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Premières lignes #73

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Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
Le principe est de, chaque semaine, vous faire découvrir un livre en vous en livrant les premières lignes.
Pour ma part, j’ai décidé de vous faire découvrir mes coups de cœurs !

 

Cette semaine, je vous présente Rouille de Floriane Soulas.

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Violante observait son reflet, éclaté dans les dizaines de miroirs qui tapissaient les murs et le plafond de la chambre. Elle aimait cet instant après les passes où, tant que personne ne parlait, il était encore possible d’oublier qu’elle venait d’ouvrir les cuisses pour une heure de plaisir à prix d’or. Elle savoura ce répit et le silence qui régnait dans la petite chambre, inspira lentement les odeurs de sueur et de parfum bon marché. Ses cheveux châtains dénoués lui chatouillaient le creux de la gorge. Des jetons cliquetèrent en tombant dans un petit bol en fer forgé posé près de la porte d’entrée, et le temps reprit sa course. La jeune fille poussa un soupir discret pour contenir sa frustration. Elle ramena le drap sur sa poitrine menue et frissonnante.
– Y’a pas à dire, t’es vraiment la meilleure putain de toute cette foutue ville, rigola l’homme en reboutonnant son pantalon.
– Je suis également la plus chère.
– Tu vaux bien ton prix.
L’homme s’avança vers la prostituée et lui saisit la nuque à pleine main pour mieux l’attirer à lui. Violante retint sa respiration quand l’haleine avinée de son client lui fouetta le visage. Elle posa un bras sur son torse tandis qu’il écrasait sa bouche contre la sienne et lui arrachait un gémissement de douleur. La jeune fille sortit les dents et mordit la langue qui fouillait sa bouche avant de se rejeter en arrière, rompant l’étreinte.
– Hé ! je ne suis pas une de tes souris de trottoir, Angus ! s’exclama-t-elle en massant sa nuque douloureuse. Tu rajouteras un jeton pour ça.
– Et dangereuse avec ça, marmonna l’homme en essuyant d’un revers de main le mince filet de sang à la commissure de ses lèvres.
– Tu sais ce qu’on dit, chaton : « Quand tombe la nuit, choisis bien ta souris. »
Violante s’extirpa du lit et attrapa sa robe qui traînait au sol. Les bras chargés de vêtements, sous le regard lubrique de son client, elle se dirigea vers le petit paravent qui cachait un nécessaire de toilette. Elle se nettoya et se rhabilla prestement, grimaça de douleur lorsque la prothèse qui prolongeait son auriculaire mutilé se prit dans un accroc de son jupon. Alors qu’Angus la regardait d’un air lubrique, elle tira un cordon qui pendait près de la porte. Quelques secondes plus tard, on frappait doucement. Violante alla ouvrir et un automate grinçant en tablier blanc déposa sur le guéridon un plateau où trônaient une bouteille de whisky à moitié vide et un verre, avant de disparaître en silence. Elle lui emboîta le pas, raflant au passage les jetons contenus dans la petite coupelle. Avant de refermer la porte, elle se retourna une dernière fois vers le marin et lui lança avec un sourire qui ne montait pas jusqu’à ses yeux : « Cadeau de la maison. » Celui-ci la salua en portant un pouce à son front et elle claqua la porte.
De la musique résonnait depuis le rez-de-chaussée, accompagnée de rires et du murmure des discussions. Violante se concentra sur la poignée de pièces qu’elle tenait dans sa main. Quatre passes en trois heures. Une bonne moyenne, pensa la jeune femme. Elle avait encore le temps d’attraper un homme ou deux avant la fin de la nuit. Ou peut-être de s’éclipser pour rattraper son sommeil en retard. À peine cette idée sacrilège eut-elle traversé son esprit qu’elle perçut des bruits de pas dans l’escalier de service.
Une démarche lourde qu’elle aurait reconnue entre mille. Elle se redressa d’un bond, rangea son butin dans une petite poche cousue à l’intérieur de son jupon et leva la tête vers Madeleine. Avec ses cheveux noirs striés de gris et ses yeux de rapace enfoncés dans un visage dodu, Madeleine régnait en maîtresse absolue sur
Les Jardins Mécaniques. Du haut de son mètre soixante-cinq tout en embonpoint, la matrone darda sur Violante un regard venimeux. Elle planta les poings sur ses larges hanches.
– Qu’est-ce que tu traficotes encore ? Les clients s’impatientent ! Et puis c’est quoi, ces cernes, là ?
Elle saisit le menton de la jeune femme entre ses doigts épais et lui releva la tête. Violante croisa l’un des nombreux miroirs qui flanquaient le couloir. Deux grands yeux lui rendirent un regard terni par l’inquiétude. Son nez retroussé lui donnait l’air mutin que les clients du bordel semblaient tellement apprécier, une touche enfantine sous ses yeux hantés par l’absence de mémoire, d’identité. Elle n’avait ni la beauté ostentatoire mais un rien classique de Livia, ni les formes généreuses de la rousse Scarlett, ni le mystère androgyne de la discrète Diane. Mais il fallait reconnaître que les traînées sombres qui soulignaient ses paupières lui conféraient un certain charme, comme une aura de défiance qui se reflétait dans ses grands yeux hantés. Violante jugula sa colère et son dégoût et se contenta de hausser dédaigneusement les épaules.
– Ne tente pas le diable, ma petite souris, la prévint Madeleine. Un claquement de doigts et tu retournes dans la rue.
Violante suivit le regard de sa patronne, baissé sur son auriculaire manquant. Son doigt avait été remplacé par une prothèse en acier brillant, retenue à son poignet par une mince lanière de cuir.
– Ça t’a pas réussi la dernière fois.

 

Alors, tentés?

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