d’informations, ce qui fait que je ne l’ai pas lu aussi vite qu’un autre. Je ne voulais pas prendre le risque de mal comprendre un passage ou de rater des éléments. Mais d’un autre côté, on réalise à peine qu’il fait plus de 500 pages tant on a du mal à quitter Margaret Pole et les Tudor.


    J’espère vraiment pouvoir bientôt me replonger dans un nouveau tome, que les éditeurs français ne vont pas laisser ces pépites uniquement aux anglophones. Pour ma part, je sais au moins qu'il me reste à lire « la fille du faiseur de roi ». Et je m’en réjouie d’avance.

    Un extrait : À mon réveil, je me sens innocente, la conscience tranquille. En ce premier instant d’hébétude, tandis que j’ouvre lentement les yeux, je ne pense à rien ; je ne suis qu’une jeune femme de vingt-six ans, au corps musclé et à la peau douce, qui s’éveille avec joie à la vie. Je n’ai pas conscience de mon âme immortelle, ni du péché ou de la culpabilité. Je suis si délicieusement, paresseusement somnolente que je sais à peine qui je suis.

    À la lumière entrant par les volets, je comprends que la matinée est déjà bien avancée. Alors que je m’étire voluptueusement à la manière d’un chat, reposée, je me rappelle mon épuisement de la veille. Puis soudain, comme si la réalité s’abattait sur ma tête tels de lourds ouvrages tombés d’une haute étagère, je me souviens que je ne vais pas bien, que rien ne va. C’est le matin que j’espérais ne jamais voir, car ce matin je ne peux renier mon nom mortel : je suis l’héritière de sang royal, et mon frère – aussi coupable que moi – est mort.

    Assis sur le bord du lit, mon époux est vêtu de son gilet en velours rouge, sa veste accentuant sa corpulence, sa chaîne en or de chambellan du prince de Galles sur son large torse. Lentement, je me rends compte qu’il attendait mon réveil, le visage contracté par l’inquiétude.

    – Margaret ?

    – Ne dites rien.

    Je réagis comme une enfant, comme si taire les faits pouvait les repousser. Je me détourne et enfouis la tête dans l’oreiller.

    – Vous devez être courageuse.

    Avec désespoir, il me tapote l’épaule comme si j’étais un chiot malade. C’est mon époux, je n’ose pas l’ignorer ni l’offenser. Il est mon seul refuge. Je suis cachée en lui – mon nom dissimulé dans le sien –, coupée de mon titre aussi nettement que s’il avait été décapité puis emporté dans un panier.

    Mon nom est le plus dangereux d’Angleterre : Plantagenêt. Autrefois, je le portais fièrement telle une couronne. J’étais Margaret Plantagenêt d’York, nièce de deux rois, les frères Édouard IV et Richard III. Le troisième frère était mon père, Georges, duc de Clarence. Ma mère, la femme la plus riche d’Angleterre et la fille d’un homme si grand qu’il était surnommé le « faiseur de rois ». Mon frère, Teddy, a été nommé héritier du trône d’Angleterre par notre oncle, le roi Richard. À nous deux – Teddy et moi – nous possédions l’amour et la loyauté de la moitié du royaume. Nous étions les nobles orphelins Warwick, sauvés du destin, arrachés à l’emprise maléfique de la Reine blanche, élevés dans la nurserie royale au château de Middleham par la reine Anne en personne, et rien, absolument rien au monde n’était trop bien, trop luxueux ou trop rare pour nous.

    Cependant, lorsque le roi Richard a été tué, nous sommes passés du jour au lendemain d’héritiers du trône à prétendants, survivants de l’ancienne famille royale, pendant qu’un usurpateur s’emparait du trône. Que devait-on faire des princesses d’York ? Des héritiers de Warwick ? Les Tudors, mère et fils, avaient la réponse toute prête. Nous serions mariés dans l’ombre, cachés dans l’union. À présent, je suis donc en sécurité, rabaissée de plusieurs rangs jusqu’à me glisser sous le nom d’un pauvre chevalier dans un petit manoir au centre de l’Angleterre, où la terre est bon marché et où personne, pour la promesse de mon sourire, ne partirait au combat en criant « À Warwick ! »

    Je suis Lady Pole. Pas une princesse ni une duchesse, ni même une comtesse, seulement l’épouse d’un modeste chevalier, plongée dans l’obscurité tel un emblème brodé oublié dans un coffre à vêtements. Margaret Pole, jeune épouse enceinte de Sir Richard Pole, à qui j’ai déjà donné trois enfants, dont deux garçons : Henri, nommé obséquieusement d’après le nouveau roi Henri VII, et Arthur, nommé mielleusement d’après son fils le prince Arthur. Ayant le droit de choisir le prénom d’une simple fille, j’ai appelé la mienne Ursula, d’après une sainte qui a préféré la mort au mariage avec un inconnu dont elle aurait été obligée de prendre le nom. Je doute que quiconque ait remarqué ma petite rébellion ; j’espère bien que non.

    Mon frère, quant à lui, ne pouvait pas être rebaptisé en se mariant. Peu importe qui aurait été son épouse, si humble fût-elle, elle ne pouvait pas lui donner son nom comme mon époux le sien. Il resterait Édouard Plantagenêt, comte de Warwick, héritier légitime du trône d’Angleterre. Quand serait levée sa bannière – et quelqu’un, tôt ou tard, n’y manquerait pas – la moitié de l’Angleterre accourrait simplement pour apercevoir cette fameuse broderie blanche. C’est ainsi qu’ils l’appellent : « la Rose blanche ».

    Alors, puisqu’ils ne pouvaient pas lui prendre son nom, ils lui ont pris sa fortune et ses terres. Puis sa liberté, en l’envoyant dans la tour de Londres tel un étendard oublié parmi d’autres objets sans valeur, au milieu de traîtres, de débiteurs et de fous. Toutefois, même sans serviteurs ni propriétés, sans château ni éducation, mon frère conservait son nom, le mien, et son titre, celui de mon grand-père. Il demeurait le comte de Warwick, la Rose blanche, l’héritier du trône Plantagenêt, un reproche vivant et constant aux Tudors qui se sont approprié ce trône. Ils ont emmené un petit garçon de onze ans dans l’obscurité et ne l’ont pas ressorti avant qu’il soit devenu un homme de vingt-quatre ans. Il n’avait pas senti l’herbe des prés sous ses pieds depuis treize ans. Une fois dehors, il a peut-être savouré le parfum de la pluie sur la terre humide, les cris des mouettes au-dessus du fleuve, les rires d’hommes libres, les Anglais, ses sujets derrière les hauts remparts. Encadré par deux gardes, il a traversé le pont-levis, gravi la colline de la Tour, s’est agenouillé devant le billot, puis a baissé la tête comme s’il méritait ce sort, qu’il était prêt à mourir ; enfin ils l’ont décapité.

     

  • [Livre] Marie Leszczynska

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    Résumé
     : Dans l'histoire de la France, les femmes, et avant tout les reines, ont souvent régné sur la cour et l'esprit de leur peuple, bien qu'elles n'aient pas toujours exercé le pouvoir.
    Pendant quinze siècles, certaines ont joué un rôle prépondérant en se montrant plus lucides, plus préoccupées du bonheur de leurs sujets sinon plus attentives au rayonnement de la monarchie. Si les rois ont fait la France, on peut dire que les reines l'ont sans doute aimée davantage. Le 5 septembre 1725, Louis XV épouse Marie Leszczynska. Pour cette princesse inconnue, fille du roi de Pologne en exil, Stanislas Ier, ce mariage inattendu est un cadeau du destin.
    La gentillesse de la charmante Polonaise et l'amour du jeune roi balaient les préjugés. Mais le conte de fées ne dure qu'une dizaine d'années, le temps de donner naissance à huit filles et à deux garçons, dont l'un meurt en bas âge. Puis le " Bien-Aimé " se met à collectionner les favorites. La reine, tout en se tenant à l'écart de la politique, continue d'assumer ses tâches avec dignité

     

    Auteur : Anne Muratoni-Philip

     

    Edition : Pygmalion-Gérard Watelet

     

    Genre : Historique

     

    Date de parution : 25 juin 2010

     

    Prix moyen : 20€

     

    Mon avis : Quand on parle de l’entourage féminin de Louis XV, on pense immédiatement à Mme la marquise de Pompadour ou encore à Madame du Barry. Personne ou presque ne pense à Marie Leszczynska. C’est pourtant elle qui épouse le roi en 1725 et qui va donner 10 enfants à la France, quoique certains vont mourir dans leur jeunesse telle que Marie-Louise, Thérèse ou encore Philippe, duc d’Anjou. 12 grossesses dont 10 menées à terme en 10 ans, on peut dire que la reine n’a pas chômée.
    La cour, et surtout Fleury, le gouverneur du roi, vont pourtant lui reprocher la naissance de tant de filles. On la séparera même, à l’instigation de Fleury, de ses filles, excepté les trois ainées, qu’elle ne reverra pas pendant 9 ans. D’ailleurs, les conditions dans lesquelles vont être tenues les princesses est indigne de leur rang, elles tomberont malades les unes après les autres et c’est un vrai miracle qu’une seule d’entre elles n’ait trépassé.
    Alors que Marie est une reine aimée du peuple, discrète et loyale, elle sera sans cesse humiliée. Lorsque le roi part en campagne, il donne la charge du conseil à l’un de ses ministres alors que, traditionnellement, la reine doit exercer la régence en l’absence de son époux. Très vite, le roi ne cachera plus l’existence de ses favorites et s’affichera avec elles. D’ailleurs les premières d’entre elles participent allégrement à l’humiliation de la reine par leur comportement insolent, se sentant protégées par le roi. Il faudra attendre l’arrivée de la marquise de Pompadour pour être face à une maîtresse royale qui, si elle commet des erreurs d’étiquettes, n’a jamais manifesté que le plus grand respect envers la reine et à influencé le roi pour qu’il suive le même exemple.
    La reine Marie ne s’est jamais départie de sa dignité et de sa piété religieuse ce qui l’a fait accuser par ses contemporains d’être froide, d’être bigote, de ne pas aimer ses enfants, de ne pas avoir de sentiments. Peut-être que tout simplement, vivant humiliations sur humiliations, pertes cruelles de ses enfants, écartée de tout aspect politique au point d’être ignorante des évènements que traversait la France, elle n’ait simplement pas voulu les étaler sur la place publique.
    De sa jeunesse désargentée jusqu’à son dernier souffle, Anne Muratori nous livre le destin de cette femme que rien, et surtout pas sa condition de princesse pauvre ne destinait à devenir reine de France.
    Si j’ai un reproche à faire à ce livre, c’est de ne pas toujours respecter la trame chronologique. L’auteur s’attache à un personnage secondaire, le suit jusqu’à sa mort ou sa disgrâce, puis, au chapitre suivant, revient de plusieurs années, voire une bonne dizaine d’années en arrière pour reprendre la vie de Marie Leszczynska. Ce n’est pas extrêmement gênant, mais il est un peu pénible de voir les mêmes informations répétées car l’évènement mentionné à impacté plusieurs personnes. J’aurais préféré une trame strictement chronologique.

    Un extrait : Pour l’heure, Marie doit conquérir le respect des courtisans enclins aux critiques malveillantes. Car elle demeure une créature de la maîtresse de Monsieur le Duc. Barbier se fait l’écho de l’opinion : « Il [le roi] couche tous les jours avec elle, mais cette princesse est obsédée par Madame de Prie. Il ne lui est libre ni de parler à qui elle veut, ni d’écrire. Madame de Prie entre à tous moments dans ses appartements pourvoir ce qu’elle fait, et elle n’est maîtresse d’aucune grâce. » Dans ses Mémoires, le marquis d’Argenson, qui décoche des flèches empoisonnées à tout bout de champ, ironise méchamment : « Ce fut elle qui fit la reine, comme je ferai demain mon laquais valet de chambre. C’est pitié que cela. » René-Louis d’Argenson n’aime pas Marie Leszczyńska ; pourtant, cette petite phrase perfide prend un autre sens lorsque l’on sait qu’il s’est ridiculisé en succombant aux avances de Madame de Prie.

    La rouée marquise est assidue auprès de la reine. Elle l’entoure de prévenances, se rend indispensable, devient chaque jour plus hardie au point de la rappeler à l’ordre ; et si la reine n’acquiesce pas à ses désirs, elle la menace, lui rappelant chaque fois la médiocrité de sa condition. Un matin, Marie trouve sur sa table quelques vers assassins :

    « Le renvoi de l’infante est la preuve certaine

    Qu’à rompre votre hymen on aura peu de peine ;

    Et nous aurons alors de meilleures raisons

    Pour vous faire revoir vos choux et vos dindons. »

    C’est la première fois depuis son arrivée en France que Marie pleure. Elle devrait appliquer les conseils du roi Stanislas en se confiant au roi. Mais elle n’ose pas ! Prisonnière de sa propre timidité, elle se sent incapable de vaincre celle du roi.

    Marie Leszczyńska prend donc le parti d’afficher une sérénité à toute épreuve, de se plier aux usages et d’apprendre les subtilités de l’étiquette pour se mettre à l’abri des attaques et continuer de séduire le roi. Avant son arrivée à Versailles, elle a déjà eu un petit aperçu des règles que son époux applique machinalement depuis son enfance et dont il entend faire respecter les principes instaurés par son bisaïeul.

    En quelques jours, Marie découvre la mécanique de la cour, orchestrée autour de sept grands services : la Chapelle, la Maison civile, la Chambre, les Bâtiments, la Maison militaire avec la Prévôté de l’hôtel, l’Écurie et les Plaisirs. Ce qui représente une véritable petite ville sans cesse en mouvement. Elle apprend que, pour une même charge, il faut quatre titulaires qui n’exercent leur service que pendant un « quartier » de l’année ; et que bien des emplois se transmettent de génération en génération. En peu de temps, Marie apprend le déroulement immuable des événements quotidiens. Lundi, concert ; mardi, comédie française ; mercredi, comédie italienne ; jeudi, tragédie ; vendredi, jeux ; samedi, concert ; dimanche, jeux.

     

  • [Livre] La reine des quatre royaumes

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    Résumé : Décembre 1400. La ravissante princesse Yolande d’Aragon, dix-neuf ans, va pour la première fois rencontrer son promis, le jeune Louis duc d’Anjou, pour l’épouser en Arles. Ils se sont écrit pendant une décennie et se découvrent enfin. Par ce mariage, Yolande devient reine des quatre royaumes : Naples, Sicile, Chypre et Jérusalem.
    Au cœur des guerres de cent ans qui déchirent l’Angleterre et la France, elle sera bientôt l’une des plus remarquables femmes d’influence qui marqueront le siècle. Mentor attentif de son gendre, le futur roi Charles VII et de Jeanne d’Arc, son rôle dans la construction du royaume sera déterminant. Plus tard, son petit-fils, le roi Louis XI, dira d’elle qu’elle avait «
    un cœur d’homme dans un corps de femme».
    Souvent décrite comme la «
    plus belle femme du royaume», Yolande d’Aragon est une figure politique d’une extraordinaire intuition, méconnue à ce jour.

     

    Auteur : Princesse Michael de Kent

     

    Edition : Télémaque

     

    Genre : Historique

     

    Date de parution : 09 octobre 2014

     

    Prix moyen : 22€

     

    Mon avis : Ce livre est la preuve qu’il ne fait jamais condamner un livre sur une première impression. J’ai essayé de le lire il y a quelques mois et, rien à faire, je n’arrivais pas à entrer dans l’histoire.
    A la faveur d’un challenge, je l’ai repris et là, je n’ai quasiment plus pu le poser, au point d’en avoir lu les 500p en deux jours seulement.
    Au début, j’ai été un peu rebuté par le récit au présent de l’indicatif. Pour moi un livre s’écrit au passé, qui est le temps du récit. J’ai beaucoup de mal à me faire au présent. Alors pour un roman historique qui se situe dans les années 1400, c’était encore plus dur.
    Et puis, finalement, l’histoire en elle-même l’a emporté sur le temps utilisé.
    On suit Yolande D’Aragon depuis son mariage avec Louis d’Anjou (elle n’a alors qu’environ 19 ans) jusqu’à sa dernière lettre, écrite à l’intention de ses enfants et petits enfants alors qu’elle sent la mort arriver (vers 62 ans).
    Toute sa vie, Yolande d’Aragon se consacre au royaume de France. Appréciée du Roi Charles VI, qui la réclame dans ses moments de lucidité, amie de Valentine Visconti, épouse du duc d’Orléans, et parfois confidente d’Isabeau de Bavière qui voit en elle une femme de son rang qui ne la dénigre pas, Yolande est sur tous les fronts.
    Sur les conseils avisés de sa mère, elle place de nombreux espions dans les maisons ennemies comme dans les maisons amies, très tôt conscience que le pouvoir passe par la connaissance.
    Veuve à 36 ans, elle va exercer un pouvoir sans contexte sur les duchés d’Anjou et de Provence, les deux principales possessions dont hérite son fils aîné et aura le cœur brisé de voir successivement son époux et ses deux fils mettre leur vie et leur santé en danger pour le royaume de Naples dont ils sont les souverains titulaires et qui leur est disputé par le cousin de Yolande, Alphonse d’Aragon.
    Par le biais des fiançailles, ainsi que des amitiés, elle va élever le fils bâtard de Louis d’Orléans, qui lui sera toujours fidèle et attaché et le dernier fils de Charles VI, prénommé également Charles que son ordre de naissance rend insignifiant. Elle va marier celui-ci à sa fille Marie.
    Par le hasard des complots et des batailles, les deux frères aînés de Charles décèdent l’un après l’autre et Yolande réalise qu’elle a ainsi élevé le futur roi de France, Charles VII.
    Mais il y a loin du titre au trône. Celui-ci, avec la complicité des bourgognes, est usurpé par le roi d’Angleterre et le comportement de Charles la déçoit profondément à plusieurs reprises.
    Yolande d’Aragon va dépasser le rôle auquel la confine son statut de femme. La seule chose qu’elle ne fera pas est de prendre elle-même les armes. Pour le reste, elle n’hésite pas à intriguer, à forger puis à défaire des alliances, à sacrifier certains pions, bien qu’avec beaucoup de regrets.
    C’est encore elle qui introduit une certaine Jeanne d’Arc auprès de Charles VII (et qui échouera à la sauver).
    Sans elle, il n’y aurait pas eu de successeur français au roi fou, Charles VI et la France serait, peut être aujourd’hui encore, anglaise.
    A noter que dans sa postface, l’auteur certifie que, si le livre est romancé, tous les évènements historiques rapportés ont eu lieu, du moins pour autant que l’on sache, l’histoire ayant toujours été racontée du point de vue des vainqueurs.

    Un extrait : Mariée au chef de la maison d’Anjou, Yolande devient reine de quatre royaumes : Naples, la Sicile, Chypre et Jérusalem. Chypre avait été conquise par son père tandis que celui de Louis avait racheté le titre honorifique de roi de Jérusalem à la petite-fille d’un des derniers occupants du trône. Cela fait trop de couronnes, d’autant qu’elle ne règne nulle part réellement. Plus encore que d’être reine, elle s’éblouit d’être l’épouse de ce jeune homme. Mon Dieu, songe-t-elle, faites que je sois digne de lui !

    Quand le banquet, les discours et les toasts sont enfin terminés, on les mène dans leurs appartements au château. Seule avec son mari dans la vaste chambre, elle se sent à nouveau fébrile. Que doit-elle lui dire ? La force des sentiments est une chose, mais comment procéder pour apprendre à connaître ce mari qui la subjugue ? Louis pose les mains sur ses épaules et rompt le silence.

      — Noble dame, vous qui êtes désormais mon épouse, j’ai un aveu à vous faire.

    Elle imagine un instant que quelque épouvantable révélation va faire éclater la bulle de bonheur dans laquelle elle flotte, mais elle s’oblige à rester calme.
     — J’avais certes entendu parler de votre beauté, mais comme tous les moyens sont bons pour appâter un prince en vue d’un mariage d’intérêt, j’ai préféré en avoir le cœur net. Je confesse que j’ai devancé mon entourage afin d’assister à votre arrivée.

    Yolande en reste bouche bée de surprise et note avec plaisir l’expression dans le regard de Louis.

     — Je me suis glissé parmi la foule et j’ai écouté les commentaires des gens, sur vous et votre entourage. Toutes les voix louaient votre beauté, l’émerveillement était unanime. Comme le cortège s’approchait, je vous ai vue rire gaiement et encourager votre jument nerveuse à caracoler pour les badauds. Avant même que votre visage n’émerge de l’ombre des bâtiments, j’ai remarqué votre pur-sang arabe… Quelle monture fougueuse… que vous meniez avec beaucoup d’aisance et de courage ! Je me suis dit : Si elle est capable de maîtriser cette monture, elle saura faire face à tout ! Et soudain vous avez été baignée de soleil, une vision lumineuse, avec votre robe qui volait à chaque bond. Puis j’ai bu la beauté de vos yeux… (Elle retient son souffle.) Alors j’ai posé un genou à terre et je me suis signé en remerciant le Seigneur et ma mère infiniment sage de m’avoir adressé un tel parangon de beauté ! Puis je me suis éclipsé afin d’attendre votre arrivée officielle. Me le pardonnez-vous ? demande-t-il d’une voix angoissée.

     Elle dépose deux tendres baisers sur ses paupières qui se referment sur son regard bleu interrogateur. Elle sait désormais que cet homme emplira son cœur d’amour chaque jour, qu’ils soient près l’un de l’autre ou séparés. Alors qu’il la porte vers le lit nuptial, elle se jure en elle-même que jamais elle n’aimera aucun autre homme.

     À en juger d’après ses ardeurs, lui aussi est comblé.

    — Très chère épouse, nous partagerons des nuits semblables chaque jour de notre existence, lui confie-t-il au matin, avec un baiser délicat.

    Et elle le croit.

    Yolande a vite fait de jauger le caractère de son mari. Louis est une âme généreuse, un être bon, à la fois doux et solide, ambitieux, au jugement sûr et avisé. Elle aussi ne cesse de rendre grâce à leurs deux mères pour avoir arrangé leur union. Et elle n’a qu’à penser à ses caresses pour se pâmer. Dès leur nuit de noces, elle a su qu’il l’aimait.

    Au fil des jours et des semaines, elle s’aperçoit néanmoins qu’il garde certaines choses jalousement, refusant de les partager même avec elle : ses vrais sentiments sur la défaite à Naples, ses ambitions pour l’avenir. Elle juge préférable de ne pas insister, d’autant qu’il a son caractère. En proie à l’ivresse de l’amour des premiers temps, elle n’en conçoit aucune appréhension. Elle a confiance en elle, sait qu’elle finira par se repérer dans le labyrinthe intérieur de son mari et apprendre ce qui lui permettra de devenir une partenaire et une conseillère indispensable. Elle lui sera toujours obéissante, mais n’a jamais été d’un tempérament naïf.

    Après plusieurs jours de cérémonies et de festivités, le couple royal quitte Arles pour se rendre par voie fluviale à Tarascon où Louis a presque achevé la construction de ce qui sera sa résidence principale en Provence. La forteresse de pierre blanche est érigée sur un emplacement où plusieurs châteaux se sont succédé depuis l’époque romaine, dans une vallée au bord du Rhône. Située au sud d’Avignon et au nord d’Arles, Tarascon occupe un lacet stratégique du fleuve procurant une vue panoramique sur la campagne environnante. Le Rhône marque la frontière naturelle de leur province souveraine, l’autre berge étant en France.

    Yolande tombe tout de suite sous le charme du château avec ses hauts remparts et ses tours crénelées, un édifice qui semble surgir tout droit des rochers à sa base. Un escalier permet d’accéder à un embarcadère conçu pour de petits bateaux. Louis emmène Yolande faire un tour en barque. Le Rhône est peu large à cet endroit, rien ne les empêcherait d’aller en France s’ils le voulaient.

      Malgré l’extérieur austère, Marie de Blois s’est employée à transformer l’intérieur en un cadre de vie confortable et élégant, avec autant d’ingéniosité, dit-on, que dans ses fabuleux châteaux d’Anjou. Les plafonds sont de bois, ornés par endroits d’animaux extraordinaires découpés dans du plomb et fixés aux poutres. Chaque chambre dispose de sa cheminée dans laquelle brûle un beau feu. Les fenêtres à meneaux procurent une grande luminosité et de belles vues sur le Rhône. Yolande regrette vivement que sa mère ne soit pas là pour admirer sa première résidence. Toutefois, elle ne doute pas que Marie de Blois l’aidera et lui apprendra à gérer une si vaste demeure.

    Après leur arrivée, alors qu’on leur a servi des rafraîchissements dans la grande salle, la duchesse prend Yolande par la main et l’entraîne doucement vers l’âtre. Elle se réchauffe les mains au feu et s’adresse à sa bru avec un charmant sourire.

    — Chère enfant, maintenant que vous avez épousé mon fils, je vous considère comme ma fille, si vous m’accordez ce privilège.

    Yolande sent que sa belle-mère ne s’exprime pas à la légère.

    — Par votre mariage, reprend-elle, vous êtes désormais duchesse d’Anjou, de Maine et de Guyenne, ainsi que comtesse de Provence. Mais dorénavant, on vous désignera toujours comme la reine de Sicile, le plus ancien de vos titres, et moi je serai la reine douairière.

    Sur ce, la vieille femme s’incline gracieusement devant Yolande qui n’en revient pas, puis s’éclipse.

     

  • [Livre] La princesse blanche

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    Résumé : La Princesse Blanche clôture la saga historique de Philippa Gregory sur la Guerre des Deux-Roses. Ce conflit historique de premier ordre pour la succession du trône d’Angleterre se déroule entre 1455 et 1485, entre deux maisons : les Lancastre et les York. L’emblème de la maison de Lancastre était la rose rouge, tandis que celui des York était la rose blanche, ce qui donna son nom à cette guerre, mais aussi au roman de Philippa Gregory. L’auteur raconte la fin de cette guerre et ses conséquences, à travers le regard de la princesse Elisabeth York (rose blanche) dont le mariage forcé avec Henri VII (victorieux contre Richard III, qu’elle aimait et aurait dû épouser), met fin à la guerre des Deux-Roses et la couronne reine. Son avenir ne sera pourtant pas radieux : ses deux frères Richard et Édouard, sont présumés morts. Elle doit faire face aux intrigues de cour. D’un côté, sa mère fomente des rébellions pour reconquérir le trône. De l’autre, la mère d’Henri prend toutes les décisions à la place de son fils. Plusieurs révoltes menées par des imposteurs se prétendant prince d’York viennent troubler l’équilibre si précaire de la couronne.

     

    Auteur : Philippa Gregory

     

    Edition : Hugo roman

     

    Genre : Historique

     

    Date de parution : 6 novembre 2014

     

    Prix moyen : 20€

     

    Mon avis : J’aime beaucoup l’écriture de Philippa Gregory même si, dans ce livre, elle se base sur des faits historiques non avérés, comme la supposée liaison entre Richard III et sa nièce Elizabeth d’York, voire que l’on sait faux, comme l’influence politique de la mère d’Henry VII.
    J’ai donc pris ce roman comme une fiction historique et non comme un livre historique romancé.
    L’écriture est agréable, il est juste dommage que dans le format Kindle (je ne sais pas si la même erreur s’est glissé dans le format papier) le verbe serrer soit systématiquement remplacé par le verbe servir (ex : Mon oncle me tapote la main tandis que je sers mon bébé contre mon cœur).
    Henry est imbuvable, il est lâche, peureux, accroché aux jupes de sa mère, incapable de prendre une décision sans son assentiment et incapable de comprendre et encore moins d’admettre que ce n’est pas parce que l’on s’empare de la couronne par la force que l’on obtient le respect et l’amour de son peuple.
    Son attitude envers Elizabeth est abjecte.
    Il faut dire que quand on voit sa mère : revêche, avide de pouvoir, cherchant à tout contrôler - jusqu’au nombre de jour qu’une reine accouchée doit passer alitée – on comprend mieux l’attitude du fils.
    La mère d’Elizabeth, continue à œuvrer dans l’ombre pour renverser les Tudors, sans aucune considération pour sa fille et pour son petit-fils, qui seraient renversés avec eux. Sa fille semble n’être qu’un pion sur un échiquier pour elle. On découvre de la veuve d’Edouard IV un visage qu’on n’avait pas perçu dans « la reine clandestine ».
    La sœur d’Elizabeth est plus dure à cerner : son attitude est-elle de la méchanceté, de la stupidité ou de la jalousie ? Elle semble oublier que sa sœur est reine d’Angleterre et elle ne lui montre aucun respect. J’espère toujours qu’elle va en prendre pour son grade.
    Elizabeth d’York est sans nul doute le personnage le plus sympathique de cette triste bande. Elle fait contre mauvaise fortune bon cœur. Contrainte d’épouser l’assassin de l’homme qu’elle aimait et voulait épouser, elle n’a aucune intention, malgré le peu d’estime qu’elle a pour lui et pour sa mère, de renier ses vœux de mariage. Elle a juré fidélité et loyauté et compte bien ne pas se parjurer. C’est ce respect de sa parole qui fait que sa mère ne la tient informée de rien, ce qui, au lieu de la mettre à l’abri, la met en danger car son époux et sa belle-mère ne peuvent croire qu’on la tienne ainsi dans l’ignorance la plus complète.
    Le roman nous fait traverser les différentes « trahisons » et révoltes auxquelles a dû faire face le roi Henry VII et nous montre son incompréhension, lui qui pensait qu’une fois qu’il aurait conquis le trône, tout le monde ploieraient devant lui en le reconnaissant élu de Dieu.

    Bien sûr, si on connaît un minimum cette période de l’histoire d’Angleterre, on sait à l’avance l’issu des batailles, des révoltes et autre évènement et on sourit même devant certaines phrases prononcées par Elizabeth, qui ne prennent tout leur sens que si l’on sait ce qu’il s’est passé ensuite.
    Le livre s’achève en 1499, soit quelques années avant la mort d’Elizabeth, qui meurt en couche en 1503. A travers les différents livres de Philippa Gregory, on aura donc suivi toute la vie de cette princesse qui a sans cesse servi de trait d’union entre les York et les Tudor.

    Un extrait : Je lis cette lettre avec une certaine prudence car ma mère ne s’est jamais montrée très franche et chacun de ses mots est toujours empreint de sous-entendus. Je suppose qu’elle se réjouit à l’idée d’une nouvelle chance d’accéder au trône d’Angleterre. C’est une femme indomptable ; je l’ai vue rabaissée jusqu’à terre mais jamais, même lorsqu’elle a failli devenir folle de chagrin après la perte de son époux, je ne l’ai vue humiliée.

    Je comprends bien sûr ses instructions : paraître heureuse, oublier que l’homme que j’aime gît dans une tombe sans nom, sceller l’avenir de ma famille en me contraignant à épouser son ennemi. Après avoir passé sa vie à attendre ce moment, Henri Tudor a débarqué en Angleterre et vaincu au combat le roi légitime, mon bien-aimé Richard ; tout comme mon pays, je fais désormais partie du butin de guerre. Si Richard avait gagné la bataille de Bosworth – et qui aurait pu songer le contraire ? – je serais devenue sa reine et sa tendre épouse. Seulement il a péri sous les lames de traîtres, ceux-là mêmes qui avaient juré de combattre à ses côtés ; et voilà qu’il me faut épouser Henri et oublier ces six mois merveilleux passés en compagnie de Richard – la personne la plus chère à mon cœur – comme la reine de sa cour. Du moins, j’espérais que leur souvenir s’effacerait de lui-même, mais c’est à moi qu’incombe cette tâche.

    Sous le porche du corps de garde, à l’entrée du grand château de Sheriff Hutton, je relis la lettre de ma mère avant d’entrer dans la salle. Au centre, dans l’âtre en pierre, brûle un feu dont la fumée rend l’air chaud et brumeux. Je froisse la feuille en une boule que j’enfonce au cœur des bûches rougeoyantes et regarde se consumer. Toute allusion à mon amour pour Richard et à ses promesses à mon égard doit être détruite de la sorte. Je dois aussi cacher d’autres secrets, un en particulier. Princesse loquace, j’ai grandi dans une cour ouverte aux intellectuels, et à tous les écrits, discours et pensées ; toutefois, au cours des années qui ont suivi la mort de mon père, j’ai acquis des talents d’espionne.

    Bien que mes yeux soient remplis de larmes à cause de la fumée, je sais qu’il est vain de pleurer. Après m’être essuyé le visage, je vais retrouver les enfants dans la grande chambre en haut de la tour ouest qui leur sert de salle d’étude et de jeux. Ma sœur Cécile, âgée de seize ans, passe la matinée à chanter avec eux ; en montant l’escalier de pierre, j’entends leurs voix rythmées par le bruit sourd du tambourin. Lorsque j’ouvre la porte, ils s’arrêtent brusquement et me prient d’écouter un canon de leur composition. Depuis toute petite, ma sœur Anne, maintenant âgée de dix ans, reçoit l’enseignement des meilleurs professeurs ; à douze ans, notre cousine Margaret chante parfaitement juste, et son petit frère de dix ans, Édouard, possède une voix de soprano aussi douce qu’une flûte. Je les écoute puis applaudis.

    – J’ai une grande nouvelle à vous annoncer. 

    Édouard Warwick lève la tête de son ardoise.

    – À moi ? demande-t-il d’un air implorant. À Teddy ?

    – Oui, à toi, à ta sœur Maggie, et à Cécile et Anne. À vous tous. Comme vous le savez, Henri Tudor a gagné la bataille et va donc devenir le nouveau roi d’Angleterre. »

    Malgré leurs visages sombres, ces enfants, membres de la famille royale, sont trop bien éduqués pour exprimer un seul regret au sujet de leur défunt oncle Richard.

     

  • [Livre] Le train des orphelins

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    Résumé : Entre 1854 et 1929, des trains sillonnaient les plaines du Midwest avec à leur bord des centaines d'orphelins. Au bout du voyage, la chance pour quelques-uns d'être accueillis dans une famille aimante, mais pour beaucoup d'autres une vie de labeur, ou de servitude.
    Vivian Daly n'avait que neuf ans lorsqu'on l'a mise dans un de ces trains. Elle vit aujourd'hui ses vieux jours dans une bourgade tranquille du Maine, son lourd passé relégué dans de grandes malles au grenier.
    Jusqu'à l'arrivée de Mollie, dix-sept ans, sommée par le juge de nettoyer le grenier de Mme Daly, en guise de travaux d'intérêt général. Et contre toute attente, entre l'ado rebelle et la vieille dame se noue une amitié improbable. C'est qu'au fond, ces deux-là ont beaucoup plus en commun qu'il n'y paraît, à commencer par une enfance dévastée...

     

    Auteur : Christina Baker Kline

     

    Edition : Belfond français

     

    Genre : historique

     

    Date de parution : 1 octobre 2015

     

    Prix moyen : 20€

     

    Mon avis : Ce que j’ai le plus apprécié dans ce livre, outre le fait que l’écriture est très agréable, c’est qu’on apprend, en balançant entre passé et présent, un épisode de l’histoire des Etats-Unis dont on parle rarement : les trains qui sillonnaient l’Amérique, en partance de New York, pour y distribuer, comme du bétail, des orphelins dans les villes du Midwest. La plupart du temps, ce n’est pas une famille aimante qu’allaient trouver ces enfants, mais un véritable esclavage. Main d’œuvre gratuite, ils étaient soumis au bon vouloir des personnes qui les emmenaient (leur « placement » était d’ailleurs qualifié de « tractation »).
    En voyant les histoires respectives de Molly et Vivian, on se raconte que tout a changé pour les orphelins et qu’en même temps, tout est resté pareil.
    Du temps de Vivian, on trouvait normal de les exposer comme du bétail, de les donner à des gens qui cherchaient des bras pour travailler gratuitement à la ferme ou dans les maisons. On prévenait bien les « parents adoptifs » qu’il était obligatoire de les envoyer à l’école, mais s’ils ne le faisaient pas, personne ne se donnait la peine de venir rectifier la situation. Peu importe également qu’ils soient maltraités ou privés de nourriture. De toute façon, ils étaient considérés comme des êtres inférieurs, voués à la délinquance, sans aucun droit à la parole et qu’il fallait remettre dans le droit par la force, comme si le fait de perdre leurs parents étaient de leur faute.
    80 ans plus tard, à l’époque de Molly, il y a des lois plus strictes. Les enfants vont à l’école et les travailleurs sociaux s’en assurent ; on ne peut plus changer leur prénom à n’importe quel âge sous prétexte qu’il ne plait pas… Mais le suivi est peu scrupuleux par ailleurs. Dans les familles d’accueil, alcoolisme, abus, maltraitance sont monnaie courante et les enfants placés apprennent vite à mentir pour ne pas être catalogués « à problèmes ». L’entourage se montre bien plus intransigeant avec eux qu’avec les « enfants avec famille ».
    Molly est condamné à des heures d’intérêt général pour avoir volé un vieux livre dans la bibliothèque. Si elle avait eu des parents, elle aurait pris une tape sur les doigts, là on la menace du centre de détention pour mineur.
    En fait on se rend compte que les parents adoptifs de l’époque de Vivian ressemblent aux familles d’accueil de l’époque de Molly. Alors même si, de nos jours, les parents adoptifs sont triés sur le volet, il semble qu’il y ait encore des progrès à faire pour le bien être des enfants à la merci du système.
    Jack, le petit ami de Molly, et Terry, sa mère, m’énervent. Terry a décidé qu’elle voulait que le grenier soit débarrassé, mais elle n’est qu’une employée de maison. Pour qui se prend-t-elle ? Quant à Jack, il montre qu’il considère lui aussi Molly comme étant « à problème » quand il lui dit qu’elle doit sauver les apparences.
    Molly devrait dire la vérité à Vivian sur la raison de sa présence, à savoir les heures d’intérêt général qu’elle doit faire. Ainsi Terry ne pourrait plus rien dire.
    Dina, la mère d’accueil de Molly, ressemble aux femmes à qui Vivian a été confronté : elle ne veut pas être famille d’accueil, elle ne veut pas donner de son temps et se sens supérieure à ceux qui ont perdu leur famille. Ralph, le père d’accueil, qui est celui qui a voulu se lancer dans cette aventure, ne semble pas être capable de tenir tête à sa femme, ou à qui que ce soit d’ailleurs : un mollusque, voilà ce qu’il est.
    Vivian qui a connu plusieurs familles désastreuses avant de trouver enfin un équilibre, est la plus à même de comprendre ce que peut ressentir Molly, bien que l’adolescente cache sa détresse derrière une carapace de dure à cuire.
    Et Molly, avec sa connaissance des technologies modernes, va aider Vivian a trouver un certain nombre de réponses sur son passé.
    Un livre qui ne contient presque aucune longueur et qui se dévore en un temps record.

    Un extrait : « Eh toi, l’Irlandaise ! Par ici. » De son maigre doigt recourbé, une matrone efflanquée à l’air sévère et coiffée d’un béguin blanc me fait signe d’avancer. Elle doit savoir quelle est ma nationalité grâce aux papiers remplis par M. Schatzman quand il m’a amenée à la Société d’aide aux enfants il y a quelques semaines. À moins que ce ne soit mon accent, toujours aussi épais que de la tourbe. « Hum ! Une rousse, dit-elle en faisant la moue, lorsque je me tiens devant elle.

    — Quel dommage ! commente la femme rondelette à son côté, avant d’ajouter avec un soupir : Et ces taches de rousseur. Déjà qu’à cet âge c’est difficile de leur trouver une famille d’accueil… »

    La maigre humecte son pouce et repousse les cheveux de mon visage. « Tu ne veux pas les faire déguerpir, n’est-ce pas ? Assure-toi que ton visage est dégagé. Si tu es soignée et bien élevée, peut-être qu’ils ne tireront pas de conclusions hâtives. »

    Elle reboutonne mes manches et, lorsqu’elle se penche pour renouer les lacets de mes chaussures noires, une odeur de moisissure se dégage de son béguin. « Il faut absolument que tu aies l’air présentable. L’air d’une fille qu’on aimerait avoir chez soi. Propre, polie, mais pas trop… » – elle échange un regard rapide avec l’autre femme.

    « Pas trop quoi ?

    — Certaines femmes n’aiment pas qu’une fille trop gracieuse dorme sous le même toit qu’elles. Non pas que tu sois si… Mais quand même. Et ça, qu’est-ce que c’est ? » me demande-t-elle en désignant mon pendentif du doigt.

    Je porte la main à la petite croix celtique en étain surmontée du symbole de Claddagh que je porte depuis que j’ai six ans. Du bout des doigts j’effleure le contour du cœur.

    « C’est une croix irlandaise.

    — Tu n’as pas le droit d’emporter de souvenirs avec toi dans le train. »

    Mon cœur bat si fort qu’elle doit sûrement l’entendre. « Elle appartenait à ma grand-mère. »

    Les deux femmes étudient le bijou, hésitent. Elles doivent décider quoi faire.

    « Elle me l’a donnée quand j’étais en Irlande, avant notre départ. C’est… C’est la seule chose qui me reste. » Ce qui est vrai. Mais je le dis aussi parce que je pense que cela va les attendrir. Et ça marche.

     

    Nous entendons le train avant de le voir. Un bourdonnement sourd, un grondement sous nos pieds, un sifflement grave, d’abord à peine audible puis de plus en plus sonore à mesure que le train s’approche. Tendant le cou, nous nous penchons au-dessus des voies pour essayer de le voir (un de nos chaperons, Mme Scatcherd, crie d’une voix aiguë : « Les enfants, reprenez place, les enfants ! »). Tout à coup, le voilà : la locomotive nous surplombe de toute sa masse, obscurcissant le quai, et laisse s’échapper un jet de vapeur stridulant, comme un gigantesque animal à bout de souffle.

    Nous sommes vingt enfants, de tous âges. Nous avons été récurés et portons des vêtements qui nous ont été donnés : robes, tabliers blancs et collants épais pour les filles, culottes boutonnées sous le genou, chemises blanches, cravates et vestes de costume en lourd drap de laine pour les garçons. Il fait incroyablement chaud en ce jour d’octobre et, debout sur le quai, nous étouffons. Mes cheveux sont collés dans ma nuque, ma robe est raide et inconfortable. D’une main, je tiens une petite valise marron qui, à l’exception de ma croix celtique, contient tout ce que je possède en ce monde, toutes choses récemment acquises : une bible, deux changes de vêtements, un chapeau, un manteau beaucoup trop petit pour moi, une paire de chaussures. Mon nom a été brodé à l’intérieur du manteau par une bénévole de la Société d’aide aux enfants : Niamh Power.

    Oui, Niamh. Cela se prononce « Niv ». C’est un prénom assez répandu dans le comté de Galway et pas complètement inhabituel parmi les Irlandais de New York. Cependant, il y a peu de chance qu’il le soit à l’endroit, quel qu’il soit, où le train m’emmènera. La femme qui brodait ces lettres il y a quelques jours a claqué la langue : « J’espère pour toi, jeune demoiselle, que tu n’es pas trop attachée à ce prénom, parce que je te garantis que, si tu as la chance d’être adoptée, tes parents le changeront immédiatement. » Mon père m’appelait « ma petite Niamh ». Mais je n’y tiens pas tant que ça. Je sais qu’il est étranger et difficile à prononcer, qu’il ne sonne pas bien à l’oreille de ceux qui ne le comprennent pas. Comme un curieux assemblage de consonnes mal assorties.

    Personne ne me plaint d’avoir perdu ma famille. Chacun d’entre nous a vécu une histoire triste. Autrement, nous ne serions pas ici. En général, nous préférons ne pas évoquer notre passé, conscients du fait que seul l’oubli peut apaiser notre peine. L’association elle-même nous traite comme si nous venions de naître, comme si nous étions des insectes qui, ayant brisé leur cocon, ont laissé leur passé derrière eux et, par la grâce de Dieu, s’apprêtent à entamer une nouvelle vie.

     

  • [Livre] Le sacrifice du soir: vie et mort de Madame Elisabeth, sœur de Louis XVI

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    Résumé : Orpheline à l'âge de trois ans, Madame Elisabeth, la petite sœur de Louis XVI, la dernière de la famille, bénéficie pourtant d'une instruction complète. Sportive, passionnée d'équitation, excellente en mathématiques et en dessin, vive, active et rapide, elle étonne son entourage par la diversité de ses talents et la fermeté de son caractère. Avec sa maison princière et ses amies, elle forme une petite cour au milieu de la cour, y faisant régner la piété et la paix. Elle ne se marie pas, n'entre pas au couvent. Sa vocation est de rester avec les siens, le roi, la reine et leurs enfants. Dans les dernières années de l'Ancien Régime, comme avertie de la tragédie, elle se prépare pour les secourir. A partir de 1789, elle les assiste et les réconforte. Refusant de les abandonner, elle quitte avec eux Versailles pour les Tuileries, et les Tuileries pour la prison du Temple. Après le roi et la reine, elle est guillotinée. Le régime ne peut pas l'épargner. Elle est son ennemie. Elle a toujours vu dans la Révolution un mensonge et une illusion. Elle a toujours déploré la faiblesse de son frère, et n'a jamais pu y remédier. Ange consolateur, grande figure de la résistance spirituelle à la persécution antichrétienne, elle est aussi l'exhortatrice. Elle encourage ses amies à la perfection chrétienne. Dans la voiture du retour de Varennes, elle convertit Barnave à la cause du roi. Sur le chemin de l'échafaud, elle exhorte à la mort ses compagnons de supplice. Puis elle quitte ce monde sans regret, tout à l'espérance de se " retrouver dans le sein de Dieu " avec sa " famille ".

     

    Auteur : Jean de Viguerie

     

    Edition : Cerf histoire

     

    Genre : Historique

     

    Date de parution : 2010

     

    Prix moyen : 19€

     

    Mon avis : L’auteur ne cache pas dans sa biographie sa sympathie pour son sujet (on le comprend), ni son scepticisme quant à la Révolution (on le comprend encore plus).
    Tout au long des jours, voire des semaines qui précédent les événements de 1789, elle pressent que quelque chose va se produire sans en mesurer la gravité (Elle n’imagine pas l’ampleur de la révolte).
    Sans cesse elle pense que la bonté du roi plaidera à sa faveur.
    Toute sa vie, même en captivité, elle continue à vivre selon les principes inculqués par ses gouvernantes, principes issus de l’école de Saint-Cyr, fondée par Madame de Maintenon.

    A plusieurs reprises, du moins jusqu’à la mort du roi, elle aurait pu fuir le pays, les révolutionnaires l’auraient probablement laissée partir. Peut être aurait-elle-même pu emmener Madame Royale, fille du couple royal et seule survivante de la famille.
    Et pourtant, même si elle reste à ses côtés sans jamais faillir, chose qui lui sera reprochée lors de son pseudo procès, elle est souvent en désaccord avec les choix politiques de son frère qu’elle juge faible. Mais sa soumission à son frère et à son roi l’empêcheront toujours de lui dire ouvertement le fond de sa pensée.
    En toute chose, elle trouve du réconfort dans la religion. Elle a dévoué sa vie à Dieu sans pour autant entrer au couvent. Le fait qu’aucun mariage n’ait été envisagé pour elle par Louis XVI, alors qu’elle est mineure, montre que son frère la soutient dans son choix.
    Son grand-père, Louis XV, avait exigé que son éducation soit complète et, malgré l’opposition sur ce sujet des hommes des lumières, hostiles à l’éducation des femmes, on lui a très tôt enseigné la philosophie et ainsi apprit à penser par elle-même.
    Un regret sur cette biographie : qu’on ne sache pas quelle a été sa réaction à l’annonce de la mort du roi, puis de la reine (elle n’a appris la mort de cette dernière que 7 mois après son exécution), ce qui montre l’isolement subi par Madame Elisabeth et Madame Royale dans les derniers mois de la réclusion de Madame Elisabeth.

    Un extrait : Elle est bien chétive cette petite fille que l’on vient de baptiser. Dans ses premiers mois on craint pour sa vie. Ensuite sa santé s’affermit, mais son père et sa mère viennent à mourir. Elle a un an et demi à la mort de son père, à peine trois ans au décès de sa mère. Elle dira souvent « Je suis une enfant de la providence ».
    Le Dauphin et la Dauphine étaient tous les deux animés d’une foi très vive. Leurs deux filles, Marie-Clotilde et Elisabeth, auront la même vertu à un degré héroïque.
    La Dauphine, avant de mourir, les a recommandées à son amie, la comtesse de Marsan, gouvernante des enfants de France. Marie-Louise de Rohan, comtesse de Marsan, est veuve sans enfants. Elle n’a peut-être pas été toujours un prix de vertu, mais c’est une personne très entendue et d’expérience. Elle a élevée les trois garçons, Berry, Provence et Artois, jusqu’à leur passage aux hommes, et tout le monde à la cour s’accorde à dire qu’elle a bien réussi dans cette tâche.
    Maintenant, il lui reste à éduquer les deux sœurs et à les gouverner jusqu’à leur majorité. Louis XV, cela est nouveau de sa part, suit les progrès de ses petites-filles et s’en fait rendre compte.
    Madame de Marsan les conduit tous les jours saluer « grand-papa roi ».
    Malgré une différence d’âge de quatre ans et huit mois, elles sont élevées ensemble. C’est bon pour la petite qui veut imiter la grande. Elles sont logées dans la partie du château réservée aux Enfants de France, au bout de l’aile du Midi, du côté de l’Orangerie, au rez-de-chaussée ouvrant sur une terrasse et dominant le parterre. Les deux enfants peuvent sortir facilement et même se promener autour de la pièce d’eau des Suisses toute proche.
    Le lieu est tranquille, éloigné des agitations de la cour.

  • [Livre] Une autre idée du silence

    Les lectures de Gribouille et moi-même participons à un challenge.
    Ce challenge consiste à sélectionner trois livres dans la PAL de notre binôme. Celui-ci choisi lequel des trois il lira et chroniquera. Les lectures de Gribouille et moi avons choisi de lire les trois livres que chacune à choisi pour l'autre (c'est qu'on a une PAL assez conséquente à faire descendre!)

    Ce livre est le premier que m'a choisi Les lectures de Gribouilles dans le cadre du challenge Livra'deux sur livraddict. Pour sa part je lui avais choisi La colline aux esclaves de Kathleen Grissom dont vous trouverez la chronique ICI

     

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    Résumé : Angleterre, 1255. À seulement dix-sept ans, Sarah décide de devenir anachorète. Dévouée à Dieu, elle vivra recluse dans une petite cellule mesurant neuf pas sur sept à côté de l’église du village. Fuyant le deuil de sa sœur adorée, morte en couches, et la pression d’un mariage imposé, elle choisit de renoncer au monde – à ses dangers, ses désirs et ses tentations – pour se tourner vers une vie de prière. Mais petit à petit elle comprend que les murs épais de sa cellule ne pourront la protéger du monde extérieur. 

     

    Auteur : Robyn Cadwallader

     

    Edition : Denoël

     

    Genre : historique

     

    Date de parution : 3 septembre 2015

     

    Prix moyen : 22,50€

     

    Mon avis : Dans ce roman, on ne découvre les personnages et les évènements présents et passés qu’au travers deux personnages : Sarah et Ranaulf.
    Ce qui m’a interpellé en premier lieu dans ce livre, c’est le manque de foi des personnages principaux eut égard à leur choix de vie.
    Sarah, 17 ans, a décidé de devenir recluse. Elle se destine à passer sa vie en prière dans une cellule de neuf pas sur sept, accolée à l’église et dont tous les accès vers l’extérieur sont condamnés à l’exception d’une fenêtre donnant dans la chambre de ses servantes par laquelle on lui transmet le nécessaire et d’une meurtrière donnant dans l’église, masquée par un lourd rideau, à travers laquelle elle peux parler, mais sans les voir, à son confesseur et aux femmes du village qui viennent lui demander des conseils ou des prières.
    La vie qu’à choisi Sarah est une vie de sacrifice et de dévotion envers Dieu, plus encore qu’une vie de simple religieuse. Or, la jeune fille, si elle est pieuse, n’est pas vraiment dans l’état d’esprit d’une femme se dévouant à son créateur. Elle est pleine de colère, dit ses prières sans y penser, comme une routine. Lorsqu’elle réalise que sa cellule n’est pas totalement hermétique, elle s’en offusque, mais est incapable de se couper des bruits, des odeurs, avec sérénité. On sent bien que ce n’est pas la dévotion qui l’a conduise dans ce reclusoir, mais un évènement de son passé et je ne suis pas certaine que ce soit le décès de sa sœur en couche comme le dit résumé et comme Sarah elle-même ne cesse de le rappeler.
    Elle semble supporter également très mal de devoir conseiller les femmes du village, d’autant plus qu’elle ne peut rien faire de plus que prier pour elles.
    Ranaulf, lui, est un prêtre copiste du prieuré qui gère la vie de la recluse. Il devient son confesseur en remplacement d’un prêtre trop âgé pour effectuer le trajet. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’en est pas content. Il affiche un mépris des femmes surdéveloppé, bien plus fort que l’église elle-même puisqu’il ne considère pas les recluses comme des saintes femmes mais comme, semble-t-il, des pécheresses qui expient leurs fautes, rien de plus.
    Au niveau de sa foi, j’ai l’impression qu’il n’est devenu prêtre que pour avoir accès à ses précieux livres, il montre à plusieurs reprises que toute autre tâches dévolues aux prêtres, telle que le fait d’être confesseur ou de devoir assister aux offices, n’ont aucunes importances à ses yeux et sont même presque indigne de figurer au rang de ses activités, la copie des ouvrages étant placées au dessus de tout.

    Du coté des personnes qui entourent ces deux là, on a tout un florilège de personnages, essentiellement des femmes ! Maud, Lizzie, Louise, Anna, Ellie… Les hommes, on en entend parler par elles, qu’ils soient leurs époux ou leurs voisins, à l’exception du père Simon, du père Peter et de Sir Thomas, 3 hommes que connaissait Sarah avant d’entrer en réclusion et qui vont interagir soit avec elle, soit avec Ranaulf.
    Le plus antipathique, est clairement Thomas. Fils du seigneur qui a payé pour que Sarah puisse entrer en réclusion, il a hérité de cette charge de protecteur à la mort de son père. De toute évidence, il a un passé avec Sarah, que celle-ci dévoile par bribes. Son opinion sur la vie que la jeune fille a choisie est lapidaire et il ne cesse de la tourmenter pour ébranler ses résolutions.
    Comme tout seigneur à cette époque (XIIIème siècle), il est convaincu de son impunité quoi qu’il fasse, ce qui le rend particulièrement dangereux pour tous. J’espère vraiment qu’il recevra la monnaie de sa pièce.
    Il est impressionnant de la part de l’auteur de nous tenir en haleine comme ça dans un livre où il n’y a que peu d’action, la quasi-totalité de l’histoire se passant entre les 4 murs de la cellule de Sarah et parfois dans l’enceinte du prieuré.
    C’est un huis clos presque total et pourtant, on ne peut s’empêcher de tourner les pages pour savoir la suite.

    Un extrait : J’étais près de la porte, là où les femmes devaient attendre. Allongée face contre terre, bras écartés sur le sol dur qui me refusait et que j’embrassais, désirant cette vie, cette mort. Je savais qu’il y avait des gens à proximité, des villageois venus pour regarder ou pour prier, mais je n’en ai vu aucun. Des voix dans le sanctuaire qui semblaient très éloignées psalmodiaient un chant, un chant funèbre, des prières pour moi. J’en connaissais les paroles : je les avais lues et relues, mémorisées, mais à présent elles n’étaient qu’un son. L’humidité froide de la pierre m’a pénétrée jusqu’aux os ; je n’ai pas senti les gouttes d’eau sur mon dos, leur fraîcheur bienfaisante. J’étais devenue pierre.
    L’évêque m’a relevée, mes jambes étaient lourdes, et il m’a guidée vers l’autel. J’ai pris les cierges qu’on me donnait ; une flamme brillait à présent dans mes mains et je ne pouvais rien voir au-delà. Quelque part à l’extérieur du halo de lumière, les paroles de l’évêque m’ont implorée :

    - Aime de tout cœur Dieu et ton prochain.

    Je me suis agenouillée et j’ai prié.
    Il y a eu des mots, des pages et encore d’autres mots : j’ai signé tout ce qu’on me demandait. J’ai entendu tinter la chaîne de l’encensoir. Lentement, le parfum doux-amer de l’encens m’a enveloppée comme un voile, comme des bras qui m’enlaçaient.
    Ils m’ont conduite jusqu’à la porte d’entrée, loin des gens et de la lumière des cierges, puis dehors dans la nuit, noire et glaciale. Nous avons traversé le cimetière ; l’herbe était mouillée sous mes pieds, les morts m’entouraient.
    Un chant s’est élevé dans les ténèbres, « Que les anges te guide jusqu’au paradis » ; c’était le cantique que nous avions chanté pour maman quand elle était morte, et plus tard pour Emma. Nous nous sommes arrêtés devant la cellule et les mains chaudes qui me tenaient les bras se sont retirées. Je me suis mise à frissonner. L’évêque a lancé :

    - Si elle veut entrer, qu’elle entre.

    La porte s’ouvrait sur les ténèbres. J’ai pris une profonde inspiration et ai pénétré à l’intérieur. Tout autour de moi n’était qu’obscurité et je sentais l’humidité sur mon visage. Des voix douces chantaient : « fais preuve de patience, ton désir de Dieu est proche. » Ils m’ont déposée par terre ; de la poussière et des mots sont tombés sur moi, à l’intérieur de ma bouche et dans mes yeux. La mort me désirait et je l’ai acceptée :

    - Je resterais ici pour toujours ; c’est la maison que j’ai choisie.

    Je pouvais sentir mes os, blancs et inertes contre le sol noir ; des vers se tortillaient entre mes côtes comme de la laine sur un métier à tisser. Au cœur de ces ténèbres, je suis morte. Mon corps s’est décomposé, désagrégé, est retourné à la terre. Ils sont partis et m’ont laissée seule.

     

  • [Livre] Marie-Antoinette : carnet secret d’une reine

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    Résumé : Qui n'a jamais rêvé de s'immerger dans l'intimité de Marie-Antoinette, archiduchesse d'Autriche, dernière reine de France et de Navarre, femme célèbre et controversée devenue un véritable mythe ? Sous la forme d'une belle édition à la fabrication soignée, nous vous proposons de découvrir son journal intime. Porté par Benjamin Lacombe, accompagné par le regard de Cécile Berly, historienne, spécialiste de Marie-Antoinette, ce carnet d'une richesse graphique inouïe (peintures, aquarelles, crayonnes) mêlera certaines des lettres authentiques de Marie-Antoinette et de ses proches aux pages fictives de son journal intime. Un livre exceptionnel pour les amateurs d'Histoire et de beaux ouvrages illustrés.

     

    Auteur : Benjamin Lacombe

     

    Edition : Soleil

     

    Genre : Album historique

     

    Date de parution : 03 décembre 2014

     

    Prix moyen : 25€

     

    Mon avis : L’approche choisie par Benjamin Lacombe est une bonne idée. On découvre ainsi les lettres authentiques envoyées à Marie-Antoinette par sa mère, lettres qu’il faut parfois relire pour les comprendre, le style étant très différent de ce à quoi nous sommes habitués de nos jours. A ces lettres, Benjamin Lacombe a ajouté un journal intime fictif de la dauphine puis reine de France en s’appuyant sur les éléments historiques que nous connaissons.
    Marie-Antoinette n’ayant jamais aimé écrire, il a pris soin de faire des entrées espacées, au début desquelles la reine avoue souvent avoir délaissé son journal.
    Il nous reproduit également des lettres des proches de Marie-Antoinette.
    Au début du livre, une préface de l’historienne Cécile Berly, nous éclaire sur le côté historique de l’ouvrage, modérant par exemple le choix de Lacombe de faire de la liaison de Fersen et la reine une chose avérée alors qu’il est probable qu’elle ait plus ressemblé à de l’amour courtois.
    A la fin de l’ouvrage, une mention discrète nous précise que les lettres présentées sur un fond de papier à lettre ont été reproduites à l’identique.

    Le point fort de cet ouvrage, et de la part de Benjamin Lacombe cela n’étonne pas, c’est les illustrations. Parfois un peu dérangeante comme un mélange de Gorjuss et de Tim Burton, mais toujours magnifiques, on ne se lasse pas de les revoir, découvrant à chaque fois de nouveaux détails qui nous avaient échappés.

     

    En extrait, étant donné qu’il n’y a pas de risque de spoiler, le pire des cancres en histoire sachant normalement comment à fini la dernière reine de France, je vous propose de découvrir la dernière lettre de Marie-Antoinette. Cette lettre était adressée à la sœur de Louis XVI, Madame Elisabeth. Cette dernière ne l’a jamais reçue.

    Un extrait : C’est à vous ma sœur, que j’écris pour la dernière fois. Je viens d’être condamnée, non pas à une mort honteuse, elle ne l’est que pour les criminels, mais à aller rejoindre votre frère. Comme lui innocente, j’espère montrer la même fermeté que lui dans ses derniers moments. Je suis calme comme on l’est quand la conscience ne reproche rien. J’ai un profond regret d’abandonner mes pauvres enfants ; vous savez que je n’existais que pour eux et vous, ma bonne et tendre sœur. Vous qui avez par votre amitié tout sacrifié pour être avec nous, dans quelle position je vous laisse !

    J’ai appris, par le plaidoyer même du procès, que ma fille était séparée de vous. Hélas ! La pauvre enfant, je n’ose pas lui écrire, elle ne recevrait pas ma lettre. Je ne sais même pas si celle-ci vous parviendra. Recevez pour eux deux ici ma bénédiction. J’espère qu’un jour, lorsqu’ils seront plus grands, ils pourront se réunir avec vous, et jouir en entier de vos tendres soins. Qu’ils pensent tous deux à ce que je n’ai cessé de leur inspirer, que les principes et l’exécution exacte de ses devoirs sont la première base de la vie, que leur amitié et leur confiance mutuelle, en feront le bonheur.

    Que ma fille sente qu’à l’âge qu’elle a, elle doit toujours aider son frère par les conseils que l’expérience qu’elle aura de plus que lui et son amitié pourront lui inspirer ; que mon fils, à son tour, rende à sa sœur tous les soins, les services, que l’amitié peut inspirer ; qu’ils sentent enfin tous deux que, dans quelque position où ils pourront se trouver, ils ne seront vraiment heureux que par leur union. Qu’ils prennent exemple de nous. Combien, dans nos malheurs, notre amitié nous a donné de consolations, et, dans le bonheur, on jouit doublement quand on peut le partager avec un ami ; et où en trouver de plus tendre, de plus cher que dans sa propre famille ?

    Que mon fils n’oublie jamais les derniers mots de son père, que je lui répète expressément : qu’il ne cherche jamais à venger notre mort ! J’ai à vous parler d’une chose bien pénible en mon cœur. Je sais combien cet enfant doit vous avoir fait de la peine ; pardonnez-lui, ma chère sœur ; pensez à l’âge qu’il a, et combien il est facile de faire dire à un enfant ce qu’on veut, et même ce qu’il ne comprend pas. Un jour viendra, j’espère, où il ne sentira que mieux tout le prix de vos bontés et de votre tendresse pour tous deux. Il me reste à vous confier encore quelques pensées. J’aurai voulu les écrire dès le commencement du procès ; mais, outre qu’on ne me laissait pas écrire, la marche en a été si rapide que je n’en aurais réellement pas eu le temps.

    Je meurs dans la religion catholique, apostolique et romaine, dans celle de mes pères, dans celle où j’ai été élevée, et que j’ai toujours professée. N’ayant aucune consolation spirituelle à attendre, ne sachant pas si il existe encore ici des prêtres de cette religion, et même le lieu où je suis les exposerait trop s’il y entrait une fois, je demande sincèrement pardon à Dieu de toutes les fautes que j’ai pu commettre depuis que j’existe. J’espère que dans sa bonté Il voudra bien recevoir mes derniers vœux, ainsi que ceux que je fais depuis longtemps pour qu’Il veuille bien recevoir mon âme dans sa miséricorde et sa bonté. Je demande pardon à tous ceux que je connais, et à vous, ma sœur, en particulier, de toutes les peines que, sans le vouloir, j’aurai pu vous causer. Je pardonne à tous mes ennemis le mal qu’ils m’ont fait. Je dis ici adieu à mes tantes et à tous mes frères et sœurs. J’avais des amis ; l’idée d’en être séparée pour jamais et leurs peines sont un des plus grands regrets que j’emporte en mourant ; qu’ils sachent, du moins, que jusqu’à mon dernier moment, j’ai pensé à eux.

    Adieu ma bonne et tendre sœur ; puisse cette lettre vous arriver ! Pensez toujours à moi : je vous embrasse de tout mon cœur, ainsi que ces pauvres et chers enfants. Mon Dieu ! Qu’il est déchirant de les quitter pour toujours. Adieu, adieu ! Je ne vais plus m’occuper que de mes devoirs spirituels. Comme je ne suis pas libre dans mes actions, on m’amènera peut-être un prêtre ; mais je proteste ici que je ne lui dirai pas un mot, et que je le traiterai comme un être absolument étranger.