Un remake de Raison et Sentiments à l'époque moderne
Je remercie les éditions Artalys pour cette lecture
Résumé : Après le décès de leur père, Isobel et Helen Westlake sont forcées d’abandonner la demeure dans laquelle elles ont grandi et déménagent à Chester dans le nord de l’Angleterre. Tandis qu’Isobel entretient une relation amicale avec Adam, tout en tentant de mener sa carrière et de veiller sur sa cadette, Helen fait la connaissance du flamboyant Oliver Vane… Amour, frustration et surtout vérités cachées sont au rendez-vous de cette réécriture moderne de « Raison et sentiments » de Jane Austen.
Auteur : Jess Swann
Edition : Artalys
Genre : Romance
Date de parution : 14 février 2014
Prix moyen : 19,80€
Mon avis : Comment deux livres peuvent-ils être à la fois si semblables et si différents ? Tout y est le frère et la belle-sœur qui ne pensent qu’à l’argent et qui les jettent hors de chez elles, l’amoureux qui se voit obligé de rompre par honneur, la vieille matriarche imbuvable, les voisins excentriques et envahissants ne connaissant aucune limite et aucune discrétion, le tombeur, l’ami réservé…
Et bien sûr les deux sœurs, Isobel la sage et réservée (Elinor dans le roman de Jane Austen) et Helen, impulsive et passionnée (Marianne).
Au fil de ma lecture, j’ai retrouvé tous les éléments de « raisons et sentiments » sans que ce soit tout à fait les mêmes. L’auteur a réussi à reprendre quasiment d’un bout à l’autre le roman de Jane Austen et à lui donner une toute autre saveur en l’adaptant à notre époque. La technologie, des convenances différentes, cela n’a l’air de rien, mais change tout l’environnement de l’histoire.
La mère et la sœur cadette du roman original ont été supprimées (elles ne faisaient que de la figuration de toute façon). La sœur aînée, Isobel, travaille, tandis que la cadette, Helen va à la fac.
Là où Elinor et Marianne étaient bien contentes d’avoir des gens « respectables » à rencontrer et chez qui se rendre, Isobel regrette cette routine qui s’installe et aimerait sortir, rencontrer des gens, visiter des expositions, toutes choses qui auraient été impensables pour une jeune fille célibataire du 19ème siècle sans chaperon.
Jess Swann a su adapter l’univers de Jane Austen à l’évolution des mœurs tout en gardant un coté guindé pour ceux issus de la « haute société » ou qui croient l’être simplement parce qu’ils ont une certaine fortune.
Bien que je n’en aie pas encore lu, je sais que les romans de Jane Austen sont une véritable manne pour la folie de la réadaptation et réécriture de romans. J’ai vu passer une flopée de titres de cet auteur, légèrement modifiés et intégrant de nouveaux éléments (comme des zombies pour l’un d’eux me semble-t-il). Je n’ai jamais accroché avec l’idée, me disant que c’était ni plus, ni moins que du plagiat avec l’ajout d’un élément pour avoir l’air original.
Mais j’ai été agréablement surprise par cette lecture. Le travail pour transposer toute cette histoire à notre époque (avec règles de succession modernes, règles des parts dans les sociétés) a été admirablement conduit.
Le frère d’Isobel et Helen est plus présent que dans le roman original. Mais là où, dans « raison et sentiments » il n’est qu’un faible, qui n’ose pas « désobéir » à sa rapace de femme, au fil de « constance et séduction » on voit bien qu’il n’a rien à envier à son épouse, il est tout aussi pingre, hypocrite et mesquin qu’elle.
Ce livre m’a réconciliée avec le genre et peut être que je tenterai de lire d’autres adaptations modernes ou fantasy des romans de Jane Austen en espérant qu’ils auront la même qualité que celui-ci.
Un extrait : Le lendemain, Helen allait un peu mieux. Le fait de retrouver le cadre familier de notre maison y était sans doute pour beaucoup et je me réjouis de la voir manger avec appétit. À vingt ans, elle était trop jeune pour déprimer bien longtemps. Lauren et Lowell nous rejoignirent dans la salle à manger. Une angoisse sourde monta en moi devant la mine piteuse de notre frère et l’air triomphant de sa femme.
« Isobel, Helen, quand vous aurez terminé votre petit-déjeuner, j’aimerais vous parler de l’avenir, déclara pompeusement Lowell.
— Déjà ! s’exclama Helen. Mais, on vient à peine d’enterrer papa », acheva-t-elle d’une voix misérable.
Je lui pressai la main tandis que Lauren lui lançait un regard glacial.
« Nous avons des dispositions à prendre, Helen. De plus, Isobel et toi, vous n’êtes plus des petites filles et il serait temps que vous commenciez à agir en adultes. »
Les épaules d’Helen se raidirent et j’intervins précipitamment pour ne pas laisser ma sœur répondre avec son impulsivité coutumière.
« Tu as raison, Lauren. Plus vite nous aurons cette conversation, mieux ce sera. »
Ma belle-sœur secoua ses cheveux éclaircis à grands renforts de teinture et m’adressa un regard aussi bleu que froid.
« Nous vous attendrons dans la bibliothèque. »
Je me contentai de hocher la tête tandis qu’ils nous laissaient seules.
Helen me regarda d’un air furibond.
« Pour qui elle se prend ? De quel droit nous donne-t-elle des ordres dans notre propre maison ? »
Je m’efforçai de la calmer et lui masquai mes propres inquiétudes. Notre maison était en fait celle de la première femme de papa et, au vu du sourire de Lauren, je commençai à appréhender sérieusement la conversation que nous allions avoir.
Lorsque nous rejoignîmes Lowell et Lauren dans la bibliothèque, ils étaient en pleine conversation et j’eus à peine le temps de saisir les derniers mots de ma belle-sœur : « Allons, c’est beaucoup trop, pense à notre petit Eddie », avant qu’elle ne s’aperçoive de notre présence. Je les regardais avec circonspection tandis qu’Helen, imperméable à tout ce qui n’était pas notre chagrin commun, se laissait tomber dans le fauteuil le plus proche.
« Tu t’es assis à la place de papa », gronda-t-elle Lowell.
Notre frère ébaucha le geste de se lever avant de se raviser. À la place, il se tourna vers sa femme.
« Va installer Edward devant la télé puis rejoins-nous, chérie. »
Lauren et notre neveu sortis, un silence lourd s’installa. J’en profitai pour observer cet étranger qu’était notre demi-frère.
Les années n’avaient pas été clémentes avec lui. Le jeune homme élancé de mes souvenirs avait été remplacé par un homme à la taille épaissie et à l’expression sérieuse dans lequel je peinai à trouver un air de famille. Son embarras était palpable, ce qui me fit redouter d’autant plus la conversation qui allait suivre. Lauren nous rejoignit enfin et, après s’être inutilement éclairci la gorge, Lowell prit la parole d’un ton pompeux :
« Comme vous le savez toutes les deux, j’ai pu prendre connaissance hier du testament de notre père et…
— Quelle importance, le testament ! le coupa Helen. Nous avons bien le temps de penser à ces choses-là ! Papa vient à peine de nous quitter…
— Ce n’est pas une raison pour ne rien faire », la reprit sans douceur Lauren.
Je me tournai vers notre frère et intervint avec calme :
« Lauren a raison. Continue, Lowell. »
Il m’adressa un coup d’œil de gratitude puis reprit :
« Comme vous le savez, cette maison ainsi que Westlake Agro appartenaient à ma mère. Papa a gardé l’usufruit de la maison et s’est chargé de l’entreprise après sa mort, mais il a toujours été entendu que tout ceci reviendrait un jour à ses héritiers. »
Mon angoisse augmenta.
« Je ne comprends pas, Lowell, intervint Helen d’une voix aigüe. Qu’est-ce que tu veux dire ? »
Notre frère baissa les yeux et Lauren intervint :
« C’est simple : cette maison, ainsi que l’entreprise familiale, sont désormais la propriété de Lowell, nous asséna-t-elle sans la moindre douceur.
— Bien entendu, vous pouvez rester ici jusqu’à la fin de l’été, précisa notre frère. Je pense que les six prochaines semaines vous suffiront pour trouver un nouveau logement. »
Mon cœur s’alourdit à la pensée qu’ils venaient bel et bien de nous jeter dehors et je me forçai à répondre d’une voix ferme :
« En effet, c’est tout à fait faisable. »
Lauren m’adressa un petit sourire supérieur tandis qu’Helen protestait :
« Mais… Nous avons toujours vécu ici !
— Et vous avez largement profité de l’héritage de la mère de Lowell, rétorqua Lauren.
— Nous aimerions pouvoir vous garder près de nous, tempéra notre frère à nouveau. Mais c’est impossible. Nous avons prévu de nombreux travaux dans la maison et le bruit des ouvriers n’est pas l’idéal pour étudier, Helen. »
Sa tentative tomba à plat et il reprit au bout d’un long silence :
« Par ailleurs, vous n’êtes pas sans ressources. Papa a contracté une assurance vie à votre bénéfice, ce qui vous donnera de quoi subvenir à vos besoins comme vous pouvez le voir sur ce document », annonça-t-il en poussant une enveloppe vers nous.
Helen détourna la tête avec une grimace horrifiée, quant à moi, je me refusai à en prendre connaissance devant eux. Lowell attendit quelques instants puis, voyant qu’aucune de nous ne paraissait décidée à l’ouvrir, il continua :
« Je sais que c’est un grand bouleversement pour vous et j’aimerais pouvoir vous aider plus mais, malheureusement, la situation de l’entreprise est difficile et je ne suis pas en mesure de vous assister financièrement. »
Lowell se tourna vers moi, le regard fuyant.
« Isobel, je sais que papa t’avait promis une place dans la société mais pour l’instant, notre équipe de juriste est au complet.
— Je comprends », lui assurai-je par automatisme.
Une expression soulagée sur le visage, notre frère se redressa légèrement.
« N’hésitez pas à me demander conseil ou de l’aide pour votre déménagement. Je ferai mon possible pour vous faciliter les choses. Après tout, vous êtes mes petites sœurs », finit-il avec un sourire.
Estomaquée, je ne trouvai rien à répondre. Lauren reprit alors la parole :
« Ne vous en faites pas. Comme vient de vous l’expliquer Lowell, votre père a été très généreux en faisant de vous les deux seules bénéficiaires de son assurance vie, déclara-t-elle avec une pointe d’acidité avant de se tourner vers moi. Isobel, si ça ne te dérange pas trop, on aimerait que tu libères ta chambre. Eddie la veut et on souhaiterait commencer les travaux le plus rapidement possible pour qu’il puisse s’y installer. Tu peux mettre tes affaires dans une des chambres d’amis en attendant. »
Helen écarquilla les yeux mais je ne lui laissai pas le temps de protester. Lowell et Lauren étaient chez eux désormais et, comme je devrais de toute manière déménager, il était inutile d’envenimer la situation.
« Je m’en occupe très vite. »
Ma belle-sœur m’adressa un regard méprisant.
« Autant faire ça aujourd’hui, la femme de ménage va t’aider. »
Je n’arrivai pas à le croire. Comment Lowell pouvait-il la laisser agir ainsi après avoir promis à papa sur son lit d’hôpital qu’il veillerait sur nous ? Je cherchai à croiser les yeux de mon frère mais il évita mon regard.
« Si ça ne te dérange pas trop, Isobel, ce serait gentil de ta part… Eddie adore la vue que tu as. »
O.K., inutile de chercher de l’aide dans cette direction. Je m’en doutais déjà mais cela ne faisait que confirmer. Mes yeux s’embuèrent à la pensée de devoir abandonner la chambre dans laquelle j’avais grandi mais je me raisonnai : après tout, j’avais vingt-cinq ans et il était temps que je trace mon propre chemin.