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[Livre] Prodigieuses créatures

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Résumé : Dans les années 1810, à Lyme Regis, sur la côte du Dorset battue par les vents, Mary Anning découvre ses premiers fossiles et se passionne pour ces « prodigieuses créatures » dont l’existence remet en question toutes les théories sur la création du monde. Très vite, la jeune fille issue d’un milieu modeste se heurte aux préjugés de la communauté scientifique. Celle-ci, exclusivement composée d’hommes, la cantonne dans un rôle de figuration.

Mary Anning trouve heureusement en Elisabeth Philpot une alliée inattendue. Cette vieille fille intelligente et acerbe, fascinée par les fossiles, l’accompagne dans ses explorations. Si leur amitié se double peu à peu d’une rivalité, elle reste leur meilleure arme face à l’hostilité générale.

 

Auteur : Tracy Chevalier

 

Edition : Folio

 

Genre : Roman contemporain

 

Date de parution : 04 octobre 2012

 

Prix moyen : 9€

 

Mon avis : Je n’ai jamais lu de roman de cet auteur mais pour un coup d’essai c’est (presque) un coup de maître. Je n’ai pas eu de coup de cœur mais j’ai vraiment passé un excellent moment de lecture.
Si on m’avait mis ce livre entre les mains sans rien m’en dire, je n’aurais jamais cru que l’auteur était une femme moderne. Bon, bien évidemment, au fil de la lecture, la critique à peine voilée de ces hommes qui tour à tour refusent d’imaginer que le monde ait pu être différent de ce qu’il est aujourd’hui, puis s’approprie les découvertes de Mary Anning car elle n’est qu’une femme, m’aurait fait me douter que ce n’était pas une contemporaine de Jane Austen qui avait écrit cette histoire.
Pour autant, l’ambiance générale nous plonge vraiment en 1810, avec ses codes, et la séparation nette et quasiment infranchissable des différentes classes sociales.
Avant d’arriver à la fin du livre et de lire la postface, j’ignorais totalement que Mary Anning et Elizabeth Philpot avaient réellement existé. Je pense que j’aurais lu avec une attention différente si j’avais su à l’avance que ce récit n’était pas purement fictif.
Les hommes qui refusent l’idée même que les fossiles soient des créatures disparues, malgré les preuves de plus en plus évidentes, m’ont vraiment énervée. Leur argument est que Dieu a créé toutes les créatures peuplant la Terre et qu’il ne pouvait pas les avoir détruites. Au-delà des preuves scientifiques, j’ai envie de leur répondre sur leur propre terrain (bon ok, ça fait longtemps qu’ils ne sont plus là pour qu’on leur réponde mais quand même) : Puisqu’on dit que les Voies de Dieu sont impénétrables, de quel droit est ce que de simples mortels s’arrogent-ils le droit de dire ce que Dieu pourrait ou non décider de faire de Ses créatures ?
J’ai beaucoup aimé que l’histoire se déroule sur plusieurs années ce qui permet de voir l’évolution des personnages, surtout de Mary qui n’est qu’une fillette au début de l’histoire et est une jeune femme à la fin.
J’ai moins apprécié le changement de narrateur d’un chapitre sur l’autre. Ce n’est pas tellement ce changement en lui-même qui m’a dérangée, mais plutôt le fait que rien ne nous indique le changement de narrateur : c’est au changement de ton et à la manière dont les autres personnages sont nommés que l’on sait laquelle des deux femmes, d’Elizabeth ou Mary, est en train de s’exprimer.
Quoi qu’il en soit, on plonge dans l’univers des fossiles, on tremble d’indignation devant l’attitude de certains messieurs, la mère de Mary nous énerve et force l’admiration en même temps.
On referme le livre avec l’envie d’aller nous promener sur cette plage d’Angleterre (mais pas trop près des falaises) pour voir si, comme Mary, on a « l’œil ».

 

Un extrait : Je ne me souviens pas d’un temps où je n’aurais pas été sur la plage. Maman disait toujours que la fenêtre était ouverte quand je suis née, et que la première chose que j’ai vue quand ils m’ont soulevée dans leurs bras c’était la mer. L’arrière de notre maison de Cockmoile Square donnait dessus, à côté de Gun Cliff, et dès que j’ai su marcher je partais là-bas sur les rochers, avec mon frère Joe qui était un peu plus grand pour me surveiller et m’empêcher de me noyer. À certaines époques de l’année, il y avait plein d’autres gens dans les parages, qui allaient vers le Cobb, regardaient les bateaux, ou partaient se baigner dans les cabanes de baigneurs, dont on aurait dit des cabinets d’aisance montés sur quatre roues. Il y en avait même qui se baignaient en novembre.

Joe et moi on se moquait d’eux, ils ressortaient trempés, frigorifiés et malheureux, comme des chats qu’on a plongés dans l’eau, mais ils se persuadaient que ça leur faisait du bien. J’ai eu mon compte d’accrochages avec la mer au fil des années. Même moi, pour qui les heures des marées sont aussi naturelles que les battements de mon cœur, je me suis laissé prendre en cherchant des curios. Je me retrouvais cernée par la mer qui montait, et je devais marcher dans l’eau ou grimper sur les falaises pour rentrer. Pourtant je me suis jamais baignée volontairement, pas comme ces dames de Londres qui viennent à Lyme pour leur santé. Moi, j’ai toujours mieux aimé la terre ferme, les rochers, plutôt que la mer.

La mer, je la remercie de me donner des poissons à manger, de libérer les fossiles des falaises, ou de les ramener depuis ses fonds sur la plage.

Sans la mer, les os resteraient enfermés dans leurs tombes rocheuses pour toujours, et on n’aurait pas d’argent pour se nourrir et se loger. Des curios, j’en ai cherché depuis aussi longtemps que je me souviens. Pa m’emmenait sur la plage et il me montrait où regarder, il m’expliquait ce qu’étaient les différents fossiles : des vertèbres, des griffes du diable, des serpents de Ste Hilda, des bézoards, des éclairs, des lys de mer…

Très vite j’ai pu chasser toute seule. Même quand on part chasser avec des gens, on n’est pas à côté d’eux à chaque pas. On peut pas être dans leurs yeux à eux, on doit se servir de ses propres yeux, regarder à sa propre façon. Deux personnes peuvent examiner les mêmes rochers et voir des choses différentes. L’un verra un morceau de silice, l’autre un oursin. Quand j’étais petite et que j’allais chasser avec Pa, il lui arrivait de trouver des vertèbres à un endroit que j’avais déjà inspecté. « Regarde », il disait, et il tendait le bras pour en ramasser une qui se trouvait juste à mes pieds. Alors il se moquait de moi : « Va falloir que tu cherches mieux que ça, ma p’tite ! » Ça ne m’a jamais dérangée : après tout, c’était mon

père et c’était normal qu’il en trouve plus que moi, et qu’il m’apprenne le métier. J’aurais pas voulu être plus douée que lui. Pour moi, chercher des curios c’est comme chercher un trèfle à quatre feuilles : c’est pas l’intensité avec laquelle on cherche, mais la façon dont une chose peut tout à coup vous paraître différente. Mon regard parcourt un carré de trèfles, et je vois 3, 3, 3, 3, 4, 3, 3. Les quatre feuilles me sautent tout simplement aux yeux. Pareil avec les curios : je déambule sur la plage, mes yeux se promènent sur les galets sans réfléchir, et hop là, je repère la forme allongée d’une bélem, la courbe et les stries d’une ammo, ou encore le grenu d’un os par rapport au poli du silex… Leur aspect les fait ressortir du fouillis autour. Chacun chasse de manière différente. Miss Elizabeth étudie la paroi de la falaise, les rochers plats et les pierres avec une telle concentration qu’on croirait que sa tête va éclater. Elle en trouve, des choses, mais ça lui coûte un effort énorme.

Elle a pas l’œil comme moi.

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