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  • Premières lignes #64

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    Premières lignes est un rendez-vous livresque mis en place par Aurélia du blog Ma lecturothèqueLa liste des participants est répertoriée sur son blog (Si ce n’est que son rdv est le dimanche et que je mettrai le mien en ligne chaque samedi).
    Le principe est de, chaque semaine, vous faire découvrir un livre en vous en livrant les premières lignes.
    Pour ma part, j’ai décidé de vous faire découvrir mes coups de cœurs !

     

    Cette semaine, je vous présente Ce que murmure la mer de Claire Carabas dont vous pouvez lire ma chronique ICI

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    Je suis la dernière fille du roi des océans.
    Depuis la nuit des temps, les légendes de ma glorieuse famille fascinent tous ceux qui les écoutent. Personne, même sur la terre, ne peut ignorer notre nom. Notre puissance s'étend jusqu'aux profondeurs qui vous resteront à jamais inconnues et sur des immensités que vous ne savez pas imaginer. Je garde les clefs de ces mondes. J'en connais les secrets. Je veille sur tous les trésors qui y ont sombré. Je nage au-dessus de mers de pierreries, de perles et d'or. Mes coffres regorgent de sesterces, de piastres, de pistoles, de liards, de doublons, de sols et d'écus... Il n'y a pas d'époque, pas de lieux qui ne m'aient livré ses monnaies. Tous les peuples terrestres payent leur tribut. Les statues destinées aux plus beaux jardins, les théières en argent, les fines porcelaines bordées de dentelles bleues, les vins dans leur flacon, les poteries, les tiares façonnées pour des reines, c'est moi qui les possède.
    Je règne sur les créatures les plus puissantes du monde. Je commande aux dauphins, aux pieuvres et aux baleines. Les requins se prosternent dans mon sillage. Les raies suivent mon cortège. Mes sujets sont multitudes. Des monstres insoupçonnés, des anges de grâce, des lutins minuscules, des géants titanesques se côtoient dans un monde dont vous ignorez les règles. C'est moi qui les régis. Un geste de ma main déclenche des tempêtes. Je gouverne vagues, tourbillons, courants, marées, flux et reflux, embruns et écumes. Ma colère balaie tout, ma splendeur vous fascine.
    J'organise des festins au cœur de mes palais. Mes fêtes ont le faste des plus grandes cours. Les conques font résonner leur corps au plus profond des eaux. Des algues épicées éclatent sous les dents. Les oursins et les huîtres sont aussi au menu. À ma table, je reçois des penseurs, des savants, des artistes. Et à la fin des soirées, ils se mélangent pour danser au son du chant amer des baleines.
    Parfois, je monte à la surface. Tout le long du chemin, la sagesse me répète que je ne devrais pas. Ma place est sur mon trône, auprès de mes sujets, mais je ne peux pas m’empêcher de franchir la frontière. Je sais pourtant ce qu'il coûte de vouloir savoir. Ma tête crève le plafond de la dernière vague. Je suis seule, écrasée dans l'eau par le poids de l'air. Je monte seule, toujours, sans soldat, sans arme. Je défends que quiconque m'accompagne. Je suis déjà si chargée de ma peine...
    Je quitte mon monde, une fois de plus, pour aller à la rencontre du vôtre. Je m'approche des lumières qui ceinturent vos rivages. Je respire l'odeur de votre terre, de vos plantes et de vos feux. Je longe vos côtes. Je peux nager longtemps. Inlassable, je fends l'eau. Je cherche ce chant à nul autre pareil. Ce chant que les femmes adressent à leurs hommes perdus.
    Il y a, sur chaque côte de la terre, une femme qui chante et qui pleure l'absent. Ce chant m'attire, irrépressiblement. Je m'approche des femmes. Je n'ai pas peur qu'elles me voient. Elles sont toutes à leur chant. Rien ne les distrait de leur peine. Ni le soleil qui sautille sur les vagues, ni la nuit qui les berce dans son velours, ni même les sirènes. Leurs larmes se déversent dans la mer. Moi, j'ai tant pleuré déjà ! Alors, gare à moi si je les écoute trop. La nostalgie me prend. Je me sens presque humaine.

     

    Alors, tentés?