Résumé : Sur Manderley, superbe demeure de l'ouest de l'Angleterre, aux atours victoriens, planent l'angoisse, le doute : la nouvelle épouse de Maximilien de Winter, frêle et innocente jeune femme, réussira-t-elle à se substituer à l'ancienne madame de Winter, morte noyée quelque temps auparavant ?
Auteur : Daphné du Maurier
Edition : Le livre de poche
Genre : Classique étranger
Date de parution : 1938
Prix moyen : 6€
Mon avis : J’ai eu un peu de mal à entrer dans l’histoire car le début est lent, très lent, avec la description méticuleuse de chaque détail de Manderley. Et ça, ce n’est que le tout début, avant même que l’histoire ne débute vraiment !
La nouvelle madame de Winter m’a exaspérée. Elle n’a aucune personnalité, passe son temps à s’excuser et à se plaindre.
Le livre est écrit de telle manière qu’il m’a fallut près de la moitié du roman pour réaliser qu’à aucun moment on ne citait son nom. Ainsi, même par là, elle est invisible, insignifiante. Elle n’a même pas de nom à elle et se contente d’être la nouvelle Madame de Winter.
L’attitude des domestiques comme de son époux est insupportable. Maxim la traite comme une enfant, mais comment pourrait-il se rendre compte d’à quel point il est condescendant et paternaliste quand son épouse passe son temps à pleurnicher et à s’excuser d’exister.
Dès le départ, elle aurait du remettre les domestiques à leur place. Au premier « Ah mais on faisait comme ça du temps de Madame de Winter », elle aurait du répondre : « A présent c’est moi, madame de Winter, on fera donc à ma manière et dorénavant vous parlerez de la première épouse de mon époux en l’appelant « la première épouse de monsieur ». Il n’y aura pas deux madame de Winter sous ce toit ».
Elle passe les trois quarts du roman à être insipide, recroquevillée à l’intérieur d’elle-même, à trembler que la moindre comparaison avec Rebecca ne soit en sa défaveur.
Elle finira par avoir un déclic mais la quasi-totalité du livre tourne autour de cette rivalité, de ce combat inégal contre un fantôme que tous idéalisent. Elle ne sait même pas si son mari l’a épousé par amour ou si son amour n’appartient qu’à Rebecca et qu’il ne l’a finalement épousé que pour rompre sa solitude.
La tension est constante, chaque faux pas de la jeune épouse, dû à son manque de connaissance d’un monde auquel elle n’appartient pas autant qu’à l’hostilité de Mme Danvers, la femme de charge, prend des proportions énormes car tout est ramené à ce qu’aurait fait, pas fait, ou dit Rebecca.
J’ai préféré la jeune femme après son déclic, elle est plus sûre d’elle, plus active, plus maîtresse de sa propre vie, elle montre enfin qu’elle a du caractère.
La fin est brutale, j’aurais apprécié quelques pages de plus pour « finir » le roman mais dans l’ensemble, je ne regrette pas ma lecture.
Un extrait : J’ai rêvé l’autre nuit que je retournais à Manderley. J’étais debout près de la grille devant la grande allée, mais l’entrée m’était interdite, la grille fermée par une chaîne et un cadenas. J’appelai le concierge et personne ne répondit ; en regardant à travers les barreaux rouillés, je vis que la loge était vide.
Aucune fumée ne s’élevait de la cheminée et les petites fenêtres mansardées bâillaient à l’abandon. Puis je me sentis soudain douée de la puissance merveilleuse des rêves et je glissai à travers les barreaux comme un fantôme. L’allée s’étendait devant moi avec sa courbe familière, mais à mesure que j’y avançais, je constatais sa métamorphose : étroite et mal entretenue, ce n’était plus l’allée d’autrefois. Je m’étonnai d’abord, et ce ne fut qu’en inclinant la tête pour éviter une branche basse que je compris ce qui était arrivé. La Nature avait repris son bien, et, à sa manière insidieuse, avait enfoncé dans l’allée ses longs doigts tenaces. Les bois toujours menaçants, même au temps passé, avaient fini par triompher. Ils pullulaient, obscurs et sans ordre sur les bords de l’allée. Les hêtres nus aux membres blancs se penchaient les uns vers les autres, mêlant leurs branches en d’étranges embrassements et construisant au-dessus de ma tête une voûte de cathédrale. Et il y avait d’autres arbres encore, des arbres dont je ne me souvenais pas, des chênes rugueux et des ormes torturés qui se pressaient joue à joue avec les bouleaux, jaillissant de la terre en compagnie de buissons monstrueux et de plantes que je ne connaissais pas.
L’allée n’était plus qu’un ruban, une trace de son ancienne existence, — le gravier aboli — gagnée par l’herbe, la mousse et des racines d’arbres qui ressemblaient aux serres des oiseaux de proie. Je reconnaissais çà et là, parmi cette jungle, des buissons, repères d’autrefois : c’étaient des plantes gracieuses et cultivées, des hydrangéas, dont les fleurs bleues avaient été célèbres. Nulle main ne les disciplinait plus et elles étaient devenues sauvages : leurs rameaux sans fleurs, noirs et laids, atteignaient des hauteurs monstrueuses.
La pauvre piste qui avait été notre allée ondulait et même se perdait par instants, mais reparaissait derrière un arbre abattu ou bien à travers une flaque de boue laissée par les pluies d’hiver. Je ne croyais pas ce chemin si long. Les kilomètres devaient s’être multipliés en même temps que les arbres et ce sentier menait à un labyrinthe, une espèce de brousse chaotique, et non plus à la maison. Mais voici qu’elle m’apparut tout à coup ; les abords en étaient masqués par ces proliférations végétales et lorsque je me trouvai enfin en face d’elle, je m’arrêtai le cœur battant, l’étrange brûlure des larmes derrière les paupières.
C’était Manderley, notre Manderley secret et silencieux comme toujours avec ses pierres grises luisant au clair de lune de mon rêve, les petits carreaux des fenêtres reflétant les pelouses vertes et la terrasse. Le temps n’avait pas pu détruire la parfaite symétrie de cette architecture, ni sa situation qui était celle d’un bijou au creux d’une paume.