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  • Premières lignes #99

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    Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
    Le principe est de, chaque semaine, vous faire découvrir un livre en vous en livrant les premières lignes.

    Cette semaine, je vous présente La faute de Paula Daly

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    Il arrive un peu en avance, se gare en marche arrière et descend de voiture. Le froid le gifle, lui mord la peau. Il sent bon ; un parfum coûteux.

    Il s’est arrêté à une centaine de mètres de l’école, là où, par temps clair, on bénéficie d’une vue imprenable sur le lac et les montagnes en arrière-plan. S’il faisait meilleur, il y aurait là un vendeur de glaces et des touristes japonais avec leurs appareils photos braqués sur le panorama. Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, le ciel d’automne est trop couvert et à cette époque de l’année, la nuit tombe rapidement.

    Les arbres se reflètent dans l’eau du lac, une eau boueuse, couleur café – dans peu de temps, elle virera au gris ardoise. L’air est immobile.

    Et s’il prenait un chien, songe-t-il un bref instant. Une gentille bête, genre épagneul, ou alors l’une de ces grosses peluches blanches. Les enfants aiment les chiens, pas vrai ? Ça vaudrait le coup d’essayer.

    Il regarde autour de lui mais pour l’instant, rien ne bouge. Seul, l’œil aux aguets, il inspecte les alentours, évalue les risques.

    L’évaluation des risques fait partie de son boulot. En général, il se contente d’inventer un truc et couche noir sur blanc ce que l’officier de sécurité-incendie a envie de lire, en ajoutant quelques petits détails pour faire bonne mesure.

    Là, c’est différent. Il a vraiment besoin d’une estimation très précise. D’autant plus qu’il se sait impulsif, capable de commettre une négligence qu’il finirait par payer. De cela, il n’est pas question. Pas cette fois-ci.

    Il jette un coup d’œil à sa montre. Il lui reste encore du temps avant son prochain rendez-vous. C’est vraiment le gros avantage de ce boulot : les longues plages de liberté. Une liberté qu’il peut consacrer à cet autre… passe-temps.

    Sur l’instant, il ne trouve pas de terme plus exact. C’est vrai, il s’agit d’un simple passe-temps. Rien de sérieux. Il essaie des trucs pour voir si ça lui plaît, tout comme ces gens qui décident de suivre des cours du soir sans trop savoir quelle matière choisir.

    « Vous pourriez participer à une ou deux séances de calligraphie avant d’opter pour une inscription à l’année. »

    « Finalement, je ne suis pas sûr que les cours de conversation française répondent à vos attentes. »

    Il sait que son intérêt peut disparaître du jour au lendemain mais, après tout, les gens brillants n’ont-ils pas tendance à s’ennuyer plus vite que les autres ? Or il se considère comme quelqu’un de brillant.

    Quand il était enfant, on le disait velléitaire, incapable de se tenir tranquille et de se concentrer sur une seule et unique chose. Cela lui arrive encore aujourd’hui. Voilà pourquoi il ne doit pas s’engager à la légère. Il veut en avoir le cœur net et être convaincu d’aller jusqu’au bout avant même de faire le premier pas.

    Sa montre affiche 15 h 40. Ils seront bientôt là – les premiers se dépêcheront de rentrer chez eux.

    Remontant en voiture, il attend patiemment.

    En premier lieu, il étudiera ses propres réactions pour savoir si son intuition se confirme. Et si c’est le cas, alors il sera fixé.

    Quand il les aperçoit, son cœur s’affole. Sans manteau, ni bonnet, leurs chaussures sont trop légères pour la saison. Deux filles aux cheveux teints passent devant sa voiture, l’air maussade, les jambes épaisses, sans galbe.

    Non, songe-t-il, ça ne va pas. Rien à voir avec ce qu’il recherche.

    Viennent ensuite deux groupes de garçons de 14-15 ans qui jouent à se donner des tapes derrière la tête en rigolant bêtement. L’un d’entre eux l’aperçoit et, hilare, lui adresse deux doigts d’honneur. Pas bien méchant, pense-t-il.

    C’est alors qu’elle apparaît.

    Elle marche seule d’un air décidé, le dos bien droit, à courtes et fermes enjambées. Elle doit avoir dans les 12 ans, probablement un peu plus. Peut-être fait-elle plus jeune que son âge.

    Quand elle passe devant sa voiture, son cœur se met à palpiter et un délicieux frisson le traverse de part en part. Elle vient de ralentir, comme pour laisser de la distance entre elle et les garçons. Elle semble hésiter. Fasciné, il regarde son expression changer lorsqu’elle trouve enfin le courage de presser le pas.

    Moitié courant, moitié sautillant, ses pieds touchent à peine le bitume alors qu’elle accélère l’allure. On dirait un jeune faon ! se dit-il, émerveillé. Ses hanches étroites remuent très vite quand elle dépasse le groupe qui chahute.

    Ses mains posées sur le volant sont moites. Désormais, il en a le cœur net : il ne s’est pas trompé. Souriant, il sait qu’il a eu raison de venir.

    Il baisse le pare-soleil pour examiner son visage dans le miroir. S’il a toujours la même apparence, il se sent pourtant différent. C’est incroyable, comme si toutes les pièces d’un puzzle avaient enfin trouvé leur place. Une expression lui vient à l’esprit, un truc banal dont il n’avait jamais pleinement éprouvé le sens : « Tout va pour le mieux. »

    Il met le contact, allume le siège chauffant et, sans cesser de sourire, prend la direction de Windermere.

     

    Alors, tenté?