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Premières lignes #65

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Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
Le principe est de, chaque semaine, vous faire découvrir un livre en vous en livrant les premières lignes.
Pour ma part, j’ai décidé de vous faire découvrir mes coups de cœurs !

 

Cette semaine, je vous présente Je sais où tu es de Claire Kendall dont vous pouvez lire ma chronique ICI

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Lundi 2 février, 7 h 45

C’est toi. Bien sûr. C’est toujours toi. Quelqu’un me rattrape et quand je me retourne, c’est toi que je vois. Je savais que ce serait toi, et pourtant je perds l’équilibre sur la neige gelée. Je me relève en titubant. Il y a des cercles humides sur mes collants au niveau des genoux. L’humidité transperce mes mitaines.
N’importe quelle personne sensée resterait chez elle par un froid aussi glacial, à supposer qu’elle ait le choix. Mais pas toi. Tu es sorti faire un petit tour. Tu tends le bras pour m’aider à retrouver mon équilibre, tu me demandes si ça va. Je m’écarte en me débrouillant pour rester stable sur mes deux pieds.
Je sais que tu m’espionnes sans doute depuis que je suis sortie de chez moi. Je ne peux pas m’empêcher de te demander ce que tu fais ici, même si je sais que tu ne me donneras pas la vraie raison.
Tes paupières cillent, comme l’autre fois. Signe de nervosité chez toi. « Je me promenais, Clarissa, tout simplement. » Tu vis dans un village à huit kilomètres d’ici, mais peu importe. Tes lèvres blanchissent. Tu les mords, comme si tu devinais qu’elles ont perdu leur peu de couleur et que tu essayais de faire affluer le sang. « C’était bizarre, cette manière de te comporter vendredi au boulot, Clarissa. De quitter la salle de conférence subitement. On s’est tous dit la même chose. »
Cette façon que tu as de répéter mon prénom, ça me donne envie de crier. Le tien est devenu laid pour moi. J’essaie de l’empêcher d’entrer dans ma tête, comme si cela allait miraculeusement t’empêcher toi d’entrer dans ma vie. Mais il revient à pas de loup. Il s’impose. Exactement comme toi. À chaque fois.
Deuxième personne. Singulier. Présent. Voilà ce que tu es. Dans tous les sens possibles.
Mon silence ne te décourage pas. « Tu n’as pas décroché de tout le week-end. Tu n’as répondu qu’à un seul de mes textos, et encore, de façon guère aimable. Qu’est-ce que tu fais dehors par un froid pareil, Clarissa ? »
Je ne vois pas plus loin que l’instant présent. Je dois me débarrasser de toi. T’empêcher de me suivre jusqu’à la gare et de deviner où je vais. Si je t’ignore, ça ne me mènera à rien, là, maintenant ; dans la vraie vie, les conseils qu’ils donnent dans leurs brochures ne marchent pas. Je doute de trouver quoi que ce soit qui marche avec toi.
« Je suis malade. » Mensonge. « C’est pour ça que je suis partie vendredi. Il faut que je sois chez le médecin avant huit heures. »
« Tu es la seule femme de ma connaissance à être jolie même malade. »
Je commence pour de vrai à me sentir mal. « J’ai de la fièvre. J’ai vomi toute la nuit. »
Tu approches la main de ma joue, comme pour vérifier ma température. J’ai un brusque mouvement de recul.
« Je t’accompagne. » Ta main est restée en l’air, rappel maladroit de ton geste déplacé. « Tu ne devrais pas rester seule. » Tu ponctues ta phrase en laissant retomber ta main lourdement.
« Je ne veux pas que tu attrapes ce que j’ai. » Malgré ce que je viens de dire, je crois avoir conservé un ton calme.
« Laisse-moi prendre soin de toi, Clarissa. Il gèle – tu ne devrais pas être dehors par ce froid avec tes cheveux mouillés – tu vas attraper mal. » Tu sors ton portable. « J’appelle un taxi. »
De nouveau tu m’as coincée. Avec la barrière métallique noire derrière moi je ne peux pas reculer davantage. Je risquerais de glisser dessous – et la route est à un mètre en contrebas. Je fais un pas sur le côté, me repositionne, mais malgré cela, tu m’écrases. Tu as l’air tellement imposant dans cette doudoune grise.
L’ourlet de ton jean est trempé à force de traîner dans la neige – toi non plus tu ne prends pas soin de toi. Tes oreilles et ton nez sont rouge vif dans ce froid glacial. Les miens aussi, je suppose. Tes cheveux châtains sont ternes, alors que tu viens sans doute de les laver. Fermée, crispée, ta bouche ne se détend jamais.
Un sentiment de pitié pour toi m’envahit sournoisement, malgré mes efforts pour me protéger et garder mes distances. Toi aussi tu dois être en manque de sommeil. Parler avec méchanceté, même à toi, voilà qui va à l’encontre de la gentillesse que mes parents m’ont enseignée. Et puis de toute façon, si je me montre impolie, tu n’en disparaîtras pas pour autant. Je sais pertinemment que tu feras semblant de ne pas avoir entendu et que tu me suivras. Et ça, je ne le veux pour rien au monde.

 

Alors, tentés?

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