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Premières lignes #76

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Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
Le principe est de, chaque semaine, vous faire découvrir un livre en vous en livrant les premières lignes.
Pour ma part, j’ai décidé de vous faire découvrir mes coups de cœurs !

 

Cette semaine, je vous présente Cendrillon et moi: La belle-mère parle enfin de Danielle Teller.

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Il est devenu bien trop oppressant de dîner à la cour. La faute n’en revient pas seulement aux repas interminables, ou à l’obligation de respecter la dernière mode vestimentaire, de se poudrer le visage, de s’infliger des tortures capillaires pour exhiber de grandes cornes de bélier ornées de bijoux, de porter des robes en soie aux manches si étroites qu’on ne peut plus amener une cuillère à ses lèvres peintes avec soin... Non, ce sont les commérages qui sont insupportables, le bourdonnement sinistre de ces guêpes prêtes à piquer le moindre bout de chair tendre exposé à leurs dards empoisonnés.
Ce soir, on m’a placée à côté du comte de Bryston, un sot vaniteux qui se fait rare à la cour. Il règne sur une bourgade perdue au nord du royaume, et semble croire que l’allégeance inébranlable des siens à la couronne l’autorise à commenter les faits et gestes de la famille royale.
« Madame, j’ai cru comprendre que vos nobles filles ne sont pas encore mariées ? a-t-il demandé en tirant sur ses manchettes, si volumineuses qu’elles trempaient dans sa soupe.
— En effet, comte, ai-je répondu, aussi brièvement que la courtoisie l’autorise.
— Et pourtant, d’après ce qu’on m’a rapporté, il fut un temps où elles se seraient disputé les faveurs du prince Henry en personne ? » Le comte a délicatement tamponné ses lèvres écarlates avec sa serviette. « Elles auraient ainsi tenté de le détourner de la princesse Elfida ?
— L’idée semble vous divertir, comte. Je crains que, pour l’essentiel, tout ce que vous avez entendu ne soit que pure invention », ai-je répliqué avec une froideur manifeste.
Il a souri de toutes ses dents.
« Ah, eh bien, c’est une histoire des plus incroyables ! La belle jeune fille opprimée qui devient princesse, les demi-sœurs jalouses, la pantoufle de vair qui résiste...
— Comte, je ne peux donner crédit à de telles affabulations.
— Voyons, madame ! Vous savez bien que tout le royaume est sous le charme de notre bienveillante et radieuse princesse ! Et j’ai beaucoup entendu parler de vos filles et de vous.
— Une histoire captivante passe bien souvent sous silence l’humble vérité.
— J’espère que vous me parlerez de la pantoufle », a-t-il poursuivi en ignorant ma réticence. Il a rompu un morceau de pain et laissé une traînée de miettes sur la table. « Mon épouse brûle de connaître les détails ! On dit que le prince a invité toutes les jeunes filles en âge de se marier à essayer la chaussure, y compris vos filles ! » À ces mots, il a éclaté de rire.
« Est-ce si drôle de les imaginer recevoir les attentions d’un prince ?
— Eh bien... »
Son haussement d’épaules était des plus éloquents.
« Elles sont laides, et Elfida est belle », ai-je déclaré.
Le comte a froncé les sourcils et grimacé. L’élégance recommande de sous-entendre les vilenies plutôt que de les formuler explicitement.
« Comte, j’ai eu vent de certaines des rumeurs auxquelles vous faites allusion. Pour moi, ces fables trahissent une épidémie de cécité. Le prince Henry devrait être aveugle pour ne pas reconnaître l’objet de son admiration ou distinguer un laideron d’une jeune fille à la beauté inégalée. Mes filles seraient aveugles de ne pas se voir telles qu’elles sont dans le miroir ou sur les visages de ceux qu’elles rencontrent... » J’ai haussé le ton, si bien que j’ai dû marquer une pause pour reprendre d’une voix neutre. « Elles devraient également se voiler la face pour méconnaître cette vérité : les hommes se persuadent que les belles femmes sont pourvues de vertu et de moralité, alors qu’aucune vertu n’est assez grande pour embellir un laideron.
— Madame, la princesse Elfida est une étoile resplendissante qui brille au firmament royal, là où elle a toute sa place. Qu’elle vous invite, vos filles et vous, à dîner ici au palais témoigne de sa compassion, de sa mansuétude et de sa générosité, a-t-il conclu sans même tenter de déguiser son mépris.
— Il est vrai, comte. Il est vrai », ai-je murmuré.

 

Alors, tentés?

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