Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèque. La liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
Le principe est de, chaque semaine, vous faire découvrir un livre en vous en livrant les premières lignes.
Pour ma part, j’ai décidé de vous faire découvrir mes coups de cœurs !
Cette semaine, je vous présente Prise au piège de Robert Dugoni dont vous pouvez lire ma chronique ICI.
Kurt Schill traîna son bateau en aluminium de 4,20 m de long sur les rondins de bois flotté qu’il avait installés pour réduire au minimum le raclement de la coque sur les rochers. Pour protéger son récent investissement, bien sûr, mais à dire vrai, il tenait surtout à éviter une confrontation avec les résidents des copropriétés et des logements situés en bordure de l’étroit passage qui permettait d’accéder au Puget Sound. Ceux-ci n’apprécieraient guère qu’on dérange leur tranquillité à quatre heures et demie du matin. Schill n’aurait pas grand-chose à dire pour sa défense s’ils se plaignaient à la police de ce qu’il mette son bateau à l’eau depuis un sentier strictement réservé aux piétons. Les écriteaux étaient nombreux et explicites.
Il pénétra dans l’eau pour stabiliser l’embarcation, et perçut à travers ses bottes en caoutchouc la fraîcheur des 7 oC du Puget Sound. Après une poussée, il sauta à l’intérieur en se cognant violemment le genou, et le bateau roula et tangua jusqu’à ce qu’il ait ajusté son poids sur le banc central. La coque en V paraissait plus stable que celle de son bateau en fibre de verre, difficile à manœuvrer quand la mer était grosse. Il lui faudrait néanmoins attendre d’être un peu plus loin avant de démarrer le moteur Honda 6 CV pour mesurer pleinement la différence.
Il glissa les avirons en bois dans les dames de nage et s’éloigna du rivage. Seul le clapotis des pelles et le cliquetis du tolet à chaque coup de rame troublaient le silence. La coque en aluminium glissait sans effort sur les eaux d’un noir d’encre. Encore un truc qui lui plaisait sur ce nouveau matériel. Après avoir mis de l’argent de côté, il l’avait acheté à un type sur Craigslist pour 2000 $ – le bateau et la remorque. C’était plus que les 1500 $ qu’il avait budgétés – son père l’avait aidé pour le supplément, même s’il était obligé de rembourser cet argent. Il se disait qu’il pourrait économiser en faisant l’impasse sur les tarifs de mise à l’eau dans les marinas locales et en ramenant davantage de crabes. Le ministère de la Chasse et de la Pêche limitait les prises à cinq crabes de Dungeness par personne, mais Schill n’allait sûrement pas remettre le surplus à l’eau, pas avec ses contacts dans la restauration qui payaient au noir en liquide.
Il ramait en direction de Blake Island, une bosse noire qui s’élevait au-dessus de l’eau, un peu écrasée cependant par les ombres des îles sensiblement plus grandes situées derrière – Bainbridge et Vashon. Au nord, les lumières du ferry de Bremerton faisant route à l’est vers Seattle le faisaient ressembler à une punaise d’eau illuminée. La sueur dégoulinait sur la poitrine et le dos de Schill sous son gilet de sauvetage, jusque dans ses cuissardes, et il bénissait la légère brise qui lui rafraîchissait la nuque.
À quelques centaines de mètres du rivage, il remonta les rames et se dirigea à l’arrière de l’embarcation. Il fixa le coupe-circuit à son gilet de sauvetage, actionna trois fois la pompe d’amorçage pour expédier l’essence dans le moteur, ajusta le starter et tira sur le câble de démarrage. Le moteur hoqueta, crachota, puis s’arrêta. Schill s’assura que le levier de vitesse était en position neutre, la manette des gaz du gouvernail bloquée sur l’icône de la tortue, puis tira de nouveau. Le moteur haleta, toussa, puis démarra.
Alors, tentés?