Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèque. La liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
Le principe est de, chaque semaine, vous faire découvrir un livre en vous en livrant les premières lignes.
Cette semaine, je vous présente Rouge toxic de Morgane Caussarieu
La violence de mon extase m’avait fait tomber à genoux, entraînant ma proie dans la chute. Mes dents malmenèrent la plaie en se retirant, produisant un bruit de papier qu’on déchire. D’une langue vorace, je léchai le fluide qui tachait encore mes lèvres puis contemplai avec fascination les trous béants dans la gorge du SDF. Mes pores gorgés de vie s’ouvraient, le sang murmurait dans mon cerveau, irriguant mes muscles d’une pluie d’étincelles.
Derrière moi, des talons hauts claquèrent sur le bitume, perturbant cette douceur cotonneuse qui succédait chaque fois au meurtre. Mes sens engourdis par le plaisir protestèrent mais finirent par se focaliser sur l’intruse.
Au rythme de la démarche assurée et au parfum, j’en déduisis que ce n’était pas l’une des prostituées qui pullulaient dans le quartier, mais une femme grande et mince, la trentaine. Chic. Une femme qui n’avait rien à faire dans cette ruelle sordide du Tenderloin.
« Faruk ? » appela-t-elle.
Je me relevai lentement et me retournai pour l’examiner.
Une blonde, beauté froide.
« Faruk », répéta-t-elle de sa voix rauque.
Je lui adressai mon sourire le plus inquiétant, et m’approchai à pas de fauve.
Elle ne recula pas. Son odeur et son expression ne trahissaient aucune peur. Pourtant, elle avait aperçu le cadavre. Peut-être même avait-elle assisté à la mise à mort. Désolé, chaton, je ne dois laisser aucun témoin.
« Vous devez vous tromper, lui dis-je avec douceur, mon nom est Jamie.
— Non, vous êtes bien Faruk. Ou vous l’étiez. Vous êtes devenu Jamie dans les années 1950, et vous n’avez pas changé de prénom depuis. »
Elle était certaine de ce qu’elle avançait, la diablesse, je pouvais le lire en elle. Mais le nom « Faruk » ne m’évoquait qu’une image floue qui peinait à se préciser : celle d’un garçon dans le désert, coincé sous un cheval mort.
Elle s’alluma une cigarette ; ses doigts ne tremblaient pas.
« Vous n’êtes pas effrayée, alors que vous savez ce que je suis, constatai-je. Pourquoi ?
— Je sais que vous êtes une créature raisonnable, Faruk. Plus que la plupart de vos congénères, en tout cas. Je suis venue vous proposer un marché.
— La seule chose qui m’intéresse, chaton, c’est vous. Ou plutôt votre sang. »
Je franchis les derniers pas qui nous séparaient et fis glisser ses cheveux derrière son épaule, pour dégager son cou. J’entendis son cœur accélérer ses battements.
« Vous avez peur maintenant. Vous êtes moins sotte que vous ne le laissez supposer. C’est bien, vous avez raison d’avoir peur. »
D’un ongle pointu, je traçai le chemin de la belle carotide qui pulsait si régulièrement sous la peau. Tout son corps se couvrit de chair de poule. Elle était un peu plus grande que moi – je ne terminerais jamais ma croissance. Si l’on m’avait laissé atteindre ne serait-ce que mes seize ans, peut-être l’aurais-je dépassée d’une tête ?
« J’ai été chargée de venir à vous, dit-elle dans un souffle précipité. Nous avons besoin de votre aide… En échange, nous avons quelque chose susceptible de vous plaire.
— Et qu’est-ce qui pourrait me plaire plus en cet instant que de vous goûter ? »
J’attrapai sa gorge dans ma main et serrai. Elle se mit à suffoquer, terrorisée, cette fois.
« Nous pouvons vous aider à le retrouver. Celui que vous avez perdu. Votre créateur. Votre Père ! »
Alors, tentés?