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Romans contemporains - Page 6

  • [Livre] Le testament de Marie

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    Résumé : Ils sont deux à la surveiller, à l'interroger pour lui faire dire ce qu'elle n'a pas vu. Ils dressent de son fils un portrait dans lequel elle ne le reconnaît pas, et veulent bâtir autour de sa crucifixion une légende qu'elle refuse. Seule, elle tente de s'opposer au mythe que les anciens compagnons de son fils sont en train de forger.

     

    Auteur : Colm Toibin

     

    Edition : Robert Laffont

     

    Genre : Roman contemporain

     

    Date de parution : 20 août 2015

     

    Prix moyen : 14€

     

    Mon avis : Marie, mère de Jésus, un nom qu’elle refuse désormais de prononcer, est enfermée dans une petite maison, interrogée et harcelée par deux hommes qui veulent lui faire raconter une version de l’histoire qui n’est pas la sienne.
    Inlassablement, elle refuse de raconter leur vérité, et nous livre ce qu’elle a réellement vu. Comment ces hommes ; qu’elle nomme « la horde », ont manipulé le peuple, combien son fils a changé, à quel point elle ne le reconnait plus, combien elle l’a vu s’éloigner d’elle, méprisant ses avertissements, se montrant plein d’arrogance et de morgue.
    Marie refuse le mythe que les « apôtres » veulent créer autour de la crucifixion, elle est blessée, traumatisée par la mort de son fils, par le souvenir de ses hurlements, de la façon dont il s’est débattu pour échapper au sort auquel on l’a destiné.
    Elle est aussi folle d’une rage contenue de voir que l’on continue à essayer de lui faire raconter une version arrangée de l’histoire alors qu’elle-même est proche de la mort et n’aspire qu’à un peu de calme et de tranquillité.
    Elle refuse cette nouvelle doctrine que l’on tente d’imposer en se servant de son fils comme symbole. Elle a toujours été profondément croyante, juive, et n’a jamais été l’une des fidèles de Jésus.
    Au final, Marie est une mère, une femme ordinaire, pas une sainte, une femme à laquelle le besoin de reconnaissance d’une bande de fauteur de troubles a arraché son fils.

    Ce texte est écrit à la première personne. Colm Toibin donne une voix à la mère de Jésus, l’éloignant de l’image figée qu’ont donné d’elle les tableaux et les écritures. Les paroles sont simples mais ont une force incroyable, faisant ressortir toute la peine de Marie, sa culpabilité aussi de n’avoir pas pu sauver son fils, de n’avoir pas essayé davantage. Il y a peu de dialogues, on assiste à un long monologue mais à aucun moment on ne ressent de longueur ou de fatigue de lire ce texte si dense.
    Le roman n’est pas très long : à peine 126 pages, mais ce sont 126 pages d’une intensité à couper le souffle.
    Un coup de cœur, vraiment, et un roman à côté duquel il serait dommage de passer !

     

    Un extrait : Il y a une chaise ici qui n’a jamais servi. Ailleurs, peut-être, oui, dans le passé, mais elle a franchi le seuil de cette pièce à une époque où j’avais désespérément besoin de penser aux années où j’avais connu l’amour. J’ai décidé qu’elle resterait vide. Elle appartient à la mémoire, elle appartient à un homme qui ne reviendra pas, dont le corps est poussière mais qui avait autrefois une puissance dans le monde. Il ne reviendra pas. La chaise est pour lui, car il ne reviendra pas. Je ne lui garde ni eau, ni nourriture, ni une place dans mon lit, ni bribes d’information susceptibles de l’intéresser. Je veille seulement à ce que cette chaise reste vide. Ce n’est pas une grande occupation. Parfois je la regarde en passant et c’est tout ce que je suis capable de faire. Peut-être est-ce assez, et peut-être y aura-t-il un temps où je n’aurai pas besoin d’avoir près de moi un objet qui me le rappelle. Tout à la fin de mes jours, le souvenir de lui se retirera peut-être plus profondément dans mon cœur et tout secours extérieur deviendra superflu.

    Je savais, par leur indélicatesse, leur façon d’entrer comme s’ils envahissaient l’espace de la pièce, qu’à un moment donné l’un des deux choisirait cette chaise. Il le ferait avec désinvolture, comme s’il n’y avait aucun enjeu, de manière à déjouer ma résistance. Mais j’étais prête.

    « Pas celle-là, ai-je dit, aussitôt qu’il a écarté la table et tiré la chaise, que j’avais pris soin de coincer contre le mur.

    — Quoi ?

    — L’autre oui, mais pas celle-là.

    — À quoi sert une chaise, sinon à s’asseoir ? Je n’ai pas le droit de m’asseoir sur une chaise ? »

    Le ton était plus insolent que menaçant, mais il contenait un élément de menace.

    « Personne ne s’assoit sur cette chaise, ai-je dit à voix basse.

    — Personne ? »

    J’ai encore baissé la voix.

    « Personne. »

    Mes visiteurs se sont entreregardés. J’ai attendu sans tourner la tête. J’essayais de paraître inoffensive, quelqu’un qu’il ne vaut pas la peine de défier, surtout sur un point tel que celui-là, un caprice, une toquade de bonne femme.

    « Et pourquoi donc ? » a-t-il repris avec une douceur ironique.

    « Pourquoi ? » a-t-il insisté, comme s’il s’adressait à une enfant.

    Je pouvais à peine respirer. J’ai posé les mains sur le dossier de la chaise la plus proche, mon cœur avait presque cessé de battre et j’ai senti qu’il ne faudrait pas longtemps pour que toute vie en moi, le peu qu’il en reste, s’en aille, tout simplement, comme une flamme s’éteint par un jour de grande chaleur – une brise légère, un tremblement soudain, et puis fini, plus rien, comme si elle n’avait jamais brûlé.

    « Pas cette chaise, ai-je dit.

    — Je veux une explication.

    — Cette chaise est là pour quelqu’un qui ne reviendra pas.

    — Mais il reviendra.

    — Non. Il ne reviendra pas.

    — Ton fils reviendra.

    — Cette chaise est pour mon mari. »

    J’ai répondu comme si l’imbécile, cette fois, c’était lui. J’étais contente en le disant, comme si le simple fait de prononcer le mot « mari » avait fait surgir dans la pièce quelque chose, ou l’ombre de quelque chose, qui était suffisant pour moi, mais pas pour eux. Et puis il s’est avancé, il a empoigné la chaise. Il me tournait le dos.

    J’étais prête. Sur la table, il y avait un couteau affuté. Je m’en suis emparée. La lame n’était pas dirigée vers eux, mais mon mouvement pour le saisir avait été si vif que j’ai capté leur attention. Je les ai regardés à tour de rôle.

    « J’en ai un autre caché, ai-je dit. Si vous touchez de nouveau à cette chaise, si vous la touchez, j’attendrai, et ensuite je viendrai la nuit, aussi silencieuse que l’air, vous n’aurez pas le temps de crier. Croyez-moi, je le ferai, n’en doutez pas un instant. »

    Je me suis détournée comme si j’avais du travail. J’ai lavé deux cruches qui n’avaient pas besoin d’être lavées, puis je leur ai demandé d’aller me chercher de l’eau. Je savais qu’ils avaient envie d’être seuls. Après leur départ, j’ai replacé la chaise contre le mur, et la table devant la chaise. Le temps était peut-être venu d’oublier l’homme que j’avais épousé, puisque je ne tarderais pas à le rejoindre, de toute façon. Peut-être fallait-il rendre cette chaise à son insignifiance, mais je le ferais un jour où ce ne serait plus un enjeu. Je romprais son pouvoir au moment que j’aurais moi-même choisi.

  • [Livre] Le sari vert

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    Résumé : Une brève rencontre amoureuse tandis que l'aube se lève sur la plage de Bombay, la paix d'un village chinois épargné par la guerre, des cendres qui vont se dispersant sur les flots du Gange l'impossible dialogue entre un soldat américain et une jeune coréenne, la nostalgie d'une vieille orientale perdue dans les rues de New York...

    De Pékin à Delhi, des Philippines à la Corée, - d'un récit à l'autre -, Pearl Buck nous livre les multiples visages de cette Asie qui n'a cessé d'occuper son esprit et son cœur depuis plus de trente ans et dont elle connaît comme personne les rites et les couleurs, les raffinements et la misère, la sagesse, la permanence...
    L'Orient pose encore à l'Occident de multiples énigmes. Pour les résoudre, Pearl Buck nous propose des clefs précieuses.

     

    Auteur : Pearl Buck

     

    Edition : J’ai lu

     

    Genre : Roman contemporain

     

    Date de parution : 1969

     

    Prix moyen : 8€

     

    Mon avis : Bien que classé par l’éditeur français en roman contemporain, il s’agit ici d’un recueil de nouvelles n’ayant aucun lien les unes avec les autres.
    D’ailleurs le titre français : « Le sari vert » n’est que le titre de l’une d’entre elle. En anglais, le titre était plus révélateur du contenu proposé dans ce livre puisqu’il s’intitule : « The Good Deed and Other Stories ». L’une des nouvelles s’intitulant « la bonne action » on comprenait aisément qu’il y avait là une compilation de petites histoires.
    Du coup, m’attendant à un roman, j’ai été un peu déçue de voir que ce n’était pas le cas.
    Les histoires sont sympathiques, mais sans plus. Je n’ai pas eu l’impression d’en apprendre plus que ce que les films et livres de fictions nous apprennent de la culture chinoise. J’attendais bien plus de Pearl Buck et d’un livre dont le quatrième de couverture dit : « L'Orient pose encore à l'Occident de multiples énigmes. Pour les résoudre, Pearl Buck nous propose des clefs précieuses. » Ces fameuses clefs, je les cherche encore.
    Même si chaque petite histoire est intéressante, je leur reproche un défaut commun : une fin en queue de poisson. A aucun moment je n’ai eu l’impression que ces histoires étaient finies tant leur chute est abrupte et appelle au moins une phrase de conclusion.
    La lecture n’est pas pénible, mais voilà un livre qui sera oublié aussi vite qu’il a été lu !

    Un extrait : Un jour, brusquement, Wu Lien décida de rentrer dans son pays. Depuis six ans qu'il habitait New York, il s'était fait à cette existence agréable où il menait librement sa vie privée et exposait ses aquarelles une fois par an dans une célèbre galerie d'art. Mais au fond de lui-même il s'avouait qu'il avait le mal du pays : il regrettait la Chine et spécialement Pékin où il avait fait la connaissance de la vie, au sortir de son village natal, Wu Chia Hsiang. A New York, il avait appris à apprécier les Américains, sans mal d'ailleurs car il les trouvait d'une gentillesse puérile, mais il avait des crises de nostalgie, surtout au printemps, obsédé par la pensée de Pékin avec ses grandes rues poussiéreuses, les bourgeons de grenade prêts à éclater et aussi le village natal des Wu, avec ses saules et ses cerisiers en fleurs.

    En tant qu'artiste, il refusait fermement de céder à cette nostalgie d'un pays maintenant gouverné par une puissance étrangère. Car il était persuadé que, chinois ou non, le communisme était une idéologie étrangère et il ne tenait pas à vivre sous sa coupe.

             Toutefois, il avait l'esprit trop pratique pour se leurrer : certains Chinois, sur le plan individuel, se trouveraient aussi à l'aise sous ce régime que des canards dans une mare. Même dans son village, il se rappelait un cousin au neuvième degré, dont le caractère tyrannique était modéré à grand-peine par le reste de la famille. Ce cousin, il en était sûr, serait le premier à se dresser pour combattre des êtres tels que lui, Wu Lien, c'est-à-dire des artistes qui ne cherchaient qu'à peindre leurs aquarelles en paix.

  • [Livre] Brooklyn

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    Résumé : Enniscorthy, sud-est de l’Irlande, années 1950. Comme de nombreux jeunes de sa génération, Eilis Lacey, diplôme de comptabilité en poche, ne parvient pas à trouver du travail. Par l’entremise d’un prêtre, sa sœur Rose obtient pour elle un emploi aux États-Unis. En poussant sa jeune sœur à partir, Rose se sacrifie : elle sera seule désormais pour s’occuper de leur mère veuve et aura peu de chance de se marier. Terrorisée à l’idée de quitter le cocon familial, mais contrainte de se plier à la décision de Rose, Eilis quitte l’Irlande. À Brooklyn, elle loue une chambre dans une pension de famille irlandaise et commence son existence américaine sous la surveillance insistante de la logeuse et des autres locataires…

     

    Auteur : Colm Toibin

     

    Edition : 10/18

     

    Genre : Roman contemporain

     

    Date de parution : 18 octobre 2012

     

    Prix moyen : 9€

     

    Mon avis : J’ai eu envie de lire ce livre depuis que j’ai vu la bande annonce pour son adaptation ciné. Oui oui, la bande annonce, je n’ai toujours pas vu le film (je voulais lire le livre avant).
    Brooklyn est un livre assez court d’à peu près 330 pages et, pendant la première moitié du roman, il ne se passe pour ainsi dire rien. On voit le quotidien de Eilis, depuis sa traversée en bateau et son arrivée à New York. On la voit aller au travail, rentrer dans sa pension irlandaise, aller à la paroisse… Le seul moment un peu plus intense dans cette première partie est quand elle nous fait une sorte de dépression, liée au mal du pays et que le prêtre lui déniche un cours du soir pour qu’elle soit assez occupée pour ne pas se dire que l’Irlande lui manque.
    Dans cette première partie, bien que l’écriture de l’auteur soit très belle, je n’ai rien retrouvé de ce qui m’a attirée dans la bande annonce. Ce dilemme auquel doit être confrontée Eilis, tiraillée entre Amérique et Irlande, entre Tony et Jim.
    Bien sûr, ça fini par arriver. Enfin Tony fini par arriver. Car entre son arrivée et les évènements auxquels on s’attend, il y a encore de longues pages o on le voit venir la chercher à la fin de son cours du jeudi, l’emmener au bal le vendredi, la sortir le samedi…
    Finalement, toute la tension qu’on ressent en voyant la bande annonce va avoir lieu en l’espace d’une cinquantaine de pages. Pourtant, on n’a pas l’impression que le déroulé de ces évènements est bâclé. J’ai une petite réserve sur la fin qui, bien qu’elle soit conforme à ce que j’espérais, aurait pu être un peu plus développée.
    Du coté des personnages, j’ai trouvé la famille d’Eilis extrêmement égoïste. Pas Rose, qui au contraire fait tout pour que sa sœur ait une vie meilleure, mais ses frères et sa mère. Après l’évènement qui va obliger Eilis à revenir voir sa mère en Irlande, aucun de ses frères ne prend contact avec elle, et quand l’un d’eux le fait, c’est pour la culpabiliser, pour s’assurer qu’elle va rentrer en Irlande et donc ne pas obliger l’un d’entre eux à rentrer d’Angleterre (le voyage est pourtant bien plus court). Quant à sa mère, quand sa fille revient la voir, elle ne lui pose aucune question sur sa vie en Amérique, comme si elle pouvait effacer le fait qu’elle y a envoyé sa fille. Elle fait comme si Eilis lui avait dit qu’elle revenait définitivement en Irlande, l’obligeant à différer son retour à Brooklyn, sans jamais se demander ce que veux sa fille. Elle ne pense qu’à son confort. Et ce n’est pas une question vitale, mais juste qu’elle ne veut pas vivre seule.
    Quant à Miss Kelly, la propriétaire de l’épicerie en Irlande et Mme Kahoe, la logeuse d’Eilis à Brooklyn, elles me font toutes les deux penser à Mme Oleson dans la petite maison dans la prairie : méchantes, se mêlant de tout, autoritaires, s’empressant d’aller diffuser la moindre petite information qu’elles croient détenir sur les gens qui les entourent…
    J’ai regretté qu’Eilis soit aussi timorée avec ces personnes, qu’elle ne s’impose pas plus en disant clairement ce qu’elle voulait faire.
    A certains moments, j’ai trouvé qu’elle agissait un peu en gamine gâtée, surtout concernant Tony qu’elle semble considérer comme importun quand elle n’a pas besoin de lui, et indispensable quand elle est désemparée.
    Je pense toutefois qu’elle a pris la bonne décision, même si son comportement avant qu’elle la prenne n’est pas toujours très glorieux et que se cacher derrière le fait qu’elle n’ose pas dire les choses telles qu’elles sont est un peu facile.
    Même si la première partie du roman est assez lente, j’ai apprécié ma lecture, j’ai beaucoup aimé découvrir la nouvelle vie d’Eilis et j’ai régit comme elle quand j’ai appris l’évènement qui bouleverse sa vie.

    Un extrait : Eilis connaissait Mlle Kelly de vue. Cependant, sa mère ne lui achetait rien car, disait-elle, c’était beaucoup trop cher. Et aussi, croyait savoir Eilis, elle ne l’appréciait guère. On disait de Mlle Kelly qu’elle vendait le meilleur jambon de la ville, le meilleur beurre et tout ce qu’il y avait de plus frais, y compris la crème, mais Eilis n’avait pas le souvenir d’être jamais entrée dans son magasin. Elle se contentait de jeter un regard vers l’intérieur, en passant, et apercevait alors Mlle Kelly debout derrière sa caisse.

    Mlle Kelly apparut en haut de l’escalier. Elle descendit lentement les marches et, une fois en bas, alluma le plafonnier.

    — Eh bien, dit-elle. Eh bien.

    Elle répéta la formule comme s’il s’agissait d’une salutation. Elle ne souriait pas.

    Eilis avait été sur le point de dire poliment qu’on l’avait envoyée chercher, mais que le moment était peut-être mal choisi. Elle se ravisa toutefois et ne dit rien, car l’attitude de Mlle Kelly suggérait que quelqu’un l’avait gravement offensée, et qu’elle la prenait par erreur pour cette personne.

    — Vous voilà donc, continua Mlle Kelly après un silence.

    Eilis remarqua que plusieurs parapluies noirs étaient rangés en appui contre la console de l’entrée.

    — On me dit que vous êtes sans travail, mais que vous vous y entendez bien, côté chiffres.

    — Ah ?

    — Vous savez, toutes les personnes respectables de cette ville fréquentent mon magasin, et je suis informée de tout ce qui se raconte.

    Eilis se demanda si c’était une allusion au fait que sa mère fréquentait une autre épicerie, mais elle n’en était pas sûre. Les verres épais des lunettes de Mlle Kelly rendaient son expression peu déchiffrable.

    — Et nous sommes débordées de travail le dimanche. Évidemment, personne d’autre n’est ouvert ce jour-là. Et il nous vient tout un tas de gens, des bons, des mauvais et certains qui ne sont ni l’un ni l’autre. En règle générale, j’ouvre après la messe de sept heures, et de la fin de la messe de neuf heures jusqu’à la fin de celle de onze, eh bien, on ne peut pas remuer une nageoire dans ma boutique. J’ai Mary pour m’aider, mais c’est un escargot, dans le meilleur des cas, alors je cherche quelqu’un d’intelligent, qui sache distinguer le bon grain de l’ivraie, parmi la clientèle, et leur rendre correctement leur monnaie. Mais attention: uniquement le dimanche. Le reste de la semaine, nous nous débrouillons. Vous m’avez été recommandée et je me suis renseignée sur votre compte. Ce serait sept shillings et six pence la semaine, ça pourrait aider un peu votre mère.

    Mlle Kelly parlait, pensa Eilis, comme si elle décrivait un tort qu’on lui aurait causé, en pinçant les lèvres à la fin de chaque phrase.

    — Voilà, je n’ai rien à ajouter. Vous pouvez commencer dimanche, mais passez demain, comme ça on vous fera mémoriser les prix et on vous montrera le fonctionnement de la balance et de la machine à trancher. Il faudra attacher vos cheveux et vous acheter une blouse correcte, chez Dan Bolger ou chez Burke O’Leary.

    Eilis, qui s’efforçait d’enregistrer intérieurement leur échange à l’intention de sa mère et de Rose, aurait voulu pouvoir répondre à Mlle Kelly, lui décocher une réplique futée qui ne soit pas ouvertement impertinente. En définitive, elle garda le silence.

    — Eh bien ? l’interrogea Mlle Kelly.

    Eilis avait compris qu’elle ne pouvait pas refuser. C’était mieux que rien et, pour le moment, elle n’avait rien.

  • [Livre] Pour vous servir

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    Résumé : C'est auprès d'un couple d'Écossais amateurs d'art, snobs en diable, dans une immense demeure du Luberon, que Françoise et son mari débutent « dans le milieu ». Le milieu : les très-riches ; le métier : gouvernante. Au gré des années, c'est autant de maisons et de personnalités qu'elle rencontre. Et c'est avec autant de malice que de discernement que Françoise va nous raconter comment elle a servi tout ce que l'Hexagone compte de riches et de puissants : aristocrates raffinés, rentière hystérique, prince arabe polygame, héritière intégriste, industriel survolté, sénateur épicurien... Ce faisant, elle nous livre les mésaventures réjouissantes et les psychodrames variés qui rythment le quotidien des grandes maisons, au salon et à l'office. Un roman sur les maîtres du monde et ceux qui les servent, aussi savoureux qu'instructif.

     

    Auteur : Véronique Mougin

     

    Edition : J’ai lu

     

    Genre : Roman contemporain

     

    Date de parution : 4 mai 2016

     

    Prix moyen : 8€

     

    Mon avis : Fiction ou témoignage indirect ? Difficile à dire. L’auteur n’est pas gouvernante mais journaliste et son livre est classé en roman contemporain et non en témoignage. Pour autant, difficile de croire qu’elle ait tout imaginé. Non pas que je doute de ses capacités à imaginer une histoire, mais, déformation professionnelle oblige, une journaliste aura tendance à vouloir faire passer un message dans ses livres.
    J’imagine les expériences et confidences de plusieurs gouvernantes réunies en une seule : Françoise.
    (Si l’auteur passe dans le coin et souhaite lever le mystère, qu’elle n’hésite pas !)
    Les manies des employeurs, si ridicules, font autant rire que leur comportement et leurs exigences font enrager (petite mention spéciale à ceux qui « virent » Françoise en fermant à clef la maison pendant qu’elle était allée faire les courses. A son retour, elle trouve donc la maison fermée et ses valises sur le palier… sa faute ? Avoir suscité l’affection des enfants, ce que tout l’argent du couple n’a pas réussi à faire).
    Les employeurs sont indescriptibles, plus méprisants (et méprisables) les uns que les autres. Finalement c’est le dernier, le vieux Mr Paquette, qui se révèle le plus adorable sous des dehors de vieux bouc.
    A la veille de prendre sa retraite, Françoise dresse un portrait sans concession de ses employeurs passés. Parfois on se demande si Véronique Mougin a forcé le trait, ou si elle a réuni chez un seul employeur les travers de plusieurs personnes, mais que chaque portrait soit celui de personnes précises ne me choquerait pas. De tout temps, l’argent et le pouvoir sur les autres ont tendance à rendre odieux. Certains le sont ouvertement, comme la vieille femme issue de la vieille aristocratie française, d’autre le sont sous couvert de bonté, plus souvent humiliante que réelle, d’autres enfin, semblent ne même pas se rendre compte de leur attitude (comme celle qui se plait à faire pousser des légumes mais refuse de manger quoi que ce soit qui ne viennent pas d’un traiteur luxueux et fait jeter sa récolte plutôt que de laisser ses employés profiter des légumes frais).
    La plume de Véronique Mougin est très agréable. Les « leçons » qui ponctue le livre sont à la fois drôles (par la manière dont elles sont rédigées) et affligeantes (pour leur contenu qui montre bien que les « très-riches » ne sont vraiment pas de la même planète).
    Quant à Françoise, si elle effectue ses tâches avec diligence, elle n’a pas l’intention de se laisser marcher sur les pieds et ne laisse pas ses patrons (trop) outrepasser leurs droits, même si, comme pour les forfaits téléphones, elle s’engage pour au moins un an.
    On a ici un roman qui est difficile à classer : ce n’est pas une comédie, même s’il y a des passages très drôles, ce n’est pas un document, pas un témoignage, pas de la chick lit… Je l’ai mis en roman contemporain, catégorie un peu bancale dans laquelle on a tendance à mettre tous ceux qu’on ne sait pas où coller. A moins de faire une catégorie : roman léger et sympa mais ayant un fond de critique de la société plus sérieux.

    Un extrait : - Françoise ? Françoise ? Françoiiiiiiiiiiiiiiiiiise !
    - Oui Madame ?

    - Mais où étiez-vous, enfin ?

    - Au sous-sol, madame.

    - C’est bien le moment ! Qu’arrive-t-il aux oranges pressées ?

    - Rien de spécial Madame…
    - Taisez-vous, il y a un goût. Il y a un goût, n’est-ce pas Douglas ?
    Douglas opina. Il y avait un goût.
    - Qu’avez-vous fait à ce jus, Françoise ?

    - J’ai fait exactement comme Madame m’a appr…
    - C’est impossible. Sentez. Vous sentez ? Goûtez ! Non, finalement ne goûtez pas.

    L’hérédité c’est important. Riche ou pauvre, personne n’échappe aux obsessions de ses ancêtres. Mes parents, par exemple, m’ont transmis la passion du classement. Il faut que je range, c’est ainsi, chaque chose à sa place. L’avènement du tri sélectif a mis toute ma corporation en transe, sauf moi.
    Rien ne le relaxe davantage que de séparer le carton du plastique, les torchons des serviettes, les cuillères des fourchettes. Il paraît qu’aujourd’hui les gens payent pour se détendre. Les stressés se précipitent au cours de yoga, au stage de méditation, au séminaire de sophrologie, au bout d’une heure leurs nerfs tournés se remettent d’équerre.
    J’ai de la chance, une bonne vaisselle me fait le même effet. Une fois que le fatras graisseux s’est transformé en piles propres et nettes, assiettes d’un côté, casseroles de l’autre, le monde tourne de nouveau sur son axe. Mon fils a sans doute hérité du gène : il groupait jadis ses Lego par couleur et maintenant ses chaussettes. Si tout va bien, ma petite-fille devrait rapidement exposer ses hochets par ordre croissant. Mes patrons, eux, ont tous la perfection dans le sang. Ce n’est pas de leur faute, c’est de famille. Je l’ai compris dès mes premiers, les Ecossais.
    Douglas et Elisabeth Mac Linley ne toléraient pas la médiocrité. Cela valait pour les oranges et pour le reste. Quand il s’agissait de « tirer les rideaux », il fallait entendre « au centimètre près », « chauffer l’eau de la piscine », c’était à 29° pile ; pas à 28 ni à 30. « Servir le café » ? Attention, le diable logeait dans cette consigne-là. Une fois passé, l’arabica grand cru d’Ethiopie devait être déposé sur la table quelques dizaine de secondes avant que les invités pénètrent dans le grand salon. Ni plus tôt, ni plus tard, pour qu’il soit encore chaud et qu’il ait eu le temps d’embaumer la pièce. Ainsi faisait-on chez les Mac Linley depuis longtemps, depuis toujours, peut-être même depuis que le café existait.
    Grâce à son vénérable ancêtre Donald qui s’était enrichi dans le charbon, Monsieur avait hérité d’une fortune vieille de trois siècles. Madame, elle, était la petite-fille d’un richissime marchand d’art londonien, descendant d’un orpailleur. Peu importe ce que leurs aïeux foraient, l’effet était le même : Douglas et Elizabeth n’avaient connu toute leur vie que valets tirés à quatre épingles, tapis de haute-laine et caviar béluga. Comme ces enfants de drogués qui naissent accros à la cocaïne, mes employeurs étaient des toxicomanes du sublime. La moindre rupture d’approvisionnement provoquait une terrible crise de manque.

    - D’où viennent ces oranges ? Dites-moi la vérité, Françoise.
    - Ce sont les mêmes qu’hier, Madame.
    - Arrêtez vos sornettes, il y a un goût d’ail dans ce jus, vous pouvez m’en croire.
    - J’ai bien émincé de l’ail, mais c’était mardi dernier, et j’ai lavé la planche deux fois depuis…
    - C’est donc cela !
    Le soulagement se lisait sur le visage d’Elisabeth Mac Linley.
    - Vous réserverez désormais une planche à découper aux oranges. Et ne me refaites jamais une telle plaisanterie, je vous prie.

  • [Livre] Phalène fantôme

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    Résumé : Belfast, 1969 : tension dans les rues, trouble dans les âmes. De loin, Katherine a tout d’une femme comblée. Trois petites filles, un bébé adorable, un mari valeureux, George, ingénieur et pompier volontaire. Seulement, Katherine a un passé... En 1949, chanteuse lyrique amateur, passionnée par son rôle de Carmen, elle fait la connaissance de Tom, jeune tailleur chargé de lui confectionner son costume de scène. Le coup de foudre est immédiat, mais elle est déjà fiancée à George et la double vie a un prix.

    Vingt ans après le drame qui a décidé de son destin, Katherine ne parvient plus à garder ses émotions sous cloche. Au moment où sa ville se déchire, où certains de ses voisins protestants la regardent d’un mauvais œil, où ses filles grandissent et se mettent à poser des questions, elle sent son corps la lâcher. Fatigue, douleur lancinante dans le dos, le verdict est implacable. Talonnée par le temps, Katherine doit affronter les zones d'ombre de son passé.

    Exploration de la mémoire, de l'enfance, de l'amour illicite et de la perte, Phalène fantôme dépeint des morceaux de vie ordinaire qui ouvrent sur de riches paysages intérieurs

     

    Auteur : Michèle Forbes

     

    Edition : Quai Voltaire

     

    Genre : Roman contemporain

     

    Date de parution : 07 janvier 2016

     

    Prix moyen : 21€

     

    Mon avis : J’ai été plutôt déçue par ce livre par rapport à ce que j’en attendais.
    Tout d’abord, les phalènes fantômes, citées par le titre, ne sont évoquées dans le roman qu’à deux reprises, et juste en passant, sans que ça n’ait une quelconque utilité pour l’histoire.
    Ensuite, en lisant le résumé, on se dit  que le personnage principal va apprendre une maladie au début du livre et se lancer dans une sorte de recherche du passé pour soulager sa conscience, or, plus de la moitié du livre passe sans qu’une quelconque maladie ne soit évoquée et quand cela est fait, on est presque sur la fin et cela ne donne guère de plus à l’histoire.
    On passe de 1949 à 1969, oscillant sans cesse entre les deux périodes sans qu’aucune des deux n’ait de force. En 1949 tout se fini en eau de boudin et en 1969 les troubles liés à la religion ne sont, encore une fois, que survolés. Il y a bien quelques altercations, mais rien qui ne se rapproche de ce qu’a vécu toute une communauté à l’époque.
    C’est plat, fade… On peine à trouver un intérêt à l’histoire de cette famille qui ne sert même pas de support à une histoire plus grande.
    Le livre se laisse lire, on n’a pas vraiment envie de l’abandonner, mais une fois la dernière page refermée, on n’en retiendra pas grand-chose.
    Il sera aussi éphémère dans nos souvenirs que les papillons de nuit qui lui ont donné son titre.

    Un extrait : Ce matin-là, George avait annoncé l’air de rien qu’il n’allait pas travailler : le service des Eaux lui devait une journée de congé. Bien qu’étonnée par cette spontanéité inhabituelle chez George, Katherine avait jugé opportun de préparer un pique-nique et d’emmener leurs filles Maureen, Elizabeth et Elza, ainsi que le petit Stephen, passer la journée à la plage de Groomsport. Après tout, les vacances d’été avaient commencé pour les filles et le temps magnifique semblait se maintenir.
    En début d’après-midi, les Bedford avaient déjà bien avancé ; ils avaient quitté leur maison dans l’est de Belfast, et leur Morris Traveller vert bouteille, traversant des paysages quelconques, s’acheminait tranquillement vers la ville de Groomsport, à une vingtaine de kilomètres. A part Bangor et le petit village de Ballyholme, il n’y avait à voir qu’une ferme de temps en temps, quelques grappes de bâtiments blanchis à la chaux par-ci par-là, et une ou deux églises abandonnées dont les murs de pierre écroulés présentaient depuis des lustres leurs intérieurs sacrés à des cieux différents.

  • [Livre] Au commencement du septième jour

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    Résumé : 4 h du matin, dans une belle maison à l’orée du bois de Vincennes, le téléphone sonne. Thomas, 37 ans, informaticien, père de deux jeunes enfants, apprend par un appel de la gendarmerie que sa femme vient d’avoir un très grave accident, sur une route où elle n’aurait pas dû se trouver.

    Commence une enquête sans répit alors que Camille lutte entre la vie et la mort. Puis une quête durant laquelle chacun des rôles qu’il incarne : époux, père, fils et frère devient un combat. Jour après jour, il découvre des secrets de famille qui sont autant d’abîmes sous ses pas.

    De Paris au Havre, des Pyrénées à l’Afrique noire, Thomas se trouve emporté par une course dans les tempêtes, une traversée des territoires intimes et des géographies lointaines.

    Un roman d’une ambition rare.

     

    Auteur : Luc Lang

     

    Edition : Stock

     

    Genre : Roman contemporain

     

    Date de parution : 24 août 2016

     

    Prix moyen : 22,50€

     

    Mon avis : Le titre était sibyllin, le quatrième de couverture, intriguant. Au final, je cherche encore la signification du titre et le quatrième de couverture n’a pas tenu les promesses qu’il nous a faite.
    A sa lecture, on imaginait une quête pour comprendre pourquoi Camille se trouvait là où elle était lors de son accident. Mais non, Camille, c’est le livre 1. Il n’en est plus question par la suite.
    On reste sur notre faim, on ne sait pas le fin mot de l’histoire.

    Trop de sujets se télescopent dans ce livre. J’aurais aimé aller au bout de l’histoire de Camille. A chaque fois qu’on passe à un autre livre, je ne trouve aucun lien avec le précédent qui nous laisse sans réponses. C’est comme si l’auteur avait écrit trois livres inachevés, qui multiplient les retours en arrière, les passages du rêve à la réalité, sans aucun marqueur nous permettant de nous y retrouver..

    Mais cette histoire, ou plutôt ces histoires décousues ne sont qu’un moindre mal dans un livre pesant.
    Ainsi l’auteur nous livre des pages entières de description qui non seulement ne nous apportent rien, mais alourdissent un texte déjà étouffant.
    En effet, dans ce livre, il n’y a aucune mise en page. On se trouve face à des pages et des pages de texte compact, écrit au kilomètre. Pas d’aération du texte, pas de chapitre, pas même de paragraphe (un paragraphe qui fait plus de trois pages, ce n’est plus un paragraphe).
    Il y a, certes, des dialogues, mais ils sont sans marqueurs, intégrés dans le texte (pas de tiret, pas même de retour à la ligne). On a du coup du mal à savoir qui parle, quand on réalise du premier coup qu’on est dans un dialogue.
    Le tout est étouffant, monotone.
    A tout cela s’ajoute des phrases parfois difficiles à comprendre, incomplètes.

    Pour résumer, je dirai que si ce livre était un discours, on reprocherait à l’auteur de s’écouter parler.
    L’histoire en elle-même était peut être intéressante. Je ne saurais le dire car elle est tellement noyée dans les descriptions, dans ce style étouffant et parfois pompeux, qu’on finit par l’occulter totalement et par n’en retirer aucun plaisir.
    Un livre qui ne restera ni dans ma mémoire, ni dans ma bibliothèque !


    Un extrait : … c’est elle qui raccroche ? Qui lui raccroche au… Il appuie fébrilement sur la touche rappel, mais c’est un numéro privé. Il essaye d’appeler son portable. Qui est éteint, il tombe de suite sur la messagerie. C’est mort, elle ne répondra plus. Pas ce soir, nom de Dieu, pas ce soir… Elsa vient de glisser la tête par la porte de sa chambre, sa longue chevelure bouclée submerge son visage : Vous vous êtes disputés ?… Mais non, ma puce, t’inquiète pas. Lorsqu’il songe maintenant à l’effondrement intérieur qu’il a soudain éprouvé, il se demande s’il avait alors l’intuition d’une dérobade aussi définitive. L’image qui s’impose à présent est plus minérale, plus narrative, celle d’un à-pic, il la tient encore par la main, elle se débat, suspendue dans le vide, il ne lâchera pas, mais l’épuisement gagne, leurs mains se dénouent, elle va disparaître dans l’abîme, il demeurera seul, musculairement coupable de n’avoir pu la hisser, coupable et vaincu. Quand elle rentre du Havre, chaque vendredi, après sa semaine de travail, elle est nerveusement à bout de forces. C’était plus sage de célébrer demain leurs dix ans de vie commune. Il la reprend chaque fois : de mariage. Mais elle éprouve une espèce de réticence à prononcer ce mot. Il la cloue au mur avec son regard : on est mariés, non ? C’est pourtant bien comme ça que… Ce vendredi soir, il a malgré tout acheté un saumon d’Écosse chez le traiteur, du riz pilaf et des petits légumes, mis au frais un graves blanc. Cela fait quatre vendredis qu’elle plante la famille après le travail en moins de sept semaines. Elle rentre donc le samedi en fin de matinée, lui-même a des dossiers à boucler, doit s’occuper d’Elsa et d’Anton, lui aussi il… Il est 19 h 34, elle sort à l’instant de l’entreprise Delta quelque chose, un gros marché, 250.000 euros, peut-être plus, sans parler de la maintenance, elle configure leur parc Internet-téléphonie, elle dirige une équipe d’ingénieurs et de concepteurs-développeurs, elle est responsable de la région Basse-Normandie et de la zone industrielle du Havre, elle occupe ce poste depuis dix-huit mois, une carrière en ascension géométrique, en sept ans de société Orange elle a doublé son revenu avec un intéressement aux marchés conquis, lui-même est impressionné par sa réussite, elle va bientôt gagner plus que lui qui pourtant… Si ça continue, ma chérie, pour moi c’est la reconversion : homme d’intérieur et père de famille. Ils en rient ensemble. Sinon que ses absences toute la semaine… Elle essaye de rentrer le mercredi en début d’après-midi pour voir les enfants, elle y parvient une fois sur deux, repart le jeudi matin à 6 h, trois heures de route. Jusqu’à présent le vendredi soir elle arrivait à la maison autour de 21 h 30 au plus tard. Mais là, on dirait qu’elle s’installe au Havre, lorsqu’elle est avec eux il la sent là-bas, elle n’est plus si attentive, si centrée sur leur vie de famille, elle est distraite, dans ses bras il pense tenir une ombre. Enfin, ce soir, elle devait rentrer, elle se devait de… Ça flotte entre eux, ça devient lâche, moins immédiat, le regard s’effrite, se dilue dans une zone invisible à l’autre, sont comme démagnétisés, ils dérivent, chacun emporté dans l’irrépressible courant de sa vie professionnelle, sans plus de force pour se baigner ensemble dans la même rivière, deviennent béants l’un face à l’autre. Ils ne parlent plus de faire ce troisième enfant. Ce soir, tout de même, elle se devait… Il a gravi l’escalier, se tient sur le palier de leurs chambres On mange dans cinq minutes ! D’accord, répond Anton qui joue avec ses figurines de chevaliers autour du château fort. Et maman ? demande Elsa qui lève la tête de son livre de pliages Elle rentre demain matin, elle est retenue… C’est dommage, glisse-t-elle, les yeux de nouveau happés par les images de son album. Il ne répond rien, il redescend, gagne la cuisine, enfourne le riz dans le micro-ondes, sort le saumon du frigo, la table est mise, il enlève le couvert de Camille, range les chandeliers, ce soir quand Elsa et Anton seraient couchés, il avait justement l’intention de lui évoquer ce troisième enfant Tu as 36 ans, ma chérie, moi 37, il est temps qu’on y songe. Et puis ce projet pourrait à nouveau les aimanter, combler le fossé. Il envisage qu’elle a peut-être un amant chez qui, ses vendredis soir, elle… Il traverse leur vaste chambre donnant sur le jardin, s’installe devant l’ordinateur de Camille, entre sur sa messagerie, parcourt ses mails, 457 non lus qu’elle doit ouvrir et consulter sur son smartphone, un nombre important de pubs, des échanges entre amis, collaborateurs, rien qui puisse éveiller le soupçon. Il va dans le dossier images, la regarde sur l’écran, une nappe est dépliée sous un cèdre, sa peau métis vibre dans le soleil, elle s’élance vers Anton qui trébuche. Dans cette photo-ci, elle tient leur fils alors âgé de 3 ans dans les bras, elle est grande, elle le regarde, ses yeux verts. Aigue-marine, elle dit. Elle est vive, malicieuse, elle manie les mots comme un maître de sabre Tu scannes tes doléances dans un fichier, on validera ensemble. Clac ! elle a raccroché.

     

  • [Livre] Le président

     

    Je remercie l'auteur et le site Librinova pour cette lecture

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    Résumé : L’élection de Donald Trump aux Etats-Unis, la décision du Royaume-Uni de sortir de l’Union Européenne, la victoire de François Fillon à la Primaire de la Droite et du Centre, puis le "Pénélope Gate", la montée d’Emmanuel Macron dans la course à l’Elysée ou le renoncement de François Hollande sont autant d’exemples récents qui semblent donner raison à cet adage. Dans ce contexte mouvant, ne peut-on pas imaginer un retour de Nicolas Sarkozy dans la course à l'élection Présidentielle de 2017, à l'aune d'événements peut-être pas si improbables que ça...

     

    Auteur : David Guinard

     

    Edition : Librinova

     

    Genre : Roman contemporain

     

    Date de parution : 14 février 2017

     

    Prix moyen : 14,90€

     

    Mon avis : J’ai classé ce livre en roman contemporain parce que je ne savais pas trop où le classer. On a un peu de doc fiction, un peu de thriller psychologique… difficile de ne le ranger que dans un seul genre.
    J’espère que l’auteur s’est renseigné sur la légalité de son livre : utiliser des personnes existantes dans un récit de fiction se basant sur des faits réels ne peut-il pas lui attirer des ennuis ? J’espère que non, ce serait dommage.
    Ce livre se lit vite et facilement tout en étant très pointu sur les notions de droit constitutionnel et de fonctionnement des institutions.
    J’ai trouvé très peu de coquilles, et on voit bien qu’il s’agit de coquilles, de fautes de frappes et pas de méconnaissance de la langue. Bien au contraire, d’ailleurs, car parfois l’auteur utilise des termes littéraires tels que mésaises ou commensaux. J’ai trouvé que ce changement de registre était dommage car cela cassait le rythme du récit.
    J’ai aussi regretté la vulgarité des personnages principaux. Il y a eu des moments ou je me suis demandé si leur vocabulaire ne se limitait pas à « niquer ».
    J’ai détesté le personnage principal, Sébastien. Tellement, qu’en comparaison Sarkozy m’a presque paru sympathique (j’ai dis presque). Tout m’a rebuté chez lui, de son tempérament à ses convictions politiques, mais le pire était certainement son arrogance. Tout le livre, j’ai espéré le voir se fracasser au sol, mais sur ce plan là, je suis restée sur ma faim. Rien d’étonnant, me direz vous, les politiques s’en sortent toujours…
    Les
    conspirationnistes diront que les faits relatés dans ce livre sont tout à fait plausibles, je préfère croire que les politiques ne sont pas pourris à ce point. Restons positif !
    Moi que la politique gonfle profondément, je ne me suis pas ennuyée une seconde avec cette lecture.
    La fin m’a d’abord frustrée (c’est le syndrome du lecteur qui veut des fins tranchées), mais avec le recul, je la trouve parfaite. Il n’y avait aucune autre fin possible !


    Un extrait : Les résultats sont tombés depuis plus de trois heures déjà, et pourtant Sébastien ne parvient pas à détacher son regard du bandeau qui trône en pied d’écran sur les quatre télévisions qui encadrent le salon. Non pas qu’il n’avait pas anticipé la défaite de Nicolas Sarkozy, les sondages la clamaient haut et fort depuis plus d’un an à mesure que Juppé s’imposait comme l’ultime recours, presque trans-partisan, à une France exsangue, mais pas ce soir, pas à l’issue d’un premier tour plaçant le collaborateur Fillon à plus de 40% des suffrages et dépossédant ainsi son candidat de son ultime baroud d’honneur.

    Intimement, il se rend compte, en dépit de ses dénégations prudentes de ces derniers jours, qu’il avait conservé au fond de lui-même un espoir en un renversement des tendances, en un nouveau coup de massue sur la tête des sondeurs, en un violent sursaut du peuple. L’élection de Trump quelques semaines auparavant flottait nécessairement en filigrane dans son inconscient, et même la remontée récente du croque-mort de la Sarthe dans les intentions de votes lui avait soufflé des calculs de report de voix ultra-cathos au second tour éventuellement propices à une victoire sur le fil.

    Fol espoir que le présentateur de BFM TV a douché ce soir avec une désinvolture qui fait insulte à leur engagement à tous. Sébastien ne parvient toujours pas à réaliser que Fillon a réuni deux fois plus de votants que l’ancien Président et s’ouvre ainsi, presque sans suspens, les portes de l’Elysée avec un programme à faire gerber tout individu doué de la raison la plus élémentaire. Que tout s’achève ainsi, ici, dans les coulisses d’une salle de conférence sans doute désormais désertée par les journalistes, lui semble si incongru, presque intolérable.

    Sébastien sirote distraitement son verre de cognac que Christophe, son acolyte de toujours, avait glissé dans son sac en quittant l’appartement qu’ils partagent rue de Tocqueville dans le XVIIème ce matin, afin de célébrer dignement – un Borderies XO de chez Camus, son préféré – la qualification de Nicolas Sarkozy au second tour des primaires de la droite et du centre, et qui achève, à cet instant, de noyer leur désarroi commun. Au moins l’amertume glisse-t-elle avec chaleur jusqu’au creux de sa gorge.

    — C’est fini, souffle la voix délicieusement éraillée de Nadia, derrière lui.

    Ça doit bien faire huit fois qu’elle répète ces trois mots, comme une punchline destinée à briser le sort, comme un appel au secours, comme un cri. Sébastien a envie de se retourner et de lui foutre deux baffes afin qu’elle se ressaisisse, un peu comme lorsqu’au moment de jouir, elle cherche à reprendre le contrôle de leurs mouvements corps contre corps, et qu’il lui inflige une dernière salve de ses reins afin de l’achever sans considération.

    Sébastien aime bien niquer avec elle, même s’il sait que depuis quelques semaines elle voyait aussi un mec du staff de Lemaire, on ne sait jamais, elle a raison de ménager ses arrières, surtout un soir comme celui-ci, mais Sébastien se dit que si l’alcool n’avait pas commencé à attaquer ses terminaisons nerveuses, il l’aurait bien attrapée par le bras et conduite jusque dans les chiottes du sous-sol afin de faire éclater sa frustration en son sein.

    — Peut-être pas.

     

  • [Livre] Les moissons funèbres

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    Résumé : En l’espace de quatre ans, cinq jeunes hommes noirs avec lesquels Jesmyn Ward a grandi sont morts dans des circonstances violentes.
    Ces décès n’avaient aucun lien entre eux si ce n’est le spectre puissant de la pauvreté et du racisme qui balise l’entrée dans l’âge adulte des jeunes hommes issus de la communauté africaine-américaine. Dans Les Moissons funèbres, livre devenu instantanément un classique de la littérature américaine, Jesmyn Ward raconte les difficultés rencontrées par la population rurale du Sud des États-Unis à laquelle elle appartient et porte tant d’affection.

     

    Auteur : Jesmyn Ward

     

    Edition : Globe

     

    Genre : Roman contemporain

     

    Date de parution : 28 septembre 2016

     

    Prix moyen : 22€

     

    Mon avis : L’écriture est assez fluide mais j’ai eu du mal à m’y retrouver dans les changements d’époque d’un chapitre sur l’autre. Je n’ai pas trouvé d’intérêt à cette méthode de narration, d’autant qu’elle n’arrête pas de faire allusion à des faits qu’elle ne nous a pas encore raconté.
    J’ai vraiment eu du mal à supporter l’invocation du racisme à tout propos.
    Par exemple, quand les enfants sont arrêtés pour avoir fait explosés des boites aux lettres, pour l’auteur c’est du racisme. Pour elle, ils ont été arrêtés parce qu’ils sont noirs et pas parce qu’ils ont commis un délit fédéral et risqué de blesser quelqu’un (imaginez que quelqu’un soit passé à coté des boîtes aux lettres au moment où elles explosaient).
    Ou encore, elle prétend que c’est parce qu’ils sont noirs que ses cousins ont du quitter l’école, puis quelques lignes plus loin, elle nous dit qu’ils restaient au fond de la classe en chantant et en faisant des bruitage pendant les heures de cours. Mais bien sûr, cela n’est pas la raison de leur éviction de l’école…
    Quant aux différentes morts qu’elle évoque, je n’arrive pas à trouver de lien entre le racisme et le destin, certes terrible, de ces jeunes gens.
    C’est vraiment un beau gâchis, mais j’ai eu le sentiment que ces jeunes hommes se laissaient sombrer face à une spirale de l’échec tandis que les femmes se doivent de se battre et de tenir le coup, ce que tout le monde trouve normal.
    L’auteur leur trouve toutes les excuses ce que j’ai trouvé très dérangeant.
    Je n’ai pas été convaincu par son histoire, je n’ai pas ressenti de compassion pour ces jeunes, pas autant que ce que j’aurais imaginé ressentir devant des gamins qui meurent à un âge pareil.

    Un extrait : Du plus loin qu’elles se souviennent, la plupart des familles noires de DeLisle – la mienne y compris – ont vécu dans des maisons qu’elles ont généralement construites de leurs propres mains. Ces maisons, simples bicoques tout en longueur, aux pièces en enfilade, ou bien en forme de chaumière, sont apparues par vagues ; les premières, celles des années 1930, ont été construites par nos arrière-grands-parents, les suivantes, dans les années 1950, par nos grands-parents, et les dernières, dans les années 1970 et 1980, sont celles de nos parents qui, eux, ont fait appel à des entreprises. Ces maisons modestes comportent trois ou quatre pièces, une allée en terre ou en gravier sur le devant et des clapiers à lapins et quelques pieds de vignes à l’arrière. Pauvres mais dignes. Il n’y a pas de logements sociaux à DeLisle et les seuls que Pass Christian comptait avant le passage de l’ouragan Katrina se résumaient à quelques bâtiments en brique rouge à un étage où vivaient des familles noires et vietnamiennes. Aujourd’hui, sept ans après Katrina, à l’endroit où se trouvaient ces logements sociaux, les promoteurs construisent des maisons de trois, quatre pièces perchées sur des pilotis de sept mètres de haut que viennent rapidement remplir des habitants chassés de chez eux par la tempête ou des jeunes de DeLisle et Pass Christian qui veulent continuer à vivre dans leur ville. Ce qui a été rendu impossible pendant plusieurs années, l’ouragan ayant rasé la plupart des maisons de Pass Christian et toutes celles de DeLisle dans la zone du bayou. Revenir à DeLisle en tant qu’adulte m’a été difficile pour cette raison, une raison bien concrète. Et puis il y a des raisons abstraites, aussi. Comme disait Joshua, quand nous courions, enfants, après les fantômes : « Y a quelqu’un qu’est mort, ici. » Entre 2000 et 2004, cinq jeunes hommes noirs avec lesquels j’avais grandi sont morts de mort violente, apparemment sans lien les unes avec les autres. Le premier fut mon frère, en octobre 2000. Le deuxième, Ronald, en décembre 2002. Le troisième, C. J., en janvier 2004. Puis Demond, en février 2004. Le dernier fut Roger, en juin  2004. C’est une liste brutale, par son caractère abrupt et implacable. Elle est sidérante. Elle m’a réduite au silence très longtemps, et raconter cette histoire est la chose la plus difficile que j’aie jamais entreprise. Mais mes fantômes ont été des êtres de chair et je ne peux pas l’oublier. Surtout quand j’arpente les rues de DeLisle, plus vides encore depuis le passage de Katrina et toutes ces morts. Au lieu de la musique de mon frère ou de mes copains, la seule chose que j’entends en marchant près du parc c’est le perroquet d’un de mes cousins, un perroquet angoissé qui crie si fort qu’on l’entend dans tout le quartier, cri d’enfant blessé provenant d’une cage si petite que la crête de l’oiseau en touche presque le plafond tandis que sa queue en balaie le sol. Parfois, quand le perroquet crie sa rage et son chagrin, je me demande pourquoi il règne par ailleurs un tel silence. Pourquoi toute notre colère et notre chagrin accumulés ne produisent que du silence. Ça ne va pas, il faut qu’une voix s’élève pour raconter cette histoire. « Je te dis, y a un fantôme, ici », disait Joshua. Parce que c’est mon histoire en même temps que celle de ces jeunes hommes disparus, parce que c’est l’histoire de ma famille en même temps que celle de notre communauté, elle ne peut se raconter de manière linéaire. Je dois partir de l’histoire de ma ville et de ma communauté pour ensuite revisiter chacune de ces vies perdues. Je le ferai en remontant le temps, depuis la mort de Roger jusqu’à celle de mon frère, en passant par celles de Demond, de C.  J. et de Ronald. Parallèlement, il me faut dévider l’histoire en descendant le fil du temps, aussi, entre les chapitres où mon frère et mes amis recommenceront à vivre, à parler, à respirer, l’espace de quelques pages dérisoires, je raconterai l’histoire de ma famille et celle de mon enfance. J’espère découvrir ainsi des choses sur nos vies à tous, si bien que, en arrivant au cœur du livre, là où mon récit à l’endroit et mon récit à l’envers se rencontreront autour de la disparition de mon frère, j’en saurai un peu plus sur cette épidémie, sur la façon dont le racisme, les inégalités sociales, l’absence de politique publique et les démissions personnelles se sont combinés pour engendrer cette situation pourrie. J’espère comprendre pourquoi mon frère est mort tandis que moi, je suis en vie, et pourquoi j’ai hérité de tout ce bordel.

     

  • [Livre] Chanson douce

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    Résumé : Lorsque Myriam, mère de deux jeunes enfants, décide malgré les réticences de son mari de reprendre son activité au sein d'un cabinet d'avocats, le couple se met à la recherche d'une nounou. Après un casting sévère, ils engagent Louise, qui conquiert très vite l'affection des enfants et occupe progressivement une place centrale dans le foyer. Peu à peu le piège de la dépendance mutuelle va se refermer, jusqu'au drame.

     

    Auteur : Leila Slimani

     

    Edition : Gallimard

     

    Genre : Roman contemporain

     

    Date de parution : 18 aout 2016

     

    Prix moyen : 18€

     

    Mon avis : Dès les premières pages, on prend connaissance du drame. Le but de ce livre va être de nous raconter comment on est arrivé à ce dénouement.
    Leila Slimani a une plume assez brutale, sans concession. Une plume qui peut parfois sembler un peu abrupte.
    On ne peut pas dire que je me sois attaché aux personnages. Mais c’est en partie ce qui fait la force de se roman. Ils sont pour la plupart antipathiques.
    Paul, qui voulait des enfants sans en avoir les responsabilités et qui déborde d’arrogance, Myriam qui ne semble jamais satisfaite de rien, Louise qui semble avoir de gros problèmes mentaux et même la petite Mila qui a une tendance un peu trop marquée à mon goût de se servir de ses dents à la moindre contrariété.
    Mais ils sont aussi pathétiques. Paul se bat contre une éducation qui ne l’a pas préparé à être un « patron », Myriam est partagée entre sa carrière qui est nécessaire à son équilibre et son amour pour ses enfants, Louise croule sous la solitude et les problèmes d’argent, et on se doute bien que Mila, telle une éponge, absorbe toute cette ambiance négative et la fait ressortir aux pointes de ses canines.
    Tout au long du livre, on attend une explosion, quelque chose, n’importe quoi, qui justifierais le passage à l’acte de Louise, mais rien. La tension monte, petit à petit, inexorablement.
    Bien sûr en tant que lecteur, on voit avec plus d’acuité que les personnages les dysfonctionnements. On voit Louise se rendre de plus en plus indispensable, on la voit s’insinuer dans la vie de la famille, débordant nettement du rôle de nounou pour lequel on l’a engagée. On la  voit également s’opposer, toute en résistance passive-agressive, à toutes les injonctions que peut lui donner Myriam qui ne sait clairement pas s’imposer. On voit également des bribes de son passé qui nous montre que ses réactions vis-à-vis de la famille ne sont pas quelque chose de nouveau. On ne peut s’empêcher de se poser la question : pourquoi personne, que ce soit des employeurs, son mari, ses connaissances, ne s’est rendu compte que cette femme avait de sérieux problèmes ?

    Même si j’ai eu le sentiment de voir Louise sombrer dans une sorte de folie au fil des pages, la fin abrupte du roman m’a surprise. Je ressors de ma lecture en ayant l’impression d’avoir été incapable de réellement cerner Louise.
    J’espérais une explication, peut-être à travers les conclusions de l’enquête de police, mais je suis restée sur ma faim.
    Pour autant, bien que cette lecture ait été déroutante, je comprends que ce livre ait remporté le prix Goncourt, car une fois commencé, il est impossible à lâcher !

    Un extrait : « Pas de sans-papiers, on est d’accord ? Pour la femme de ménage ou le peintre, ça ne me dérange pas. Il faut bien que ces gens travaillent, mais pour garder les petits, c’est trop dangereux. Je ne veux pas de quelqu’un qui aurait peur d’appeler la police ou d’aller à l’hôpital en cas de problème. Pour le reste, pas trop vieille, pas voilée et pas fumeuse. L’important, c’est qu’elle soit vive et disponible. Qu’elle bosse pour qu’on puisse bosser. » Paul a tout préparé. Il a établi une liste de questions et prévu trente minutes par entretien. Ils ont bloqué leur samedi après-midi pour trouver une nounou à leurs enfants.

            Quelques jours auparavant, alors que Myriam discutait de ses recherches avec son amie Emma, celle-ci s’est plainte de la femme qui gardait ses garçons. « La nounou a deux fils ici, du coup elle ne peut jamais rester plus tard ou faire des baby-sittings. Ce n’est vraiment pas pratique. Penses-y quand tu feras tes entretiens. Si elle a des enfants, il vaut mieux qu’ils soient au pays. » Myriam avait remercié pour le conseil. Mais, en réalité, le discours d’Emma l’avait gênée. Si un employeur avait parlé d’elle ou d’une autre de leurs amies de cette manière, elles auraient hurlé à la discrimination. Elle trouvait terrible l’idée d’évincer une femme parce qu’elle a des enfants. Elle préfère ne pas soulever le sujet avec Paul. Son mari est comme Emma. Un pragmatique, qui place sa famille et sa carrière avant tout.

            Ce matin, ils ont fait le marché en famille, tous les quatre. Mila sur les épaules de Paul, et Adam endormi dans sa poussette. Ils ont acheté des fleurs et maintenant ils rangent l’appartement. Ils ont envie de faire bonne figure devant les nounous qui vont défiler. Ils rassemblent les livres et les magazines qui traînent sur le sol, sous leur lit et jusque dans la salle de bains. Paul demande à Mila de ranger ses jouets dans de grands bacs en plastique. La petite fille refuse en pleurnichant, et c’est lui qui finit par les empiler contre le mur. Ils plient les vêtements des petits, changent les draps des lits. Ils nettoient, jettent, cherchent désespérément à aérer cet appartement où ils étouffent. Ils voudraient qu’elles voient qu’ils sont des gens bien, des gens sérieux et ordonnés qui tentent d’offrir à leurs enfants ce qu’il y a de meilleur. Qu’elles comprennent qu’ils sont les patrons.

     

  • [Livre] Pavillon de femmes

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    Résumé : Dans la Chine d'autrefois, le seul rôle dévolu aux femmes de riches était celui d'épouse et de mère. Ce rôle, la fine et intelligente Ailien Wu ne le supporte plus. Pour y échapper, elle se servira très adroitement des traditions, celles-là mêmes qui l'avaient liée pendant si longtemps.

     

    Auteur : Pearl Buck

     

    Edition : Le Livre de Poche

     

    Genre : roman contemporain

     

    Date de parution : 1966

     

    Prix moyen : 7,10€

     

    Mon avis : J’ai bien aimé ce livre malgré de nombreuses longueurs surtout au début.
    J’ai trouvé qu’on présentait un peu trop Mme Wu comme la femme parfaite alors qu’elle est extrêmement manipulatrice. D’ailleurs, elle ne se retire pas de la vie de couple parce qu’elle étouffe mais parce que, dans la tradition, c’est une honte de concevoir après 40 ans. D’ailleurs elle ne cache pas son mépris pour celles qui ont des enfants passé cet âge.
    Malgré le fait qu’elle se « retire », elle entend bien continuer à mener la maison à la baguette. Et elle ne s’en prive pas, son époux étant de nature faible et se laissant toujours convaincre sans même se rendre compte qu’il laisse les rênes de la maison à son épouse.
    Puis, pour pouvoir marier son troisième fils, et toujours dans un soucis de manipulation pour lui imposer la femme qu’elle souhaite le voir épouser tout en lui donnant l’impression d’être libre de son choix, elle va engager un prêtre étranger pour enseigner l’anglais à son fils.
    Au contact de cet homme, elle va prendre conscience des erreurs qu’elle a commise au nom de la tradition.
    Malgré sa difficulté à comprendre la façon de voir occidentale, elle va se détacher un peu de la pure tradition et comprendre que la Chine est à un tournant de son histoire où vont se mêler traditions ancestrales et modernités. Elle prend conscience que la jeune génération ne veut plus de ce carcans de règles d’un autre âge et que les choses vont évoluer.
    La maison Wu s’accommodait très bien des traditions, y compris la jeune génération, bon gré, mal gré, jusqu’à ce que Mme Wu, ayant décidé de se retirer dans le pavillon où vivait son défunt beau-père et donc de ne plus avoir de relation sexuelle avec son mari, décide de trouver pour celui-ci une concubine. Le mari proteste mollement (mais bon, on lui propose d’introduire dans son lit une jeune fille de la moitié de son âge, il ne va pas résister bien longtemps), la belle-mère proteste avec un peu plus de véhémence mais devant la pancarte de la tradition brandie bien haut, elle s’incline assez vite. En revanche les trois premiers fils, (le quatrième étant trop jeune pour bien comprendre ce qui se trame) et surtout les épouses des deux premiers (est-ce que ça ne risque pas de donner des idées à leurs maris) s’offusquent. Mais Mme Wu reste inflexible. Elle considère l’amour (peut-être parce qu’elle n’a jamais aimé) comme quelque chose d’avilissant et méprise ouvertement son amie, Mme Kang, qui aime profondément son mari.
    C’est l’introduction de cette concubine, appelé seconde épouse, qui va faire comprendre au second et au troisième fils qu’ils ne veulent pas vivre ainsi, englués dans les traditions, et que, sans les jeter aux orties pour autant, ils veulent s’en libérer peu à peu.
    Malgré son inflexibilité du début, qui continue tout au long du roman sur de nombreux points, Mme Wu a la capacité de se remettre en question et d’admettre qu’elle a pu faire des erreurs, ce qui, dans les familles aristocratiques de la chine des années 30 est assez exceptionnel.

    Un extrait : C’était son quarantième anniversaire. Madame Wu, devant le miroir incliné de sa coiffeuse, examinait son calme visage. Elle le comparait à celui qui lui était apparu dans ce même miroir quand elle avait seize ans. Ce jour-là, elle s’était levée de son lit de noces de bonne heure, car elle avait toujours été matineuse ; enfilant sa nouvelle robe de chambre, elle était venue dans cette même pièce s’asseoir devant la coiffeuse. De son air paisible, facilement impassible, elle avait regardé ses traits.
    « Comment se peut-il que ce soient les même qu’hier ? » s’était-elle demandé ce premier matin là, après son mariage.

    Elle les avait inspectés minutieusement : large front bas, dépouillé depuis la veille de sa frange de jeune fille, yeux en amande, nez délicat, et l’ovale des joues, le menton et la petite bouche rouge, très rouge ce matin là. Ying, sa nouvelle bonne, était entrée à la hâte.
    « Oh ! Mademoiselle, oh ! Madame, avait-elle balbutié, je ne croyais pas que, ce matin, vous seriez levée de si bonne heure ? »

    Les joues de Ying étaient toutes rougissantes.
    Celles de sa maîtresse gardaient, au dessus des lèvres rouges, la même blancheur de perle que de coutume.
    « J’aime à me lever de bonne heure », répondit-elle de sa voix douce, cette voix que, dans la nuit, le jeune homme, jusqu’alors inconnu d’elle, comparait à celle d’un oiseau chanteur.
    … A ce moment, vingt-quatre ans plus tard, Ying parut deviner les pensées de Madame Wu ; ses mains actives derrières la lourde chaise de bois enroulaient les coques de cheveux noirs, raides et lisses, mais elle les avait coiffés si souvent qu’elle pouvait détourner les yeux de son travail et regarder le beau visage dans la glace.
    « Madame, dit-elle, vous n’avez pas changé pendant ces vingt-quatre ans.
    - Vous songiez à ce matin là, vous aussi » répondit Madame Wu.
    Elle rencontra avec affection le regard de Ying dans la glace. Ying s’étaient épaissie après vingt ans de mariage avec le cuisinier en chef, mais Madame Wu restait plus svelte que jamais.