Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • [Livre] Quand la nuit devient jour

    Quand la nuit devient jour.jpg

    Lecture terminée le : 29 mai 2020

     

    Résumé : On m’a demandé un jour de définir ma douleur. Je sais dire ce que je ressens lorsque je m’enfonce une épine dans le pied, décrire l’échauffement d’une brûlure, parler des nœuds dans mon estomac quand j’ai trop mangé, de l’élancement lancinant d’une carie, mais je suis incapable d’expliquer ce qui me ronge de l’intérieur et qui me fait mal au-delà de toute souffrance que je connais déjà.

    La dépression.

    Ma faiblesse.

    Le combat que je mène contre moi-même est sans fin, et personne n’est en mesure de m’aider. Dieu, la science, la médecine, même l’amour des miens a échoué. Ils m’ont perdue. Sans doute depuis le début.

    J’ai vingt-neuf ans, je m’appelle Camille, je suis franco-belge, et je vais mourir dans trois mois.

    Le 6 avril 2016.

    Par euthanasie volontaire assistée.


    Auteur : Sophie Jomain

     

    Edition : Pygmalion

     

    Genre : Roman contemporain

     

    Date de parution : 27 Avril 2016

     

    Prix moyen : 16€

     

    Mon avis : Je n’avais encore jamais lu de livres de Sophie Jomain mais j’ai cru comprendre que ce roman était très différent de ses écrits habituels.
    Ce bouquin est d’un réalisme presque flippant.
    Les sentiments que décrit Camille sont tellement précis, réels, tout comme les réactions de son entourage.
    Camille souffre de dépression depuis l’enfance et rien, ni le temps, ni les thérapies, ni les traitements, n’y peuvent rien.
    Or Camille est à moitié Belge. Et en Belgique, l’euthanasie volontaire (ou suicide médicalement assisté) est légale. Il suffit de déposer un dossier devant une commission qui va évaluer le caractère intolérable et sans issue de votre état.
    Autant dire qu’en France, le sujet est plus que tabou. On parle d’un pays qui juge plus acceptable de garder des gens enfermés, tellement shootés de médicaments qu’ils en oublient jusqu’à leur nom et sont dans un état proche de l’inconscience plutôt que de leur accorder le droit de mourir. Pays des droits de l’homme…
    C’est le cas de conscience que pose ce livre.
    A-t-on le droit de décider de mourir ? A-t-on le droit de forcer quelqu’un à vivre dans une souffrance intolérable ?
    Ce roman fait état d’une vérité qui dérange : Dénier à quelqu’un le droit de mourir quand sa souffrance est trop intense, c’est de l’égoïsme.
    Je comprends la réaction des parents de Camille, mais j’ai franchement ressenti plus d’empathie pour elle que pour eux. Pour sa souffrance. Près de vingt ans de souffrance. En France, les meurtriers se prennent des peines moins lourdes.
    La plume de Sophie Jomain nous fait prendre en pleine poire les émotions de Camille. Et ça fait mal. Pas autant qu’à elle, c’est certain, mais ça fait mal parce que l’écriture de l’auteur nous fait presque ressentir ces émotions.
    Et ça fait d’autant plus mal que je connais ce sentiment. La dépression et moi, on est de vieilles copines. Même si j’ai réussi à en sortir suffisamment pour supporter de vivre, je me souviens parfaitement de cette souffrance et de la haine pure et simple que j’ai pu éprouver pour ceux qui, du haut de leur sentiment de supériorité, me disait ce que j’étais supposée ressentir. Sans compter ceux qui sont persuadés qu’il suffit d’avoir « de la volonté ». Comme si la dépression n’était pas une vraie maladie.
    Autant vous dire que j’ai pleuré comme une madeleine du début à la fin (bah oui, je suis moins dépressive, mais je suis toujours autant hypersensible… je pleure devant les pubs de croquettes pour chat… ne me jugez pas)
    L’auteur traite ce sujet difficile et tabou sans avoir recours à des clichés.
    On aurait presque l’impression de lire une autobiographie.
    La dureté de ce roman est aussi réelle que les émotions qu’il procure et fait réfléchir sur la question du droit à choisir.

     

    Un extrait : À l’issue de ma formation, à vingt-quatre ans, en juillet 2012, j’ai obtenu mon diplôme d’horticultrice, et avec lui, mon indépendance. J’ai dégoté un job à Liège chez un fleuriste spécialisé en orchidées et trouvé un appartement dans le centre. Je ne suis donc pas revenue dans la région lilloise, à part pour récupérer quelques affaires et rendre ponctuellement visite à mes parents. À chacun de mes séjours, ma mère s’alarmait devant ma maigreur. Mais ce détail mis à part, je lui paraissais être en bonne santé et ça la rassurait.

     Elle se trompait. J’étais psychologiquement affectée, et ce, depuis ma plus tendre enfance. Ça, je l’ai compris bien avant tout le monde. Sans vraiment le faire exprès, et sans être motivée par une quelconque vision déformée de mon corps – l’apparence que j’avais ne m’importait finalement plus beaucoup. Grosse, normale ou maigre, je ne m’aimais pas –, j’avais pris le problème à contre-pied. Manger m’ennuyait, alors je me contentais souvent d’une pomme verte pour tout repas et d’une bouteille de Coca Light dans la journée.

     En décembre 2012, je pesais quarante-cinq kilos.

     Inconsciemment, j’avais sauté à pieds joints dans l’anorexie.

     Ce sont les trois jours que j’ai passés chez mes parents pour les fêtes de fin d’année qui ont déclenché la première crise alimentaire m’envoyant tout droit à l’hôpital. Parce que ma mère me trouvait anormalement maigre, elle avait veillé à cuisiner des plats gras et sucrés à souhait. Je savais que si je ne mangeais pas, j’irais au-devant de remontrances, critiques et discussions moralisatrices que je voulais éviter à tout prix. Mes parents n’avaient pas leur pareil pour mettre en œuvre toutes leurs notions de pédagogie dans le but de me faire plier. J’allais sur mes vingt-cinq ans, j’étais indépendante socialement et financièrement, mais je n’étais pas suffisamment bien dans mes baskets pour ne pas être affectée par le harcèlement psychologique. Ils n’avaient pas conscience d’en faire preuve, et pourtant…

     J’ai donc mangé sans rechigner, même quand on m’a resservie, encaissant avec brio les réflexions de mes oncles et de mes tantes sur mon poids. « Camille, mange ! Tu es maigre comme un coucou ! Tu n’as que la peau sur les os, on dirait un squelette ! Tu étais bien plus jolie avant ! »

     Il n’y avait rien de méchant dans leurs remarques, c’était l’inquiétude qui les faisait réagir ainsi, mais quand, comme moi, on rejette avec autant de force son enveloppe corporelle, la moindre critique vous enfonce un peu plus la tête sous l’eau.

     

    adoré 5 étoiles.jpg