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  • Premières lignes #19

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    Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
    Le principe est de, chaque semaine, vous faire découvrir un livre en vous en livrant les premières lignes.
    Pour ma part, j’ai décidé de vous faire découvrir mes coups de cœurs !

     

    Cette semaine, je vous présente Forbidden de Tabitha Suzuma dont vous pourrez lire ma chronique ICI

     

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    Je regarde les petites boules noires éparpillées sur le rebord de la fenêtre à la peinture blanche écaillée, et qui crisseraient sous les pas si l’on marchait dessus. Difficile d’imaginer qu’elles ont un jour été en vie ! Je me demande ce qu’on peut ressentir enfermé dans un bocal en verre sans air, à rôtir pendant deux longs mois sous un soleil de plomb, à voir l’extérieur où le vent agite les arbres verts, alors qu’on se heurte encore et encore à un mur invisible qui interdit accès à tout ce qui est réel, vivant et vital, et que, blessé, épuisé, vaincu par cet obstacle infranchissable, on finit par succomber. À quel moment une mouche renonce-t-elle à s’évader par une fenêtre fermée ? Son instinct de survie la pousse-t-il à continuer jusqu’à ce qu’elle en soit physiquement incapable, ou comprend-elle enfin, après s’être écrasée une fois de trop contre la vitre, qu’elle ne pourra jamais sortir ? À quel moment estime-t-on qu’il est temps de renoncer ?
    Je détourne les yeux des minuscules carcasses et tente de me concentrer sur les nombreuses équations du second degré tracées au tableau. Je sens que je transpire ; des mèches de cheveux sont collées à mon front, ma chemise adhère à ma peau. Le soleil a cogné tout l’après-midi à travers les grandes baies et je suis précisément assis derrière l’une d’elles, à moitié aveuglé par ses rayons puissants. Le rebord de la chaise en plastique me rentre dans le dos, car je suis légèrement penché en arrière, une jambe étendue et le talon posé sur le petit radiateur contre le mur. Les poignets de ma chemise pendent autour de ma main, maculés d’encre, sales. La page blanche posée devant moi semble me considérer d’un air désespéré et, dans un état quasi léthargique, je me mets à résoudre les équations, d’une écriture à peine lisible. Le stylo glisse entre mes doigts moites, j’essaie de déglutir, mais j’ai la bouche si sèche que je n’y parviens pas… Cela fait à peu près une heure que je suis dans cette position, cependant je sais qu’il est vain d’essayer d’en trouver une plus confortable. Je m’attarde sur les résultats que j’ai trouvés, inclinant la plume de mon stylo de sorte qu’elle accroche un peu le papier, car, si je finis trop tôt, je n’aurai plus rien à faire, à part contempler de nouveau le spectacle des insectes morts. J’ai mal à la tête. L’air de la pièce est chargé de la transpiration de trente-deux adolescents qui macèrent dans une classe où il fait bien trop chaud. Je ressens comme une pression sur la cage thoracique. J’ai du mal à respirer, et ce n’est pas seulement dû à l’atmosphère étouffante qui règne dans la salle de classe. Cette boule pèse sur moi depuis mardi, au moment où j’ai franchi les grilles du lycée pour affronter une nouvelle année scolaire. La semaine n’est pas encore terminée, et j’ai déjà l’impression d’être ici depuis une éternité. Entre les murs de l’école, le temps ne s’écoule pas, il semble se solidifier. Rien n’a changé. Les gens sont toujours les mêmes : expressions ineptes, sourires méprisants. Je les regarde sans les voir quand j’entre dans la classe, tout comme je suis transparent à leurs yeux. Je suis ici sans l’être. Les professeurs me marquent présent, mais personne ne me voit : il faut dire que, après des années de pratique, j’ai le don de me rendre invisible.

     

    Alors tenté?