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[Livre] Une femme blessée

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Résumé : Fatimah vit au Kurdistan irakien avec son mari, ses enfants et sa belle-famille. Un jour, elle est emmenée à l’hôpital de Souleymanieh, très grièvement brûlée – soi-disant victime d’un accident domestique. Tandis que Fatimah lutte pour vivre malgré ses blessures, la vie dans son village s’organise sans elle. A tel point qu’il semble qu’elle n’ait jamais existé. Seule sa fille aînée continue à évoquer son souvenir.
Que va devenir Fatimah ? Que s’est-il passé le jour de l’ »accident » ? Quels mystères planent sur cette femme ?

 

Auteur : Marina Carrère d’Encausse

 

Edition : France Loisirs

 

Genre : Drame

 

Date de parution : 16 octobre 2014

 

Prix moyen : 14€

 

Mon avis : L’auteur s’est inspirée d’une rencontre faite au Kurdistan irakien pour écrire ce roman.
Omar est médecin au Kurdistan dans le service des grands brûlés.
Tous les jours il soigne des femmes qui sont là pour des accidents domestiques. Et cela n'est guère étonnant puisque la plupart d'entre elles utilisent du matériel vétuste, alimenté au kérosène et souvent mal utilisé. Mais Omar sait aussi que sous couvert d'accident domestique se cache souvent d’autre raisons aux « accidents », parfois des tentatives de suicides de femmes qui ne se sentaient pas la force d’affronter leur famille pour une raison ou une autre, parfois un crime d'honneur.
Il est médecin, il est là pour soigner ces femmes, mais il ne sait jamais à quel genre de vie il va les renvoyer. Il ne sait pas si, après qu'il se soit battu pour sauver leur vie, elles ne vont pas être agressées à nouveau au nom de l'honneur ou tenter à nouveau de mettre fin à leur jours.
Il est très difficile de le savoir puisque le crime d'honneur c'est aussi la loi du silence.
Une loi du silence qui fait que Fatimah ne parle pas de ce qui lui est arrivé, ne parle quasiment pas d'ailleurs, et qui fait que, de leur côté, ses filles ne savent pas ce que leur maman est devenue. Personne ne répond à leurs questions, on leur interdit même d'en poser, d'évoquer simplement leur mère ou même de pleurer son absence.
Les doutes du médecin sont de plus en plus grands car, malgré le fait que le mari de Fatima vienne régulièrement demander de ses nouvelles, on a clairement l'impression que les nouvelles de bon rétablissement que lui donne le docteur ne lui conviennent pas.
Mais là encore, quand l’honneur est en jeu, comment distinguer le vrai du faux, comment savoir ce qui se cache sous les apparences ?
Le Maître d'école de l'aînée des filles de Fatimah semble choqué et même bouleversé d'apprendre l'hospitalisation de cette dernière. Je ne sais pas s'il soupçonne un crime d'honneur et le désapprouve ou s’il y a quelque chose de plus ambiguë entre lui et la mère de famille.
Il faut noter que les crimes d'honneur ne sont pas uniquement commis par les pères, frères ou maris, mais que se sont parfois les femmes elles-mêmes qui perpétuent cette tradition barbare dont elles sont les premières victimes.
Dans le cas de Fatimah, les choses sont encore plus compliquées car chaque membre de la famille ne connaît que certains éléments de l’affaire. Une seule personne sait tout et est bien décidée à ce que personne ne puisse relier les différents éléments entre eux.
À la fin du livre, une page recto-verso nous donne les chiffres effarants du nombre de victimes des crimes d'honneur (5000 par an), nous explique les raisons pour lesquelles une femme peut-être agressée, qui vont de la simple rumeur jusqu'à la relation sexuelle consentie en passant par le viol ou le simple fait de rentrer un peu tard. Bien que la perte de la virginité semble être l'excuse la plus souvent invoquée, les chiffres officiels prouvent que plus de 80% des victimes étaient vierges au moment de leur mort.
Malgré les actions des organisations internationales et humanitaires, les crimes d'honneur sont en expansion du fait du laxisme de la loi les concernant. Les meurtriers, qui sont accueillis comme des héros dans leur famille, sont en effet souvent condamnés à de simples peines symboliques (6 mois à 2 ans dont ils ne purgent jamais la totalité) et sont même régulièrement salués et félicités par les autorités pour leur « courage » qui leur a permis de faire « ce qui devait être fait ».

On pourrait se dire que ce livre n'est qu'un énième récit de l'horreur que vivent ces femmes, mais il est important de continuer à en parler, le plus possible, afin de lutter contre ces pratiques inhumaines.

Un extrait : Premier jour, Souleymanieh, Kurdistan irakien, hôpital des grands brûlés.

Il est 15 heures. Le soleil est au plus haut. Il fait chaud, l'air est étouffant. La rue est bruyante, la poussière omniprésente.
À l'intérieur de l'hôpital, le calme n'en est que plus remarquable. Les stores baissés tamisent la lumière, il fait bon. Un havre de paix, en quelque sorte…
On pourrait le penser si, dehors, il n'y avait l'enfer de la guerre. Cela fait près de trente ans déjà que le pays, hommes, femmes, enfants subissent l'horreur, la peur, la violence.
Pourtant, l’horreur s'étend jusque dans les chambres de l'hôpital. On perçoit des gémissements. Pas des cris -  les malades sont plutôt courageux, dignes -, mais des plaintes sourdes.
Et puis, il règne une odeur fade, douceâtre, une odeur de pourri. C'est celle des corps grièvement brûlés. On a beau tout faire pour couvrir cette odeur - le sol vient d’être nettoyé, un chariot rempli de produits détergents et antiseptiques est parqué dans le hall -, elle est là, lancinante, elle s'infiltre dans les narines, occupe le terrain.
C’est un hôpital de brûlés, peut-être la pire des blessures que le corps et l'esprit puissent endurer. Et ici, ce sont les femmes qui souffrent.

Elles sont trois, allongées dans le sas de réanimation, antichambre de ce lieu où les médecins se battre pour sauver des vies. Quand ils le peuvent… Dans ce sas sont installés les cas les plus graves, les derniers arrivés.
Trois jeunes femmes : Bada, seize ans, Awira, dix-neuf, et Fatimah, vingt-trois.
On ne distingue que des formes, mais ce sont bien des corps qui gisent sous les couvertures de survie posées sur eux. Des couvertures conçues pour maintenir une température suffisamment élevée et retenir la chaleur qui fuit, menaçant la vie à chaque instant.
Seuls les visages émergent. Les visages ou ce qu'il en reste.

Fatimah occupe le lit près de la fenêtre ; d'elle, on ne voit que la bouche. Le front, les joues sont recouverts d'un épais bandage qui masque ses blessures.

Dès qu'elle est arrivée, on lui a donné de la morphine pour apaiser ses souffrances et pour qu’elle supporte les premiers soins.
Même plongé dans le coma, un brûlé peut ressentir la douleur, et les premiers gestes sont forcément éprouvants.
Un médecin et un infirmier l'ont douchée, afin d'enlever toutes les peaux mortes mais aussi de rincer le kérosène encore sur sa peau qui risquait de pénétrer un peu plus dans le derme.
Ensuite, ils l’ont emmenée jusqu'au sas, l'ont installée le plus délicatement possible dans un lit stérile. Ils ont longuement, patiemment recouvert toutes ses  brûlures de pommade désinfectante, puis de compresses et de bandes.
On dirait une momie. Un tube sort de sa bouche - il faut l'aider à respirer, toute seule elle n'y arrivera pas, ses poumons ont inhalé la fumée toxique. Enfin, une perfusion est installée, et goutte après goutte, du liquide se répand dans ses veines, beaucoup de liquide, pour éviter la déshydratation, un des ennemis mortels, avec l’infection, qui menacent le grand brûlé.
Les médecins ont appliqué ces mesures indispensables, mais ils doutent que Fatimah puisse survivre : elle a été brûlée au troisième degré sur plus de la moitié du corps.
Et plusieurs heures se sont écoulées avant qu'elle n'arrive ici.

 

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