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Premières lignes #22

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Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
Le principe est de, chaque semaine, vous faire découvrir un livre en vous en livrant les premières lignes.
Pour ma part, j’ai décidé de vous faire découvrir mes coups de cœurs !

 

Cette semaine, je vous présente L'enfant du lac de Kate Morton dont vous pouvez lire ma chronique ICI.

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À présent, la pluie tombait à verse ; le bas de sa robe était maculé de boue. Il faudrait la cacher en rentrant : personne ne devait savoir qu’elle était sortie.
La lune était masquée par les nuages – bonne fortune qu’elle ne méritait pas ; elle poursuivit sa route dans les ténèbres épaisses aussi promptement qu’elle le pouvait. Elle était venue creuser le trou plus tôt dans la journée : mais ce n’était que maintenant, sous le couvert de la nuit, qu’elle pourrait finir le travail. La pluie hérissait la surface du ruisseau à truites et tambourinait sans relâche sur les berges. Dans les fougères, tout près, un mouvement vif se fit sentir ; elle ne s’en émut pas et continua sa course. Elle parcourait les bois depuis sa plus tendre enfance et connaissait les lieux comme sa poche.
Quand la chose s’était produite, elle avait pensé tout avouer – au début, c’était encore possible. Mais elle avait raté le coche ; maintenant, c’était trop tard. La machine s’était mise en marche : les battues, la police, les appels à témoignage publiés dans la presse. Elle ne pouvait plus en parler à personne, ne pouvait plus revenir en arrière. On ne lui pardonnerait jamais. Il n’y avait plus qu’une solution : enterrer la preuve.
Elle atteignit enfin l’endroit qu’elle avait choisi plus tôt dans la journée. La boîte, qu’elle transportait dans un sac, était étonnamment lourde. Quel soulagement de pouvoir la poser. Elle se mit à quatre pattes pour dégager les fougères et les branchages qui dissimulaient le trou. L’odeur de terre mouillée était envahissante : mélange de champignons, de déjections de mulots et autres matières pourrissantes. Un jour, son père lui avait expliqué que la forêt était parcourue par les hommes depuis des générations et que nombreux étaient les corps inhumés au plus profond du lourd humus. Elle le savait, ces pensées réjouissaient son père. La stabilité de la nature le consolait ; ce passé plus que millénaire avait à ses yeux le pouvoir d’atténuer les chagrins et les problèmes du présent. Sans doute était-ce parfois le cas : mais, se dit-elle, pas en cet instant-là, pas pour ce problème-là.
Elle déposa le sac dans le trou ; la lune alors, pendant une ou deux secondes, sembla percer les nuages. Les larmes n’étaient pas loin : elle les ravala, tout en rabattant la terre à pleines mains. Pleurer, ici, maintenant ? Non, elle n’allait pas s’accorder cette faiblesse. Elle aplatit la terre de ses paumes, l’égalisa soigneusement avant de piétiner le sol, de toutes ses forces, jusqu’à en perdre le souffle.
Voilà. C’était fait.
Il lui vint à l’esprit qu’il fallait peut-être prononcer quelques mots avant de quitter ce coin de forêt loin de tout. Parler de la mort de l’innocence, des terribles remords qui l’accompagneraient jusqu’à la fin de ses jours. Elle ne desserra pas les lèvres. Cette sotte idée la faisait rougir de honte.
Elle rebroussa chemin, retraversa la forêt, prenant soin d’éviter le hangar à bateaux et les souvenirs qui s’y rattachaient. L’aube pointait lorsqu’elle vit paraître la maison. La pluie n’était plus qu’un crachin. Les vaguelettes clapotaient sur le rivage du lac tandis que le dernier rossignol faisait ses adieux. Les fauvettes à tête noire et les pouillots se réveillaient ; un cheval hennit dans le lointain. Elle ne pouvait le savoir alors, mais ces sons de l’aube ne la quitteraient jamais. Ils la suivraient partout où elle irait, s’insinuant dans ses rêves et dans ses cauchemars, lui rappelant sans cesse ce dont elle s’était rendue coupable.

 

Alors, tentés?

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