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  • [Livre] La terre qui penche

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    Résumé : Blanche est morte en 1361 à l’âge de douze ans, mais elle a tant vieilli par-delà la mort! La vieille âme qu’elle est devenue aurait tout oublié de sa courte existence si la petite fille qu’elle a été ne la hantait pas. Vieille âme et petite fille partagent la même tombe et leurs récits alternent.
    L’enfance se raconte au présent et la vieillesse s’émerveille, s’étonne, se revoit vêtue des plus beaux habits qui soient et conduite par son père dans la forêt sans savoir ce qui l’y attend.
    Veut-on l’offrir au diable filou pour que les temps de misère cessent, que les récoltes ne pourrissent plus et que le mal noir qui a emporté sa mère en même temps que la moitié du monde ne revienne jamais?
    Par la force d’une écriture cruelle, sensuelle et poétique à la fois, Carole Martinez laisse Blanche tisser les orties de son enfance et recoudre son destin.


    Auteur : Carole Martinez

     

    Edition : France loisirs

     

    Genre : Drame

     

    Date de parution : 2016

     

    Prix moyen : 17,50€

     

    Mon avis : La terre qui penche est un roman à deux voix. Blanche, fillette de douze ans, raconte son histoire, tandis que la vieille âme de l’enfant, qui a continué à vieillir après sa disparition, se souvient avec la lucidité que donne le recul.
    L’enfance de Blanche n’est pas heureuse. Son père est un homme que la mort en couche de sa femme a rendu amer, violent et cruel. Il tient à sa fille des propos très crus et culbute les servantes sous ses yeux tout en lui soutenant que c’est dans le corps des filles que le Diable trouve refuge.
    Il la maintient dans la peur de ce Diable au point que, lorsqu’il l’emmène en voyage, elle est persuadée qu’il s’en va la sacrifier pour apaiser le malin.
    Et pourtant, ce voyage va changer la vie de Blanche.
    Promise au seul fils du seigneur de Hautepierre, elle va se retrouver dans un lieu où elle va enfin être bien traitée, habillée confortablement et où on va lui apprendre à lire et écrire, chose que son père lui a toujours refusé, dédaignant l’éducation des filles.
    Mais ce n’est pas l’avis de son futur beau-père qui a tenu à ce que Blanche vienne deux ans plus tôt pour l’éduquer correctement.
    Blanche s’installe donc au bord de la Loue, au château de Hautepierre. Son futur mari, Aymond, est un simple d’esprit d’une grande gentillesse. Si Blanche n’est pas enchanté au départ, elle va se prendre d’affection pour le jeune garçon.
    La vieille âme revient donc sur l’histoire de Blanche, son histoire, avec un recul de plusieurs siècles. Elle est blasée, un peu dégoutée par le monde qui l’entoure.
    Elle redécouvre cette histoire à chaque fois qu’elle l’entend, comme si on la lui racontait pour la première fois.

    L’histoire se déroulant au Moyen-Age, la croyance en Dieu côtoie les croyances païennes et la rivière est vue comme une créature vivante, parfois joueuse, souvent malveillante.

    L’écriture réussit le tour de force d’être à la fois poétique et vulgaire.
    Il faut dire qu’au Moyen-Age, on ne prenait pas de gant et on appelait un chat, un chat… Pas de métaphore, pas d’euphémisme…

    Les relations entre les personnages sont magnifiquement bien décrites. Elles sont complexes et les personnages sont faillibles, ont des comportements contradictoires, bref, sont pleinement humains.

    En filigrane de l’histoire de Blanche, la mort est omniprésente : la peste (pestilence), les accidents, les meurtres (dont certains commis par un pédophile), les exécutions sommaires… Malgré son jeune âge, Blanche a depuis toujours été confrontée à la mort.
    Dire que la fin m’a surprise est un euphémisme. Je ne m’attendais vraiment pas à ça, mais j’ai vraiment apprécié cette fin.

     

    Un extrait : À tes côtés, je m’émerveille.

    Blottie dans mon ombre, tu partages ma couche.

    Tu dors, ô mon enfance,

    Et, pour l’éternité, dans la tombe, je veille.

    Tout aurait dû crever quand tu as gagné ton trou, gamine,

    Au lieu de quoi la vie a dominé, sans joie.

    Seule la rivière a tenté quelque chose pour marquer ton départ, ma lumineuse.

    Dans la brume du petit matin, elle a soudain figé ses eaux vertes tout du long, si bien qu’en amont de la Furieuse, les aubes des moulins se sont arrêtées de tourner, comme engluées dans du métal fondu. Dès que l’haleine humide et claire qui la nappait de vapeurs nocturnes est remontée à flanc de coteaux jusqu’à se dissoudre tout à fait dans la chaleur du jour, dès que la rivière est apparue, nue, débarrassée de ses longs voiles laiteux, les meuniers de la vallée ont découvert que la Loue enchanteresse s’était changée en miroir : plus rien ne bougeait dans son lit que le reflet du monde des berges et celui des nuages épars de mai. Alors, à mesure que le jour s’est déplié sur cette terre qui penche, la vie du dehors s’est laissé prendre au piège de sa propre image, étonnée de se voir des contours si nets à la surface des eaux mortes et inquiétantes qu’aucune ondulation ne venait plus troubler. La Loue faisait silence et, jusqu’à ce que les cloches aient sonné sexte, on n’a plus entendu le moindre clapotis contre les pierres. Chut ! Chut ! Même dans les pentes raides des gorges, qui, jamais jusque-là, ni de nuit, ni de jour, n’avaient cessé leurs papotages, les langues d’eau, saisies en pleine course, s’étaient tues. Chut ! Chut !

    Rien ne semblait pouvoir briser le sortilège qui avait pétrifié la rivière. Car c’était bien de cela qu’il s’agissait, de quelque enchantement !

    Ce matin qui a suivi la fin de notre histoire, mon éclatante, le vent lui-même a renoncé à remuer la surface plombée de la Loue. Aucune de ses caresses ne pouvait froisser l’enveloppe, lisse à pleurer, de la belle serpente. Nul sillage ne ridait cette étrange peau de métal qu’elle s’était forgée en une nuit. Ni frisson sous les ongles des araignées d’eau, ni tressaillement aux frôlements bleus d’une libellule, ni efflorescence sous les branches basses. La Loue ne prenait plus plaisir à lécher ses berges, plus de va-et-vient sur le sable ou la pierre, plus d’ondoiements dans sa chevelure d’algues, plus de soupirs, plus un souffle. Rien ne scintillait à sa surface. Le soleil, qui se faufilait entre les arbres pour la rejoindre, se glaçait à son contact. L’astre était réduit à un cercle blanc, sans feux.

     

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