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  • Premières lignes #125

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    Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
    Le principe est de, chaque semaine, vous faire découvrir un livre en vous en livrant les premières lignes.

    Cette semaine, je vous présente Chroniques homérides T01 Le souffle de Midas d'Alison Germain

    Chroniques homerides T01 Le souffle de midas.jpg

    Tandis qu’il étreignait son amante blessée, Rikke sentit le désespoir grignoter son âme. La perdre, comment l’imaginer ? Un monde sans elle serait dénué de reliefs, de nuances et de beauté. Une existence fade, sans raison d’être. La vie s’effaçait peu à peu des prunelles de sa bien-aimée. Les deux opales cristallines que Rikke ne se lassait jamais de contempler étaient ternes, presque figées. Pourtant, il discernait encore une certaine volonté en elles. Une lueur d’espoir.

    — Tiens bon, Lia…

    Elle tremblait contre lui, sans qu’il ne puisse la soulager. Sa peau d’une froideur mortuaire et son teint lugubre laissaient présager l’issue fatale. Avec toute la puissance de son être, il souhaita furieusement échanger sa place avec elle, pour la libérer et endurer lui-même la souffrance qui la torturait.

    À la minute où il l’avait rencontrée, des années plus tôt, il s’était juré par-dessus tout de la protéger. Ce serment allait au-delà de son devoir de Gardien, son besoin d’assurer sa sécurité était vital. Une évidence. Mais ce soir, par son manque de vigilance, Rikke avait manqué à sa parole. Sous-estimant l’épée de Damoclès qui planait au-dessus de la jeune femme, il avait provoqué sa mort. Une erreur au goût d’amertume insoluble.

    — Ne lâche pas, Lia, ne lâche pas…

    Un sourire sur son visage marmoréen. Même dans la détresse, elle était d’une beauté à faire vibrer les tréfonds de son âme. Il résista soudain à l’envie de l’embrasser, de peur qu’elle ne gaspille ses dernières forces pour lui. Sa générosité était sans faille ; même lorsqu’elle n’avait rien, elle donnait tout.

    D’une main sur ses cheveux, il espéra lui apporter du réconfort. Un apaisement bienvenu.

    — Rikke, souffla-t-elle à grande peine, il faut…

    Sa voix était méconnaissable, tordue par la douleur. Il voulut lui demander de se taire, de ne pas s’essouffler. D’autant plus qu’il redoutait ce qu’elle allait dire.

    — Il faut le protéger, gémit-elle comme si elle avait perçu ses sombres pensées.

    Lui… Pourquoi cette obsession ? Rikke serra les dents, prenant pleinement conscience de la répugnance qu’il avait pour cette chose qui vampirisait les dernières forces de Lia, qui volait leurs derniers instants. Elle l’avait laissé aveuglément guider son existence. Rikke détestait cette loyauté exacerbée qu’elle lui portait, comme s’il comptait plus encore que sa propre vie.

    — Écoute-moi…

    La voix de Lia était faible, déchirée. Rikke admit immédiatement qu’elle était définitivement condamnée. Ses bourreaux l’avaient mutilée abominablement, pensant pouvoir s’approprier ce qu’elle protégeait avec tant de ferveur. Lui, toujours lui. Maculé du sang de sa bien-aimée, la rage grimpa en Rikke, insufflant un désir de vengeance insoutenable.

    — Il ne faut pas qu’il meure, supplia la blessée.

    Ne pouvait-elle pas l’oublier, juste un moment ? Elle lui avait dédié sa vie, fallait-il aussi qu’elle lui concède sa mort ? Rikke ne voulait plus la partager, plus avec lui. Il resserra ses bras autour des frêles épaules de la jeune femme dans un geste désespéré. L’étreindre à présent revenait à saisir de la fumée ; il pouvait déployer tous les efforts du monde, jamais il ne parviendrait à retenir ces volutes de vie qui se dispersaient. Cela le rendait fou.

    — Il l’a sentie, Rikke, elle, continua Lia, la Désignée, il l’a reconnue. Elle est là, tout près… Je dois lui transmettre. Je dois achever ce pour quoi je suis venue ici…

    Rikke tressaillit à l’évocation de cet instant. Ce fragment de temps où il l’avait laissé partir. Seule. Lorsque Lia avait parlé de léguer son don et qu’elle était parvenue à identifier la pauvre âme qui en hériterait, Rikke avait cru pouvoir être libéré, être enfin débarrassé de ce parasite qui gangrenait leur couple depuis des décennies. Quelle ironie ! S’il avait imaginé un seul instant que l’excursion lui arracherait la moitié du cœur, jamais il n’y aurait consenti.

    Pour lui, Lia était tout ; rien, pas même le plus puissant des dons, ne justifiait son sacrifice. Mais comment la retenir…

    — Je t’en prie, ne fais pas ça, la supplia-t-il.

    L’angoisse étrangla sa voix. Quelque chose se brisa instantanément en lui, quelque chose d’irréparable. Elle avait pris sa décision et ne luttait plus pour sa survie. Ces dernières minutes, elle les sacrifiait à la faveur de sa mission. Comme elle l’avait fait sa vie entière. Même leur amour n’imposait aucune borne à sa dévotion. Pourtant Rikke ne lui en tenait pas rigueur, au contraire. Son courage, sa détermination et son intégrité remarquable le remplissaient de fierté. Jamais il n’oublierait sa témérité, sa bravoure et sa droiture. Il garderait son visage à jamais gravé sur son cœur et ferait tout pour respecter sa mémoire, pour honorer son combat.

    Lui dédiant tout son amour, il embrassa ses lèvres une ultime fois.

    — Tu le protégeras, Rikke, promets-le-moi…

    Refuser ne lui traversa pas l’esprit. Il haïssait ce don, mais les sentiments qu’il nourrissait pour Lia allaient au-delà de son aversion et scellèrent d’instinct son engagement. Lia le savait. Il lui survivrait malgré son chagrin et veillerait sur la nouvelle porteuse ; malgré la tristesse permanente liée à cette mission.

    Sa fiancée lui sourit, puis, sans qu’il ne puisse l’arrêter, il la vit puiser ses dernières forces pour lancer l’Appel.

     

    Alors, tentés?