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Premières lignes #101

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Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
Le principe est de, chaque semaine, vous faire découvrir un livre en vous en livrant les premières lignes.

Cette semaine, je vous présente Piège conjugal de Michelle Richmond

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Je me réveille à bord d’un Cessna au vol cahoteux. J’ai la tête qui me lance et la chemise tachée de sang. J’ignore combien de temps s’est écoulé. Je regarde mes mains, m’attendant à les trouver menottées, mais non. Je n’ai qu’une ceinture de sécurité classique autour de la taille. Qui m’a attaché ? Je ne me rappelle même pas être monté dans l’avion.

J’aperçois la tête du pilote par la porte ouverte du cockpit. Il n’y a personne d’autre à bord. Nous survolons des pics enneigés. De violentes rafales secouent l’appareil. Les épaules tendues, l’homme semble totalement concentré sur les commandes.

Je porte la main à mon crâne. Le sang a séché, laissant un magma poisseux. Mon estomac gargouille. La dernière fois que j’ai mangé, c’est au petit déjeuner. Mais combien de temps s’est-il écoulé depuis ? Sur le siège à côté de moi, il y a une bouteille d’eau et un sandwich enveloppé dans du papier. Je bois à grandes goulées.

Je déballe le sandwich – jambon-gruyère – et je mords dedans. Aïe. J’ai trop mal pour mastiquer. Quelqu’un a dû me frapper au visage lorsque j’étais à terre.

J’interpelle le pilote.

— Est-ce qu’on rentre à la maison ?

— Ça dépend de ce que vous appelez la maison. On va à Half Moon Bay.

— On ne vous a rien dit à mon sujet ?

— Prénom, destination, c’est à peu près tout. Je ne suis que le taxi, Jake.

— Mais vous êtes membre, non ?

— Bien sûr, répond-il d’une voix neutre. Fidèle au conjoint, loyal au Pacte. Jusqu’à ce que la mort nous sépare.

Il se retourne et me jette un regard éloquent : j’ai assez posé de questions.

L’avion est happé par un trou d’air. Le choc est si brutal que mon sandwich s’envole. Un bip menaçant retentit. Le pilote jure et appuie frénétiquement sur des boutons. Il crie quelque chose au contrôle aérien. Nous perdons rapidement de l’altitude et je m’agrippe aux accoudoirs, songeant à Alice, à notre dernière conversation, à tout ce que je ne lui ai pas dit.

Soudain, l’avion se redresse. Je ramasse les morceaux épars de mon sandwich, remets le tout dans l’emballage et le pose sur le fauteuil voisin.

— Désolé pour les turbulences.

— Ce n’est pas votre faute. Vous avez assuré.

Au-dessus de Sacramento, le ciel est dégagé. Le pilote s’autorise enfin à se détendre. Nous parlons des Golden State Warriors, l’équipe de basket d’Oakland qui a remporté une incroyable série de victoires cette saison.

— Quel jour on est ?

— Mardi.

Je regarde la côte familière avec soulagement et j’éprouve une gratitude disproportionnée à la vue du petit aérodrome de Half Moon Bay. L’avion atterrit en douceur. Le pilote se tourne vers moi.

— Faites en sorte que ça ne devienne pas une habitude, OK ?

— Je n’en ai pas l’intention.

J’attrape mon sac et je descends. Sans couper le moteur, l’homme referme la porte, fait demi-tour et décolle.

Au café de l’aérodrome, je commande un chocolat chaud et envoie un SMS. Il est 14 heures, en pleine semaine. Elle a sans doute dix mille rendez-vous importants, mais j’ai besoin de la voir.

Sa réponse arrive presque aussitôt : Où es-tu ?

HMB.

Je pars dans 5 min.

Il y a plus de trente kilomètres entre son bureau et Half Moon Bay. Peu après, elle m’écrit qu’elle est coincée dans les embouteillages, alors je commande du pain perdu et du bacon. La salle est vide. Une serveuse enjouée en uniforme impeccable tourne autour de ma table. Quand je paie l’addition, elle me lance : « Bonne journée, mon Ami. »

Dehors, j’attends Alice sur un banc. Il fait froid et le brouillard arrive par vagues. Lorsque sa vieille Jaguar apparaît enfin, je suis frigorifié. Je me lève et, tandis que je m’assure n’avoir rien oublié, Alice me rejoint. Elle porte un tailleur, mais a troqué ses chaussures à talons contre des baskets pour conduire. Le brouillard dépose un voile humide sur ses cheveux noirs. Ses lèvres sont rouge sombre et je me demande si c’est pour moi qu’elle s’est maquillée. Je l’espère.

Elle se hisse sur la pointe des pieds afin de m’embrasser. Je réalise tout à coup à quel point elle m’a manqué. Elle recule pour me regarder, puis me caresse la joue.

— Au moins, tu es entier. Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Je me le demande encore, réponds-je en l’enlaçant.

— Pourquoi est-ce qu’on t’a convoqué, alors ?

Il y a tant de choses que je voudrais lui dire, mais j’ai peur. Plus elle en saura, plus ce sera dangereux pour elle. Et puis, inutile de se voiler la face, la vérité risque de ne pas lui plaire.

Je donnerais n’importe quoi pour revenir en arrière, avant le mariage, avant Finnegan, avant que le Pacte ne bouleverse notre vie.

 

Alors, tentés?

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