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  • [Livre] Le chagrin des vivants

    Je remercie ELLE pour cette lecture dans le cadre du grand prix des lectrices

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    Résumé : Durant les cinq premiers jours de novembre 1920, l’Angleterre attend l’arrivée du Soldat inconnu, rapatrié depuis la France. Alors que le pays est en deuil et que tant d’hommes ont disparu, cette cérémonie d’hommage est bien plus qu’un simple symbole, elle recueille la peine d’une nation entière. 
    À Londres, trois femmes vont vivre ces journées à leur manière. Evelyn, dont le fiancé a été tué et qui travaille au bureau des pensions de l’armée ; Ada, qui ne cesse d’apercevoir son fils pourtant tombé au front ; et Hettie, qui accompagne tous les soirs d’anciens soldats sur la piste du Hammer-Smith Palais pour six pence la danse. 
    Dans une ville peuplée d’hommes incapables de retrouver leur place au sein d’une société qui ne les comprend pas, rongés par les horreurs vécues, souvent mutiques, ces femmes cherchent l’équilibre entre la mémoire et la vie. Et lorsque les langues se délient, les cœurs s’apaisent.

     

    Auteur : Anna Hope

     

    Edition : Gallimard

     

    Genre : roman contemporain

     

    Date de parution : 25 janvier 2016

     

    Prix moyen : 23€

     

    Mon avis : Bien que ce ne soit pas un coup de cœur, j’ai beaucoup apprécié cette lecture.
    On va suivre trois femmes : Ada, la cinquantaine, qui a perdu son fils au front, dans des circonstances qu’elle ignore, ce qui la ronge. N’ayant pas reçu de lettre personnalisée lui racontant les derniers instants de son fils et le lieu où il a été enterré, elle refuse d’accepter sa mort et le voit sans arrêt, à tous les coins de rue, délaissant son époux, jack, qui semble vivre plus mal les réactions de sa femme que la perte de son fils.
    Evelyn, la trentaine, fille de bonne famille, qui rejette les siens et leur mode de vie depuis que son fiancé a été tué en France. Elle est amère et sèche envers les siens, distante et hautaine envers les soldats qu’elle croise au bureau des pensions où elle travaille. Elle cherche à comprendre ce qui a changé son frère, qui est revenu indemne, du moins physiquement, du front.
    Enfin, il y a Henrietta « Hettie ». Elle est danseuse de compagnie pour 6 pences la danse et doit verser la moitié de son salaire à sa mère, vu que son frère, traumatisé, ne cherche pas de travail et que son père est mort de maladie. Elle semble étouffer dans sa vie, elle supporte mal de se voir dépouiller de son salaire, de ne rien pouvoir s’acheter et étouffe avec une mère qui voudrait qu’Hettie soit aussi terne et résignée qu’elle. Mais difficile de demander à une jeune fille de 19 ans de renoncer à la vie.
    A l’exception de Hettie, j’ai toutefois eu du mal à m’attacher aux personnages. Evelyn m’est apparue trop distante et Ada trop peu présente.
    Ces trois femmes ne se sont jamais vues, ne se connaissent pas, et pourtant, sans le savoir, leur vie sont liées, par le biais de certaines de leurs relations (que ce soit un frère, un prétendant…).
    La guerre est omniprésente, bien qu’elle soit terminée depuis environ 2 ans. Parce qu’il y a le souvenir des morts, certes, mais il y a surtout ceux qui sont revenus : mutilés, changés profondément, que ce soit physiquement ou psychologiquement. Ces personnes-là oscillent entre mépris envers celles qui, selon eux ne peuvent pas comprendre ce qu’ils ont vécu, souhait de se réintégrer à une société qu’ils dérangent, désir de trouver enfin la paix…
    L’histoire se déroule sur 5 jours et a pour toile de fond le rapatriement du « soldat inconnu » qui doit devenir le symbole de tous les disparus de la guerre, ceux sur la tombe desquels les familles ne pourront jamais se recueillir.
    A travers le déroulement de la vie d’Ada, Hettie et Evelyn sur ces cinq jours, on peut voir à quel point la guerre a un impact sur ceux qui ne l’ont pas vécu en première ligne. En dehors du black-out et des risques de bombardements, il y a l’inconnu que vivent les êtres aimés qui sont au front et qu’on ne peut qu’imaginer, l’incertitude, l’incompréhension, les lettres type annonçant le pire mais si impersonnelles qu’elles ne permettent pas de faire son deuil…
    Les récits concernant les trois femmes s’alternent assez rapidement, on ne reste pas centré sur l’une d’elle pendant des pages et des pages avant de passer à la suivante. Cela accentue le fait que le roman s’étale sur un délai assez court et que les évènements vécus par les trois femmes se déroulent en parallèle les uns des autres.
    Régulièrement, on suit le trajet du soldat inconnu, depuis la tombe anonyme à laquelle il a été arraché jusqu’à son arrivée pour la cérémonie à Londres où on espère qu’il aidera le pays à faire son deuil.

    C’est un roman très touchant, et j’ai beaucoup aimé, même s’il a manqué la petite étincelle, le petit je-ne-sais-quoi qui fait d’un livre un coup de cœur.

    Un extrait : Hettie frotte sa manche contre la vitre embuée du taxi et scrute au-dehors. Elle ne discerne pas grand-chose, en tout cas rien qui ressemble à un night-club, seulement des rues vides et obscurcies. Jamais on n’aurait cru qu’elles ne se trouvaient qu’à quelques secondes de Leicester Square.

    « Là, s’il vous plaît, lance Di au chauffeur, penchée en avant.

    — Ça fera une livre, alors. »

    Il allume son enseigne lumineuse, le moteur ronronne.

    Hettie donne sa contribution de dix shillings. Un tiers de sa paie. Son estomac se serre quand l’argent est passé à l’avant. Mais le taxi n’est pas un luxe, pas à cette heure-là : les bus ne roulent plus et le métro est fermé.

    « Ça les vaudra, murmure Di alors qu’elles s’extirpent de la voiture. Promis. Je le jure sur ma vie. »

    Le taxi s’éloigne et leurs mains se cherchent dans la descente d’une ruelle sans éclairage, leurs chaussures de danse crissant sur le gravier et le verre. Malgré le froid, un îlot de transpiration se forme au creux des reins de Hettie. Il doit être une heure bien tassée, elle n’est jamais sortie aussi tard. Elle pense à sa mère et à son frère, qui dorment à poings fermés à Hammersmith. Dans quelques petites heures, ils se lèveront pour aller à l’église.

    « Ce doit être ça. »

    Di s’est arrêtée devant une vieille maison à trois étages. Aucune lumière ne filtre à travers les volets clos et seule une petite ampoule bleue éclaire la porte.

    « Tu es sûre ? demande Hettie, dont la respiration se condense dans l’air glacial.

    — Regarde. »

    Di désigne une petite plaque clouée au mur. Ce panneau est très ordinaire, ce pourrait même être celui d’un médecin ou d’un dentiste. Mais il y a un nom là, gravé dans le bronze : DALTON’S No 62.

    Dalton’s.

    Night-club légendaire.

    Tellement légendaire que d’aucuns disent qu’il n’existe pas.

    « Prête ? »

    Di décoche un sourire grivois fugitif, puis lève la main et frappe. Un panneau coulisse. Deux yeux pâles dans un rectangle de lumière.

    « Oui ?

    — J’ai rendez-vous avec Humphrey », répond Di.

    Elle prend sa voix distinguée. Derrière elle, Hettie est submergée par l’envie de rire. Mais la porte s’ouvre. Elles doivent se mettre de profil pour entrer. De l’autre côté il y a un hall exigu, à peine plus grand qu’un placard, où un jeune portier se tient derrière un haut bureau en bois. Son regard glisse sur Hettie, vêtue de son manteau marron et de son béret écossais, mais s’attarde sur Di, avec ses yeux sombres et les pointes coupées de ses cheveux qui dépassent tout juste de son chapeau. Di a cette façon particulière de regarder en coin vers le bas, avant de remonter lentement. Cela pousse les hommes à la dévisager. Elle le fait à présent. Hettie voit les yeux du portier s’agrandir, pareils à ceux d’un poisson à l’hameçon.

    « Il faut signer le registre, finit-il par dire en désignant un grand livre ouvert à plat devant lui.

    — Sûr. »

    Di retire un gant, se penche et signe d’un grand geste exercé.

    « À toi », lance-t-elle en tendant le stylo à Hettie.

    Du niveau inférieur leur parvient la pulsation de la musique : une trompette grisante. Une femme pousse un cri de joie. Hettie sent son cœur : poum poum poum. Sur la signature de Di, laquelle a débordé de son cadre sur la ligne en dessous, l’encre brille. À son tour Hettie retire son gant et griffonne son nom : Henrietta Burns.

    « Bien, allez-y. »

    L’homme recule le registre en désignant derrière lui l’escalier plongé dans l’obscurité.

    Di passe en premier. Les vieilles marches grincent et alors que Hettie tend le bras pour se stabiliser, elle sent sous ses doigts des écaillures de mur humides. Ce n’est pas ce qu’elle s’était imaginé : cela n’a rien à voir avec le Palais, où le prestige fait devanture. Jamais on ne croirait que ce vieil escalier moisi mène où que ce soit d’intéressant. Cependant à présent elle entend distinctement la musique, des gens qui parlent, le bruit rapide des pieds sur le sol, et comme elles atteignent le bas des marches, une vague de panique menace de la balayer.

    « Tu vas rester près de moi, n’est-ce pas ? s’inquiète-t-elle en attrapant le bras de Di.

    — Sûr. »

    Di lui attrape la main, la serre, puis ouvre la porte.