Résumé : Entre 1854 et 1929, des trains sillonnaient les plaines du Midwest avec à leur bord des centaines d'orphelins. Au bout du voyage, la chance pour quelques-uns d'être accueillis dans une famille aimante, mais pour beaucoup d'autres une vie de labeur, ou de servitude.
Vivian Daly n'avait que neuf ans lorsqu'on l'a mise dans un de ces trains. Elle vit aujourd'hui ses vieux jours dans une bourgade tranquille du Maine, son lourd passé relégué dans de grandes malles au grenier.
Jusqu'à l'arrivée de Mollie, dix-sept ans, sommée par le juge de nettoyer le grenier de Mme Daly, en guise de travaux d'intérêt général. Et contre toute attente, entre l'ado rebelle et la vieille dame se noue une amitié improbable. C'est qu'au fond, ces deux-là ont beaucoup plus en commun qu'il n'y paraît, à commencer par une enfance dévastée...
Auteur : Christina Baker Kline
Edition : Belfond français
Genre : historique
Date de parution : 1 octobre 2015
Prix moyen : 20€
Mon avis : Ce que j’ai le plus apprécié dans ce livre, outre le fait que l’écriture est très agréable, c’est qu’on apprend, en balançant entre passé et présent, un épisode de l’histoire des Etats-Unis dont on parle rarement : les trains qui sillonnaient l’Amérique, en partance de New York, pour y distribuer, comme du bétail, des orphelins dans les villes du Midwest. La plupart du temps, ce n’est pas une famille aimante qu’allaient trouver ces enfants, mais un véritable esclavage. Main d’œuvre gratuite, ils étaient soumis au bon vouloir des personnes qui les emmenaient (leur « placement » était d’ailleurs qualifié de « tractation »).
En voyant les histoires respectives de Molly et Vivian, on se raconte que tout a changé pour les orphelins et qu’en même temps, tout est resté pareil.
Du temps de Vivian, on trouvait normal de les exposer comme du bétail, de les donner à des gens qui cherchaient des bras pour travailler gratuitement à la ferme ou dans les maisons. On prévenait bien les « parents adoptifs » qu’il était obligatoire de les envoyer à l’école, mais s’ils ne le faisaient pas, personne ne se donnait la peine de venir rectifier la situation. Peu importe également qu’ils soient maltraités ou privés de nourriture. De toute façon, ils étaient considérés comme des êtres inférieurs, voués à la délinquance, sans aucun droit à la parole et qu’il fallait remettre dans le droit par la force, comme si le fait de perdre leurs parents étaient de leur faute.
80 ans plus tard, à l’époque de Molly, il y a des lois plus strictes. Les enfants vont à l’école et les travailleurs sociaux s’en assurent ; on ne peut plus changer leur prénom à n’importe quel âge sous prétexte qu’il ne plait pas… Mais le suivi est peu scrupuleux par ailleurs. Dans les familles d’accueil, alcoolisme, abus, maltraitance sont monnaie courante et les enfants placés apprennent vite à mentir pour ne pas être catalogués « à problèmes ». L’entourage se montre bien plus intransigeant avec eux qu’avec les « enfants avec famille ».
Molly est condamné à des heures d’intérêt général pour avoir volé un vieux livre dans la bibliothèque. Si elle avait eu des parents, elle aurait pris une tape sur les doigts, là on la menace du centre de détention pour mineur.
En fait on se rend compte que les parents adoptifs de l’époque de Vivian ressemblent aux familles d’accueil de l’époque de Molly. Alors même si, de nos jours, les parents adoptifs sont triés sur le volet, il semble qu’il y ait encore des progrès à faire pour le bien être des enfants à la merci du système.
Jack, le petit ami de Molly, et Terry, sa mère, m’énervent. Terry a décidé qu’elle voulait que le grenier soit débarrassé, mais elle n’est qu’une employée de maison. Pour qui se prend-t-elle ? Quant à Jack, il montre qu’il considère lui aussi Molly comme étant « à problème » quand il lui dit qu’elle doit sauver les apparences.
Molly devrait dire la vérité à Vivian sur la raison de sa présence, à savoir les heures d’intérêt général qu’elle doit faire. Ainsi Terry ne pourrait plus rien dire.
Dina, la mère d’accueil de Molly, ressemble aux femmes à qui Vivian a été confronté : elle ne veut pas être famille d’accueil, elle ne veut pas donner de son temps et se sens supérieure à ceux qui ont perdu leur famille. Ralph, le père d’accueil, qui est celui qui a voulu se lancer dans cette aventure, ne semble pas être capable de tenir tête à sa femme, ou à qui que ce soit d’ailleurs : un mollusque, voilà ce qu’il est.
Vivian qui a connu plusieurs familles désastreuses avant de trouver enfin un équilibre, est la plus à même de comprendre ce que peut ressentir Molly, bien que l’adolescente cache sa détresse derrière une carapace de dure à cuire.
Et Molly, avec sa connaissance des technologies modernes, va aider Vivian a trouver un certain nombre de réponses sur son passé.
Un livre qui ne contient presque aucune longueur et qui se dévore en un temps record.
Un extrait : « Eh toi, l’Irlandaise ! Par ici. » De son maigre doigt recourbé, une matrone efflanquée à l’air sévère et coiffée d’un béguin blanc me fait signe d’avancer. Elle doit savoir quelle est ma nationalité grâce aux papiers remplis par M. Schatzman quand il m’a amenée à la Société d’aide aux enfants il y a quelques semaines. À moins que ce ne soit mon accent, toujours aussi épais que de la tourbe. « Hum ! Une rousse, dit-elle en faisant la moue, lorsque je me tiens devant elle.
— Quel dommage ! commente la femme rondelette à son côté, avant d’ajouter avec un soupir : Et ces taches de rousseur. Déjà qu’à cet âge c’est difficile de leur trouver une famille d’accueil… »
La maigre humecte son pouce et repousse les cheveux de mon visage. « Tu ne veux pas les faire déguerpir, n’est-ce pas ? Assure-toi que ton visage est dégagé. Si tu es soignée et bien élevée, peut-être qu’ils ne tireront pas de conclusions hâtives. »
Elle reboutonne mes manches et, lorsqu’elle se penche pour renouer les lacets de mes chaussures noires, une odeur de moisissure se dégage de son béguin. « Il faut absolument que tu aies l’air présentable. L’air d’une fille qu’on aimerait avoir chez soi. Propre, polie, mais pas trop… » – elle échange un regard rapide avec l’autre femme.
« Pas trop quoi ?
— Certaines femmes n’aiment pas qu’une fille trop gracieuse dorme sous le même toit qu’elles. Non pas que tu sois si… Mais quand même. Et ça, qu’est-ce que c’est ? » me demande-t-elle en désignant mon pendentif du doigt.
Je porte la main à la petite croix celtique en étain surmontée du symbole de Claddagh que je porte depuis que j’ai six ans. Du bout des doigts j’effleure le contour du cœur.
« C’est une croix irlandaise.
— Tu n’as pas le droit d’emporter de souvenirs avec toi dans le train. »
Mon cœur bat si fort qu’elle doit sûrement l’entendre. « Elle appartenait à ma grand-mère. »
Les deux femmes étudient le bijou, hésitent. Elles doivent décider quoi faire.
« Elle me l’a donnée quand j’étais en Irlande, avant notre départ. C’est… C’est la seule chose qui me reste. » Ce qui est vrai. Mais je le dis aussi parce que je pense que cela va les attendrir. Et ça marche.
Nous entendons le train avant de le voir. Un bourdonnement sourd, un grondement sous nos pieds, un sifflement grave, d’abord à peine audible puis de plus en plus sonore à mesure que le train s’approche. Tendant le cou, nous nous penchons au-dessus des voies pour essayer de le voir (un de nos chaperons, Mme Scatcherd, crie d’une voix aiguë : « Les enfants, reprenez place, les enfants ! »). Tout à coup, le voilà : la locomotive nous surplombe de toute sa masse, obscurcissant le quai, et laisse s’échapper un jet de vapeur stridulant, comme un gigantesque animal à bout de souffle.
Nous sommes vingt enfants, de tous âges. Nous avons été récurés et portons des vêtements qui nous ont été donnés : robes, tabliers blancs et collants épais pour les filles, culottes boutonnées sous le genou, chemises blanches, cravates et vestes de costume en lourd drap de laine pour les garçons. Il fait incroyablement chaud en ce jour d’octobre et, debout sur le quai, nous étouffons. Mes cheveux sont collés dans ma nuque, ma robe est raide et inconfortable. D’une main, je tiens une petite valise marron qui, à l’exception de ma croix celtique, contient tout ce que je possède en ce monde, toutes choses récemment acquises : une bible, deux changes de vêtements, un chapeau, un manteau beaucoup trop petit pour moi, une paire de chaussures. Mon nom a été brodé à l’intérieur du manteau par une bénévole de la Société d’aide aux enfants : Niamh Power.
Oui, Niamh. Cela se prononce « Niv ». C’est un prénom assez répandu dans le comté de Galway et pas complètement inhabituel parmi les Irlandais de New York. Cependant, il y a peu de chance qu’il le soit à l’endroit, quel qu’il soit, où le train m’emmènera. La femme qui brodait ces lettres il y a quelques jours a claqué la langue : « J’espère pour toi, jeune demoiselle, que tu n’es pas trop attachée à ce prénom, parce que je te garantis que, si tu as la chance d’être adoptée, tes parents le changeront immédiatement. » Mon père m’appelait « ma petite Niamh ». Mais je n’y tiens pas tant que ça. Je sais qu’il est étranger et difficile à prononcer, qu’il ne sonne pas bien à l’oreille de ceux qui ne le comprennent pas. Comme un curieux assemblage de consonnes mal assorties.
Personne ne me plaint d’avoir perdu ma famille. Chacun d’entre nous a vécu une histoire triste. Autrement, nous ne serions pas ici. En général, nous préférons ne pas évoquer notre passé, conscients du fait que seul l’oubli peut apaiser notre peine. L’association elle-même nous traite comme si nous venions de naître, comme si nous étions des insectes qui, ayant brisé leur cocon, ont laissé leur passé derrière eux et, par la grâce de Dieu, s’apprêtent à entamer une nouvelle vie.
Commentaires
Je ne connaissais pas du tout cette partie de l'histoire Américaine.Ce roman me plairait bien. Merci pour la découverte!
Je ne connaissais pas non plus, j'ai découvert cet épisode de l'histoire américaine en lisant le livre. Il semblerait qu'il y ait également une BD qui a été faite sur le sujet (même titre que le livre)