Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèque. La liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
Le principe est de, chaque semaine, vous faire découvrir un livre en vous en livrant les premières lignes.
Cette semaine, je vous présente Les larmes de Jundur de Noemie Delpra
Lyvia courait.
D’une foulée souple et régulière, la respiration profonde et le regard farouche. La terre était dure sous ses pieds, et l’air qui effleurait ses joues était frais en ce début de mois de novembre. Les feuilles mortes se froissaient sous son poids, répandant autour d’elles cette odeur familière que Lyvia chérissait tant. Les conditions étaient idéales. Si ce jour avait été n’importe quel autre jour, la jeune fille se serait sentie invincible. Elle se serait abandonnée corps et âme à la course, infatigable. Elle aurait lancé son cœur dans chacune de ses foulées, plus légère qu’un oiseau, plus rapide que le vent.
Mais ce jour-là, son cœur et son esprit étaient ailleurs. Une scène se rejouait constamment sous ses paupières, effaçant à sa vue la beauté de la forêt. Un autre jour, Lyvia aurait remarqué combien les arbres étaient fiers, parés des délicates couleurs de l’automne. Elle aurait admiré l’exquise palette de tons chauds, du doré au brun en passant par l’ocre et l’orangé, que la nature avait choisie pour peindre le monde ce jour-là. La forêt était son refuge, depuis toujours. Plus tendres qu’une épaule amie, plus doux qu’une étreinte maternelle, les arbres avaient toujours su l’apaiser.
Ce jour-là, pourtant, Lyvia était sourde à leurs mélodies, aveugle à leur charme. Elle n’entendait que sa rancœur, ne voyait que sa colère. Alors son pas s’alourdissait, son souffle se faisait erratique. Son cœur battait à grands coups dans sa poitrine, la suppliant d’arrêter sa course.
Avec un cri de rage et de frustration, elle ralentit brusquement avant de donner un coup de pied dans un tas de feuilles mortes, qui s’égaillèrent mollement. Prêtant enfin attention à son environnement, elle découvrit qu’elle s’était arrêtée juste à côté de son arbre favori, un large chêne si imposant qu’il paraissait immortel. Était-ce une coïncidence, ou l’avait-il appelée, d’une certaine façon ? Jetant un regard mauvais à l’arbre, Lyvia se laissa tout de même glisser contre son tronc. Au contact de l’écorce rugueuse, la rancune de la jeune fille se mua en une triste lassitude. C’était à chaque fois la même chose. Elle avait beau se disputer avec sa mère, encore et encore, l’issue était invariablement identique.
Lyvia ferma les yeux et sa respiration s’apaisa, se calquant sur le souffle régulier du vent entre les branches du chêne. Elle s’ouvrit enfin à la présence amie nichée au cœur de l’écorce. Là où d’aucuns s’adosseraient indifféremment contre un arbre ou un mur, Lyvia avait toujours senti la vie pulser sous le bois, dans sa forme la plus pure et la plus rassurante. Mais elle avait appris à garder ce type de réflexion pour elle : même son meilleur ami Liam se moquait gentiment lorsqu’elle évoquait la connexion qu’elle ressentait avec la nature. Alors elle chérissait ces moments de solitude dans la forêt, où elle venait trouver l’apaisement.
Avec un profond soupir, Lyvia ouvrit à nouveau les yeux, et accepta enfin d’affronter la scène qui l’avait incitée à fuir.
Alors, tentés?